
Santon de Provence luttant contre le Mistral
Bien chère Paul Emile,
Je passais dans le coin et j'ai lu ta gentille lettre. Tout d'abord je te remercie beaucoup de ton intérêt, et je me permets d'utiliser le billet n° 100 d’Élisa pour te répondre.
Mon nom véritable est Mistral, Mistraù en Provençal.
Et quand je l'utilise, je suis assez terrifiant je dois te dire. Je viens de loin, de la vallée du Rhône et je m'infiltre, je fonce à plus de cent kilomètres par heure jusqu'à la Corse si je suis décidé.
Rien ni personne ne me résiste : je plie les pins, casse les branches comme une tronçonneuse en colère, je soulève la jupe des filles, j'emporte au loin les chapeaux, je soulève même les personnes qui se croient fortes. Je hurle, je crie, j'ouvre les fenêtres, brise les carreaux, je chasse les nuages, j'empêche les oiseaux de voler. Toi-même, chère amie, tu serais impressionnée par ma voix et ma force.
Je ne suis pas un tendre. En hiver, parfois, quand pendant des jours et des jours je m'épuise à souffler, j'épuise aussi les humains. Physiquement, parce qu'il faut de la force pour tenir debout face à moi ; et moralement, parce que je n'arrête pas de hurler, la nuit et le jour. Personne ne dort quand je suis là. Je suis le dieu des vents. Je le revendique.
Je démonte la mer. Je démâte les voiliers, j'aime les naufrages. J'ouvre aussi parfois le liquide salé pour permettre aux oiseaux de se nourrir des bans de sardines.
En été, je suis le cauchemar des pompiers en cas d'incendie. Je m'évertue à rallumer ce qu'ils ont éteint ; je les vois, noircis, éreintés, luttant et luttant encore contre les flammes que j'entretiens avec mon souffle puissant.
Certains petits malins disent que je suis capable de décorner les toros de Camargue. Je n'ai jamais essayé. Je n'aime pas faire du mal aux animaux.

J'ai des amis. Tramontane qui est aussi puissante que moi, et nous nous partageons les territoires. Pour ma part, j'ai une faiblesse pour ma Provence et Marseille. Je lui laisse donc le Languedoc. Autan est plus chaud, plus sec et partage aussi volontiers son territoire. Le Roussillon rouge est sa terre.
Puis il arrive que les provençaux, tendrement, surtout l'été, me donnent le gentil surnom de Mistralet. Au début, j'avoue que je me vexais. Après tout, ma puissance s'accommode mal de la faiblesse de ce petit nom.
Puis j'y ai vu des avantages. J'ai su me faire aimer.
Quand je deviens Mistralet, je caresse. Mon souffle tiède pourrait se répandre sur ton corps et ta nuque pour te rafraîchir. Je pourrais sécher ta sueur, et le soleil, mon complice, brûlerait ta peau, parce que tu ne sentirais pas sa morsure.
Je peux n'être que tendresse. Les coquelicots en savent quelque chose ; lentement, je défroisse leurs pétales. Les papillons, les abeilles et les oiseaux suivent le couloir de mon souffle pour reposer leurs ailes.
Le sable s'effiloche entre les rochers ; les crabes sortent, ils cherchent la fraicheur de ma caresse.
Tu ne pourras que m'aimer, ma chère enfant. Je te laisserai découvrir toutes mes qualités. En tant que dieu des vents, je n'ai aucun défaut.
Je t'attends. Et je t'embrasse. A bientôt, amie des vents.
Mistral, le vent.