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Billet de blog 6 mars 2016

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Pour la suppression du 8 mars au profit du 21 décembre

Le 8 mars approche. Il est donc temps pour moi de vous dire pourquoi j'attendrai le 21 décembre pour la célébrer dignement.

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L'année dernière, déjà, je m'étais émue dans ces colonnes que le 8 mars, abusivement qualifié de « Journée de la Femme », soit devenu l'occasion d'un cirque marketing aussi en phase avec les droits de femmes que je le suis avec l'évasion fiscale ou l'élevage des poules en batteries. Comme un fait exprès pour nous inciter à prendre cette journée de partage et de mobilisation en grippe, voilà que s'annoncent des initiatives à base de distribution de roses, de petit compliment ou de blagues hilarantes sur qui tient la porte ou qui paye l'addition vu que hein, c'est ta journée. Dans une autre vie, j'ai même vu un gars tenter de vendre à la mairie où je travaillais des petits cadeaux charmants pour le personnel communal fabriqués en Chine afin de célébrer ce jour béni en exploitant la main d'oeuvre enfantine ou féminine asiatiques tout en polluant l'environnement à grands renforts de transports et de gaspillage des matières premières. Autant dire que les conneries qu'on peut faire au nom des femmes, du féminisme et de la Chine sont quand même intersidérales. En 2015, Jean-Vincent (qui a enfin réussi à se) Placé, posait par exemple avec une poule dans Marie-Claire afin de célébrer le 8 mars (lire mon billet de l'année dernière à ce sujet : Qui de la poule). Cette année, c'est la ville d'Angoulême qui remporte le pompon de la perversion du genre, avec un « Salon de la femme » les 12 et 13 mars comprenant un concours de repassage et un défilé de mode, soutenu et relayé par la municipalité. Mais le débat à la Mairie du 7e arrondissement avec Rachida Dati et des religieuses qui nous parleront d'engagement tient la corde. La laïcité ne s'en offusquera certainement pas : ces voilées sont catholiques !

Pour compenser, je pourrais vous refaire l'historique du 8 mars, de sa création à l'initiative de Clara Zedkin, de ses racines communistes, de sa légende américaine, et de son incontournable nécessité pour faire valoir les droits des femmes partout dans le monde. Mais ça fait des années que mes copines féministes anonymes et héroïques font des réunions, organisent des manifs, et se font traiter de vieilles chouettes pas dans le coup, alors qu'elles tiennent la boutique et ne lâchent rien depuis 40 ans – ce qui veut dire qu'elles sont aujourd'hui vintage, soit le maximum du hype politique. Je leur dois tout et je les aime et je sais que sans elles on n'aurait pas avancé d'un iota. Je fais ce jour amende honorable pour toutes les réunions que j'ai manquées et toutes les manifs que j'ai girlcottées pour des motifs plus ou moins avouables et pas forcément sexuels. Mais voilà, c'est fini, l'exaspération est à son comble et m'oblige à prendre une position.

A la lumière du programme 2016, elle sera ferme et définitive : je fais serment solennel d'abandonner le 8 mars pour me consacrer enfin à la promotion des droits des femmes à travers d'autres occasions répertoriées sur le site des Journées mondiales. Je vous invite à votre tour à y naviguer si vous souhaitez comme moi avoir le choix dans la date.

Vive la journée des Zones humides

Commençons donc en douceur avec le 21 janvier, Journée mondiale du câlin, petit échauffement avant le 24 janvier, qui est la journée mondiale du sport féminin. Je ne sais si le 2 février, Journée nationale des Zones humides, est une invitation à mouiller en choeur, mais un peu de lubrifiant est nécessaire pour aborder le 6 février, qui conjugue pas moins de trois journées mondiales : 1/ La journée internationale de tolérance Zéro à l'égard des mutilations sexuelles féminines 2/ La Journée mondiale sans téléphone mobile 3/ La Journée mondiale contre le terrorisme et l'assassinat politique. Je n'aime pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais si on me demande mon avis, on pourrait fusionner au moins les 1/ et 3/ . Pour la numéro 2/ je ne sais pas si c'est téléphoné, mais on peut certainement dire que le mobile des mutilations sexuelles relève bien du terrorisme et de l'assassinat politique.

Quoi qu'il en soit, le 3 mars, on célèbre une de mes fêtes préférées : la Journée internationale de la vie sauvage. Ma joie est cependant de courte durée, car le 4 mars, il faut se lever de bonne heure pour lutter contre l'exploitation sexuelle, avant de remettre ça dès le 5 mars avec la journée de l'Impro, dont je suis en train de tester le potentiel en écrivant cette chronique. Après le 8 mars, qui sera donc supprimé du calendrier, on remontera sur le pont le 13 mars pour la Journée mondiale de l'endométriose, vous savez, cette maladie qui ne touche jamais qu'une femme sur dix et dont vous n'avez pas entendu parler vu que personne ne sait la soigner et que c'est des trucs de bonne femme ! Il faudra ensuite en passer par la Journée mondiale du rangement de bureaux (pour celles qui ont un bureau, ou éventuellement un 2e bureau), le 21 mars, qui d'ailleurs est aussi le premier jour du printemps, puis le 24 mars la Journée européenne de la glace artisanale et enfin, le 30 mars, la Journée mondiale des troubles bipolaires, immédiatement suivie de la Journée Internationale de la Visibilité Trans – sans lien de cause à effet semble-t-il.

 Il faudra attendre le 28 mai pour que l'endométriose revienne éventuellement sur le tapis avec la Journée mondiale de la santé des femmes, qui aura été précédée de la Journée des sages-femmes (le 5 mai), de l'Infirmière (le 12 mai), et de la Lutte contre l'homophobie (le 17 mai).

Des seins, des chiens et des chat.te.s

Hardi, mes sœurs, partons maintenant à l'assaut du mois de juin, avec, le 19, la Journée internationale de l'élimination de la violence sexuelle en temps de conflit, qui aboutit de façon assez prévisible sur le 23 juin, Journée mondiale des veuves.

Après ça, on peut souffler un peu jusqu'au 31 juillet avec la Journée mondiale de la femme africaine, qu'on pourrait croire par cette appellation une et indivisible comme la République, mais qui est en réalité multiple et invisible comme chacun et surtout chacune le sait. Dès le lendemain, le 1er août, on célèbrera non seulement de la fête nationale suisse, que je porte dans mon cœur, mais le début de la Semaine internationale de l'allaitement maternel, qui intervient bizarrement plusieurs mois après la Journée mondiale de l'allaitement (le 25 mars), et se trouve jumelée avec la Journée mondiale de la frite, suivie dès le 5 août par la Journée mondiale de la bière. Sans vouloir critiquer ni rien, je note à ce point de mon exploration que la Journée du topless intervient bien après, soit le 28 août, après un tunnel festif déconcertant : le 8 août, on célèbre les chats et, le 17 août, les chats noirs. Puis, dans une sorte de montée des périls sémantique, la Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition tombe le 23 août, juste avant la Journée du Chien, le 26 août, et la Nuit internationale de la Chauve-souris le 29 août. Je ne saurais terminer ce paragraphe sans mentionner que le 31 août la Journée mondiale du blog, à ne pas confondre avec la Journée mondiale de procrastination, le 25 mars, dont je vous parlerai une autre fois.

Le mois de septembre commence en fanfare avec la Journée mondiale de prière pour la Création, qui précède très logiquement la Journée de la Barbe le 3 du mois. J'en profite pour saluer mes camarades de l'éponyme Groupe d'Action Féministe, ainsi que les hipsters et les barbus, qui n'ont que ce jour pour se poiler tous ensemble. On ne saurait trop leur conseiller de trouver un langage commun le 19 septembre, lors de la Journée Internationale du Parler Pirate, avant de nous raser le 25 septembre pour la Journée internationale de la contraception, laquelle a été judicieusement placée avant le 28 septembre, Journée internationale du droit à l'avortement, qui apparaît comme une sorte de session de rattrapage pour les étourdies abonnées à l'oubli de pilule ou au craquage de préservatif. Là, d'un coup, arrive alors le 11 octobre, qui permet de célébrer la Journée mondiale des filles, immédiatement suivie de la Journée mondiale de la femme rurale, le 15 octobre. Je n'ose imaginer les animations qui honorent la paysanne ce jour-là, mais j'espère que les roulades dans le foin y figurent en bonne place. C'est bio la vie !

Le 18 octobre, permet de faire une (méno) pause avec la journée qui lui est dédiée, et le 25 novembre, on aborde le dernier morceau de l'année féministe qui fait froncer les sourcils avec la Journée internationale de l'élimination des violences à l'égard des femmes. Il est alors temps de prendre un repos bien mérité pour aborder fraîche et inspirée le 21 décembre, Journée mondiale de l'Orgasme ! Je ne suis pas spécialiste de la question, mais je suppose qu'il doit y avoir des moyens de célébrer cette journée d'une façon qui ne soit pas tout à fait ennuyeuse. C'est la raison pour laquelle je propose la délocalisation immédiate du 8 mars au 21 décembre.

Pour ce qui me concerne, j'espère que nos mobilisations communes seront entendues par le gouvernement actuel. Mais vu que le 10 mars est la Journée de l'audition, je crois qu'il va falloir crier fort. Et tenir jusqu'au 20 mars, journée internationale du bonheur. En attendant d'y arriver... Eh... lisez-moi !

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