J’ai rêvé que Macron me suçait les seins. J’étais là, au musée du Louvre, dépoitraillée face à « La Liberté guidant le peuple », et le petit Manu s’est soudain glissé entre moi et le tableau de Delacroix pour me têter à l’improviste. Alors que j’essayais de le détacher, le tableau s’est effacé, laissant place à une autre œuvre : le Radeau de la Méduse.
Vous n’allez pas me croire, mais j’ai fait ce rêve bien avant les déclarations tonitruantes de Macron sur la colonisation. Depuis il y a eu Fillon et Pénélope, et le déluge finalement qui s’abat sur le Trocadéro, où 200 000 personnes divisées par 10 s’étaient pressées en bus Macron pour acclamer leur héros, Monsieur J’Irai Jusqu’aux Boues.
Je ne sais pas si Fillon est autiste, mais son discours est tellement déconnecté de la réalité que je me demande s’il ne devrait pas voir quelqu’un (non, pas la Vierge !). Et encore, ce n’est rien à côté de Macron déchaîné à Toulon, avec son gaullien « Je vous ai compris » qui prétend couper court à la polémique qu’il a créée lui-même sur la colonisation (si vous pensez qu’elle a eu des bienfaits, tapez 1 ; si vous pensez que c’est un crime contre l’humanité, tapez 2 ; si vous êtes la personne sur laquelle on tape, veuillez patienter nous allons prendre votre appel au secours dans quelques instants).
Le radeau de la Méduse
A ce stade, je pense qu’il faut redoser les substances licites ou illicites que ces individus absorbent pour partir à l’assaut de la France. Je dois tout de suite préciser cependant que mon lait maternel ne contient pas, autant que je sache, de psychotropes, et que je ne saurais être tenue pour responsable du grand délire sémantique de Monsieur Macron au cours des derniers jours, et ceci pour deux raisons : 1) Je ne l’ai allaité qu’en rêve, et non dans la réalité 2) Je n’ai plus de lait dans les seins depuis maintenant une vingtaine d’années. 3) Même à l’époque je n’étais ni droguée ni alcoolique. 4) Ça suffit maintenant ces soupçons déplacés sur ma vie sexuelle avec Macron, je vais finir par me sentir humiliée moi aussi, comme les opposants au Mariage pour Tous, à qui la loi Taubira semblerait avoir fait un tout petit peu de peine, ce qui explique qu’ils aient accablé la ministre de la justice d’insultes racistes et sexistes, et répandu leurs avis éclairés sur l’homosexualité contre-natureeeeuh urbi et orbi.
Je me demande cependant pourquoi mon inconscient a remplacé si vite la Liberté guidant le peuple en Radeau de la Méduse. Les raccourcis psychiques sont souvent des signes : ils indiquent la façon dont je perçois la réalité sans le prisme de ma bonne conscience.
Or, vous allez rire, le Radeau de la méduse parle justement de colonisation – la grande controverse du moment, en ces temps de grand remplacement de la question sociale par le débat sur le voile, le halal et la banlieue.
Géricault a décidé de peindre le naufrage de la frégate La Méduse, qui s’est échouée sur un banc de sable au large de la Mauritanie en juillet 1816, il y a plus de 200 ans. 200 ans, c’est une petite dizaine de générations. 200 ans, c’est la Restauration. Pas celle qui rime avec Top Chef, celle qui rime avec « Oui chef ».
Qu’allait donc foutre cette Méduse au large de la Mauritanie ? Je vais vous le dire, bande d’emplâtres, parce que je suis insomniaque et que Wikipédia a fait le boulot pour moi.
Tout commence en 1815 avec le retour de Louis XVIII sur le trône de France dans ce qu’on appellera le Seconde Restauration, après la raclée que Napoléon s’est prise à Waterloo, qui met fin à son règne dit des Cent Jours. Détail charmant : c’est à Waterloo que l’on doit l’expression « avoir les Anglais qui débarquent » pour désigner les règles, car l’uniforme des Anglais était rouge. Je le sais depuis que j’ai écrit un livre sur le sujet qui s’intitule « Ceci est mon sang, petite histoire des règles, de celles qui les ont et de ceux qui les font », publié par La Découverte.
Contrairement à la Terreur « rouge », dont les Vendéens peinent encore à se relever, selon Fillon et ses amis, la Terreur blanche visait les révolutionnaires et les bonapartistes – qui d’ailleurs se détestaient cordialement entre eux. Mais c’est l’Afrique noire qui allait payer le plus lourd tribut de cette Terreur blanche. Car les Anglais venaient juste d’accepter de rendre le Sénégal à la France par le traité de 1815. C’est donc pour aller « entériner cette restitution » que la Méduse est appareillée le 17 juin 1816, à la tête d’une flottille qui compte trois autres bateaux, dénommés respectivement Loire, Argus et Echo.
Parmi les 400 passagers de la Méduse, on compte le colonel Julien Schmaltz, gouverneur du Sénégal, qui insiste pour qu’on prenne une route plus rapide, et cause ainsi le désastre : la frégate s’échoue sur un banc de sable au large de la Mauritanie. La plupart des passagers dont le colonel et sa femme, qui se prénomme Reine, montent sur des chaloupes, et 167 naufragés dont une seule femme qui sera jetée par-dessus bord le premier jour (sympa), embarquent sur un radeau. Les trois chaloupes doivent remorquer le radeau, mais Juju le Colonel trouve que ça ralentit la marche de la civilisation et largue les amarres en abandonnant les naufragés. Je vous passe l’épisode où ce beau monde a longuement discuté sur l’opportunité de jeter ou non les canons de sa majesté pour désensabler la Méduse (et la réponse est non). Il y avait, nous disent les commentateurs de l’époque, une ambiance exécrable sur la frégate, qui n’était pas si fringante qu’on l’imagine quand on a regardé trop souvent Angélique marquise des anges sur sa télé noir et blanc.
Les naufragés de la Méduse avaient en tout et pour tout un paquet de biscuits qui avait pris l’eau, deux barriques d’eau douce et deux barriques de vin. Pendant quinze jours, attendant d’être secourus, ils ont réussi à perdre les barriques d’eau douce et se sont copieusement bourrés la gueule les premiers jours, avant de céder à la panique et de s’entretuer – voire, dit la légende, s’entredévorer. Une bande d’anthropophages, d’esclavagistes, d’escrocs et de traîtres : voilà ce qui allait porter la mission « civilisatrice » de la France au Sénégal. L’œuvre de Julien Schmaltz semble se résumer à de sévères disputes avec le clergé local et à une activité qui pourrait se comparer à celle d’un VRP voulant vous fourguer des crédits conso ou des fenêtres double vitrage : toutes les cinq minutes, Schmaltz signe un traité avec un chef africain, à croire qu’ils étaient d’accord puisqu’ils ont signé. Tout juste si Wikipedia reconnaît que la création des différents postes commerciaux le long du fleuve Sénégal ne se fit pas « sans affrontements avec l'émirat du Trarza et de l'almamy du Fouta qui envahirent le Walo ». On apprend même que « la prise de la capitale de ce royaume Nder poussa la reine le Linguere Fatim Yamar Khouriyaye à se brûler vive au milieu de ses courtisanes ». C’est dire si la mission civilisatrice des agités de la Terreur blanche était mal comprise en Afrique Noire, en particulier par les femmes, surtout quand elles étaient reines.
La femme et l’infâme
Pas plus tard que la semaine dernière, Elisabeth Badinter expliquait sur France Inter que l’élection de Marine Le Pen pourrait être une victoire pour le féminisme, mais pas pour la démocratie. Mais oui, allons-y, ne reculons pas devant les rapprochement hasardeux, et fonçons directement sur cette matraque – après, on pourra toujours dire que c’était un « accident » . Tout comme la victoire d’Hitler serait celle du végétarisme ou des peintres ratés, celle de la blonde héritière de la pensée nationale socialiste pourrait donc pour certain.es être celle d’un idéal qu’elle exècre. Pourtant regardez son clip de campagne : ce qui la branche, Marine, c’est les bateaux, les longues promenades sur la plage, et la France. Mais le féminisme, ça lui en touche une sans faire bouger l’autre, pourrait-on dire. Elle l’a avoué elle-même un jour qu’on l’interrogeait sur le sujet en disant qu'elle ne savait pas ce que c’était. Mais pour les couillons médiatiques qui se piquent d’organiser le débat présidentiel, le féminisme se résume apparemment à être une femme. A ce compte, il suffirait d’être humain pour être humaniste. Ou végétarien pour être hitlérien. Je doute que Jean-Luc Mélenchon, découvreur du quinoa l’été dernier, valide cette hypothèse.
Dans mon rêve, c’est une femme qui incarne la République, mais les femmes et surtout leurs droits ne sont pas, c’est rien de le dire, la priorité du moment, bien qu’on soit à la veille du 8 mars. Le naufrage de la Ve République laissera-t-il place à une VIe ou à une dictature ? A l’heure où je vous parle, les jeux ne sont pas faits. Mais maintenant que j’y pense, l’image de Macron suçant mon sein me fait furieusement penser au serpent que Cléopâtre avait utilisé pour se donner la mort. Comme disent les marins, on est mal barrés.