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Billet de blog 12 décembre 2016

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Ma nuit avec Manuel Valls

Le feuilleton présidentiel de mon inconscient se poursuit à Saint-Ouen avec Manuel Valls, Danielle Simonnet et trois cols bleus mystérieux. Attention, c'est un rêve !

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Le lancement de campagne a lieu dans un gymnase, quoi de plus naturel ? Manuel Valls, fringant, doit faire l’annonce de sa candidature et l’on attend de savoir qui va le remplacer, ou qui va le soutenir, ce n’est pas très clair et la mise en scène semble un peu dérailler. Que peut dire cet homme, maintenant ? Qui se préoccupe de ce qu’il peut raconter, alors que le gymnase semble sur le point de s’écrouler ? Au milieu d’une foule très dense, deux femmes semblent pourtant le dévorer des yeux : la ministre de l’Education Najat Vallaud Belkacem et la coordinatrice de la campagne de Mélenchon, Danielle Simonnet, qui vient paraît-il de se lancer dans le show bizness avec un spectacle au nom mémorable : « Uber, les salauds et mes ovaires ». Ce qu'elle fait là exactement ? Je n'en ai pas la moindre idée, mais elle ne me lâche pas d'une semelle.

Nous sommes à Saint-Ouen, dans ce bâtiment de l’île des Vannes où, en 1976, le Parti communiste français organisait son XXIIe congrès, celui, rappelez-vous, qui allait décider l’impensable : l’abandon de la dictature du prolétariat. Mon père, qui filmait la messe, mit des semaines à s’en remettre. Après, il y eut le programme commun, puis la victoire de François Mitterrand aux présidentielles – les premières élections de ma vie. Je me rappelle avoir appelé mon père, ivre de joie (et bientôt de champagne acheté à un couples d’épiciers réfugiés cambodgiens qui pleuraient à chaudes larmes) : « Tu as vu Papa, on a gagné ! » Je me souviens aussi de sa voix froide : « Qui, on ? »

Il disait souvent que les socialistes nous tueraient. Ce n’était qu’une question de temps, qu’une question de patience. A la fin, on serait tous morts. Il a d’ailleurs pris les devants en 1997, et je pense souvent à lui quand il y a des élections. Je me dis tant mieux, il n’a pas vu ça.

Et maintenant voilà que Manuel Valls annonce sa candidature à Saint-Ouen. Dans la vraie vie, j’ai rencontré le futur candidat, qui n’était alors que ministre de l’Intérieur en septembre 2012 à Saint-Ouen, où il était venu instaurer la première Zone de Sécurité Prioritaire. La Zone de Sécurité Prioritaire, je ne saurais pas vous dire aujourd’hui ce que c’était en réalité. Pendant un moment, il y a eu plus de CRS dans des camions, et des arrestations par ci par là. Mais en vrai, je crois qu’ils tournaient un film. Le député Bruno Le Roux  qui contrairement à ce que son nom indique, est tout simplement chauve, avait accueilli Valls à bras ouverts. La maire de Saint-Ouen, Jacqueline Rouillon, était là aussi, les bras un peu moins ouverts, et même le préfet Lambert, homme de confiance de Nicolas Sarkozy, qui l'avait nommé en Seine-Saint-Denis en remplacement de Nacer Meddah. Il fallait au moins ça pour "lancer" la zone de sécurité prioritaire, à croire qu'il s'agissait d'un missile sol-sol. Jacqueline Rouillon a d'ailleurs été laminée aux élections en 2014 grâce aux mêmes socialistes, toujours partants pour dégommer les communistes, et c'est aujourd'hui un maire de droite, le bien nommé William Delannoy, qui gouverne la ville, rebaptisée "Saint-Ouen-sur-Seine", sûrement pour faire comme Neuilly. Le Roux, lui, a remplacé Valls à l’Intérieur. Pas à l’intérieur de Valls, notez bien. Il n’y aurait pas la place, techniquement, parce que Le Roux est plus enveloppé et que ça craquerait aux entournures. Non, il l’a remplacé à l’Intérieur du ministère après que Cazeneuve qui l’avait remplacé avant progresse encore d’une case et devienne Premier ministre.

Pour revenir à la Zone de Sécurité Prioritaire, c’est vrai qu’à l’époque, dans certaines cités, il fallait montrer patte blanche pour pouvoir rentrer chez soi, parce que les dealers tenaient les halls. Des petits bourgeois venaient le week-end faire leurs courses. Ils allaient souvent à Allende. Qu’Allende donne son nom à un spot de shit, c’est peut-être un triste épilogue, mais il y a toujours des rebondissements dans la vie et les gens écrivent maintenant Alien D. au lieu d’Allende. Et dans le parc près de chez moi, on pouvait lire aussi en juin dernier : « Vive le bac, baise la bac. »  

Manuel Valls, en 2012, portait beau. En le voyant annoncer sa candidature à la télé, quatre ans et plusieurs attentats meurtriers plus tard, je me dis qu’il a maigri. Je ne compte plus le nombre d’informations inutiles qui s’incrustent désormais dans mon cerveau : le divorce d’Angelina Jolie, les joues creusées de Manuel Valls, le dernier roman d’Enjoy Phoenix.

Najat Vallaud Belkacem, qui avait déboulé elle aussi à Saint-Ouen en 2012 une semaine après Manuel Valls pour célébrer la crèche Bourdarias, où se pratiquait une pédagogie antisexiste, écoute dans mon rêve le candidat Valls qui s’époumonne dans la nef de l’île des Vannes sans parvenir à couvrir le bruit de fond de la foule. Je ne le sais pas encore, mais dans quelques jours, Emmanuel Macron poussera à son tour des cris d’orfraie pour le lancement de sa propre candidature. Ils vont finir par se faire une extinction de voix. En période d'élection, ce n'est pas très bon signe.

Danielle Simonnet me propose alors d’aller rencontrer Mélenchon dans une autre salle. Je la suis volontiers, trop contente d'échapper à cette gabegie, mais sur le chemin, ma sherpa, son Uber, ses salauds et ses ovaires changent soudain d'idée :

- Allez, on va voir Marine !

Je rue dans les brancards :

 - Ah non, pas Marine ! Je l’ai déjà vue hier !

Mais elle me tire par le bras et je suis obligée de la suivre en espérant trouver une porte de sortie en chemin pour pouvoir m’éclipser discrètement avant de me retrouver dans en tête à tête avec Roger Holeindre et de sa joyeuse bande de Waffen SS. Dans les couloirs du gymnase, trois ouvriers basanés sont effondrés près de l’ascenseur. Parmi eux, je reconnais mon cousin Khader, qui me fait un clin d’œil. La raison de sa présence en ces lieux m'échappe, car il est prof de sciences naturelles et n'a rien d'un ouvrier. Par contre, il est toujours celui qui m'expliquait la vie :

 - Si tu veux passer inaperçue, fais semblant de vérifier les poignées de porte, me dit-il en confidence. Tout le monde pensera que tu travailles là. Manuel Valls, en nous voyant en bleu de travail, n’a même pas pensé à nous saluer.

Malheureusement, je n’ai pas le temps de vérifier les poignées de porte qu’il est déjà temps de se réveiller. Il y a une alerte aux particules fines et comme je n’ai ni voiture paire, ni voiture impaire, je ne me sens pas concernée. Pendant un moment, j’essaie bien d’arrêter de respirer, mais je n’y arrive pas. Le corps humain n’est pas fait comme ça, ne me demandez pas pourquoi. Je me contente donc de soupirer, mais je crois que les particules fines rentrent quand même. On me dit dans l’oreillette que Jean-Luc Mélenchon a fait plus de vues sur You Tube qu’Enjoy Phoenix. Mais c’est qui, Enjoy Phoenix ?

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