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Billet de blog 13 janvier 2016

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A Grigny, la France comme d'habitude

Je n'avais pas envie de faire pénitence à République le 10 janvier. Commémorer une marche à laquelle je ne suis pas allée aurait été un peu dingo, surtout que je ne suis pas plus fan que Cabu de Johnny Hallyday. A la place, je suis allée à Grigny. Et je n'ai pas regretté le voyage.

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« Trop d'informations en mauvais dans les médias », « « Sourire pour le vivre ensemble », « Silence, calme, politesse, respect, propreté », « Grigny, exemple vivant de la diversité», « Je suis bien malgré ce qu'il se passe », « Grignois et fier de l'être », « Ensemble, nous avons plus de force », « On aime la France, pays riche, fort, grande nation. Les intellectuels essaient d'utiliser leur intelligence négativement. Nous résistons et vivons ici. Nous défendons la France comme d'habitude. »

Pendant plusieurs semaines, à la suite des attentats de janvier 2015, les habitants du collectif Elan citoyen de Grigny ont sillonné les marchés pour recueillir la parole des habitants sur le thème du vivre-ensemble. Souleymane Hissourou, le président nouvellement élu de l'association est heureux de partager ces témoignages dans la salle Pablo Picasso remplie, ce dimanche 10 janvier 2016, pour une exposition inédite.

« Si quelqu'un veut écrire un roman, il y a de très beaux mots sur ces grilles... », assure-t-il. Au même moment, place de la République, une assistance clairsemée écoute Johnny Hallyday et le maire de Grigny, Philippe Rio, est interviewé sur BFM TV. Il dénonce l'apartheid social et territorial et appelle Manuel Valls à respecter ses engagements en donnant à sa ville les moyens d'instaurer « la République pour tous ». Bon, peut-être que Manuel Valls écoutait BFM, mais si on en croit le timing, il était plutôt en train de se cailler les miches place de la République. On ne peut plus allumer la télé sans voir des gens avec des gueules d'enterrement. Heureusement que David Bowie avait le sens du make up, sa mort semble le seul moment de vie de cette longue nécrologie télévisuelle, entrecoupée d'attentats à rythme quasi quotidien.

Pour les Grignoises et les Grignois qui se sont réunis salle Pablo Picasso en ce dimanche après-midi pluvieux, ce qui prime, c'est de défendre leur ville injustement attaquée au moment des attentats de 2015. Mais aussi d'affirmer leur solidarité envers toutes les victimes et de mettre en avant leur mixité culturelle et religieuse, afin d'effacer l'affront de janvier 2015 : parce que l'un des terroristes avait grandi à La Grande-Borne, côté Viry-Châtillon, les médias ont fondu sur la ville comme une nuée de sauterelles, et leur passage a eu son effet habituel sur les cultures.

Un article du Figaro les a particulièrement choqués à l'époque. « C'était un papier écrit à la volée, à partir de témoignage recueillis à la sortie d'un collège de Grigny, au mépris de toute déontologie d'ailleurs, puisque ces mineurs s'exprimaient sans le consentement de leurs parents. », rappelle Rabah Rahmani, journaliste et coordinatrice de Reporter citoyen, qui est venue à Grigny ce 10 janvier. L'article laissait entendre qu'à la Grande Borne, tout le monde soutenait « la théorie du complot », et que l'on ne se disait pas facilement « Charlie »."Pourtant, précise un membre du collectif Elan citoyen, on était des centaines à être venus en bus le 11 janvier, pour la marche."

Les jeunes reporters en formation – dont certains viennent de Grigny, décident alors de faire une vidéo pour dénoncer les clichés véhiculés dans les médias et affirmer leur volonté d'agir et d'être reconnus comme des citoyens à part entière.

« La vidéo a fait un buzz énorme à l'époque. On a eu la visite du ministre de la ville Patrick Kanner, puis celle de Najat Vallaud-Belkacem, raconte Sabah Rahmani. On a pu faire entendre une autre voix, donner une autre vision des banlieues." Djigui Diarra, l'un des signataires de cette tribune, poursuit : « On était en rage parce que les journalistes qui étaient venus n'avaient pas respecté la déontologie de base, ils n'avaient pas croisé les points de vue, ils n'avaient pas remis les propos dans un contexte, à part celui de leurs propres préjugés. Alors on a pris la parole, et on a dit ce qu'on avait à dire. Parce qu'on fait partie de cette France, qu'ils le veuillent ou non. »

Ce sursaut citoyen dont les élus grignois s'énorgueillissent portera-t-il ses fruits à Grigny ? Les habitants veulent le croire. Pour les accompagner dans cette démarche, Elan citoyen de Grigny a fait appel à deux sociologues, Gérôme Truc et Fabien Truong. Le premier travaille sur la sociologie des attentats. Le deuxième étudie depuis plusieurs années les trajectoires de jeunes de banlieues. Leur idée ? Déconstruire les stéréotypes, aller « au-delà du film » pour inventer un nouveau « roman national » avec les habitants. Peut-être qu'il s'appellera « La France comme d'habitude » ? Ça plairait sûrement à Souleymane Hissourou. La suite au prochain épisode. 

Et en +

Revoir la vidéo de Reporters citoyens : https://www.reporter-citoyen.fr/?p=5622

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A lire :

Gérôme Truc : Sidérations, une sociologie des attentats. PUF. Le lien social.

Fabien Truong : Des Capuches et des hommes, trajectoires de « jeunes de banlieues ». Buchet Chastel, et Jeunesses françaises, bac+5 made in banlieue, éditions La Découverte.

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