
Quand j’étais jeune je lisais de la poésie.
Je lisais Verlaine et Rimbaud, Baudelaire, Apollinaire, Mallarmé ou Villon. Pas de femmes, à part Colette qui n’était pas poète ou Elsa Morante qui est depuis que je l’ai découverte à vingt ans la plus grande de toutes. La Storia m’a plaquée au sol quand je l’ai lu. Il y avait la vie dans chaque phrase, chaque mot, chaque regard porté sur un tout petit enfant, un bébé, pendant que se déroulait « la storia », la grande Histoire, durant laquelle mes parents étaient nés dans la réalité.
Les poètes vous font ça même quand ils n’écrivent pas de poésie.
Jérôme Bertin vous fait ça quand il écrit Rage tendre et accomplit dans ce recueil la promesse du titre, pendant qu’on rit et qu’on grince des dents. Raconter l’enfance et la prime jeunesse, avec les mot crus, le glauque, la vie de famille, les pulsions, les désirs, l'humour, les déchirements, les blagues, les coups pendables et les accidents d'amour propre dont on ne se relève jamais vraiment.
Il ne fait pas joli Jérôme Bertin, il fait pire, selon la formule de Victor Hugo, qui n'a rien à faire dans ce billet, pardonnez-moi.

Il y a le rythme, le son, l’odeur, la brûlure de Rage tendre.
En racontant la vie d’un gosse de la France profonde, ses coups de cœur et ses coups de queue, ses frustrations, ses désirs plus grands que lui, Jérôme Bertin parle de moi et de vous, à un endroit que nous avons tous et toutes un jour connu.
Alors que j’ai six dizaines d'années au compteur et que je bois du thé earl grey en me demandant si c'est vrai, cette histoire de vieillesse et de mort, mon coeur bat comme si j'avais moi aussi douze ans, une Marie Chadou dans ma vie, et le goût âpre d'une première clope dans ma tronche adolescente.
Je suis ces mots qu’il hurle ou qu’il murmure comme on se touche tard dans le lit en cachette, comme on s’égratigne dans les bois, dans les bras de mecs maladroits, égoïstes et rances.

Rage tendre, c’est la voix d’une génération, n’importe laquelle, qui vous met directement le nez sur l'adolescence et ça marche quel que soit votre âge, votre genre, votre classe, votre origine. L’enfrance profonde, oui, avec un « r », la vie brute et sans fard des gosses de la Creuse, des violences qui nous dépassent, des émois sans moi et des envies sans vie.
C’est une poésie de la lutte des classes où l’on bosse à l’usine, à la mine, où l’on traîne dans les rues en fumant des joints. Où on aime le vélo, la moto, faire des conneries, des sales coups, des trucs pas trop nets.
C’est surtout la voix d’un poète un vrai même pas tatoué, qui n’est jamais du côté des vainqueurs et des malins, des bons mots et des piques spirituelles.
C’est une poésie d’aujourd’hui qui se fout de tout mais qui fout les poils, de celles qui resteront sûrement après que les faussaires à grand tirage auront disparu.
Autant que je sache Jérôme Bertin est né en 1975 et vit à Limoges où il écrit jour et nuit.
Son dixième livre, Rage tendre, est dans toutes les bonnes librairies.