Depuis la nuit des temps, des femmes et des hommes se demandent pourquoi la Lune paraît plus grosse à l’horizon qu’au zénith. Aristote, au IVe siècle avant notre ère, pensait que ce phénomène était dû au fait que l’atmosphère agissait comme une loupe. En réalité, c’est notre perception des distances qui nous donne cette fausse impression appelée « illusion lunaire » : lorsqu’elle apparaît à l’horizon, la Lune peut être comparée à des montagnes, des arbres, des villes et paraît plus grosses par comparaison. Dans le ciel, à côté des étoiles très éloignées que nous voyons comme des points lumineux, la lune semble beaucoup plus petite.
Notre psychisme nous joue de nombreux tours. Dans un article de sa newsletter (en anglais, mais les sites de traduction automatique permettent d'en apprécier la teneur si besoin), la gynécologue canadienne Jen Gunter, autrice du formidable Ménopause Manifesto que je cite plusieurs fois dans Ceci est mon temps, remarque que lorsqu’on nous expose d’abord à des informations fausses ou approximatives, nous ne parvenons pratiquement jamais à nous en défaire. Ainsi de la ménopause, qui fait beaucoup parler en ce moment. Qu’il s’agisse de nous vendre des hormones, des champignons hallucinogènes, des compléments alimentaires inutiles voire toxiques ou des traitements plus ou moins farfelus supposés relancer la libido ou guérir la sécheresse vaginale, les marchands d’illusion sont prêts à tout, allant de la terreur (une vidéo sur YouTube titrée « La ménopause est un danger pour votre corps ») aux promesses mirobolantes (« les hormones vont prévenir la démence »).
Croyez-moi, je serais ravie qu’un traitement m’empêche de devenir cinglée, ce qui est probablement trop tard car on m’a cataloguée comme telle depuis que je suis enfant. Mais d’une part les études sont, toujours d’après Jen Gunter, encore peu concluantes sur ce sujet et, d’autre part, les estrogènes continuent à être formellement interdits aux personnes qui ont souffert ou sont susceptibles de souffrir d’un cancer du sein, d’endométriose, de maladies du foie ou d’antécédents cardio-vasculaires.
Évidemment, prendre un tel risque semble absurde si l’on pense que la ménopause n’est pas une maladie. C’est pourquoi la propagande médiatique s'acharne tellement à dramatiser les symptômes de la ménopause, afin de terrifier celles qui la traversent, en leur promettant de les délivrer de cette terrible malédiction avec quelques comprimés et des crèmes anti-âge.
Que les traitements hormonaux puissent être un soulagement pour certaines en périménopause, cela ne fait aucun doute et si elles sont heureuses, je le suis aussi. Mais ainsi que le remarque Jen Gunter, avant de se fier à une information concernant la ménopause (et la santé en général), il faut examiner un certain nombre de critères, notamment les profits que la personne qui vous conseille tel ou tel traitement peut générer. S'agissant de la ménopause, on parle d'un marché de 22 milliards d'euros par an d'ici à 2030 – soit plus ou moins le PIB du Niger, qui va être ravi de l'apprendre.
Malheureusement, en France comme dans la plupart des pays, les liens d’intérêt des médecins ne sont jamais mentionnés lors de leurs passages dans les médias. (On peut cependant vérifier ces liens sur le site gouvernemental transparence santé). Même l’association française All for menopause, dont se réclament plusieurs médecins, journalistes ou influenceuses, bénéficie du "soutien institutionnel de Theramex", premier laboratoire à avoir commercialisé les traitements hormonaux de la ménopause (THM) dans les années 1970, ce qu'il fait bien sûr toujours aujourd'hui. Non que ces personnes mentent ou nous manipulent délibérément ; simplement, elles servent les intérêts de ceux qui les soutiennent. Et l'histoire, hélas, nous apprend que ces intérêts ne coïncident pas forcément avec les nôtres, et que la transparence est rarement au rendez-vous, comme les multiples scandales sanitaires – des pilules de 4e génération aux prothèses vaginales – en apportent régulièrement la preuve.
En ce qui me concerne, je peux vous dire ce qui a été un danger pour mon corps : le patriarcat, qui m'a exposée aux violences sexuelles et sexistes dès le plus jeune âge. Ce qui me met aussi en danger, moi, mes semblables et ma descendance, c'est la destruction de la planète due à la soif de profit sans limite du marché capitaliste, qui m'inonde de perturbateurs endocriniens, de produits chimiques et de particules fines, tandis que les tempêtes s'abattent sur l'Europe et que l'eau de Méditerranée cuit les poissons alors qu'ils sont encore en train de nager.
Par comparaison, la ménopause a seulement été un tournant dans ma vie, et au cours de cette métamorphose, mon corps a trouvé la ressource en lui-même pour aller vers son risque, suivant la formule de René Char. Je ne sais pas si ces ressources sont toujours présentes quand on a étouffé par des hormones de synthèse un remaniement subtil qui modifie en profondeur et durant plusieurs années notre métabolisme et nos perceptions – parfois même pour le meilleur.
Car ce qui doit changer doit changer, nous dit toujours la Lune. À un moment, ton corps veut te faire éprouver un intime équinoxe, tandis que tes feuilles s'envolent dans les premières bourrasques d'automne. Il stabilise et déstabilise les humeurs qui t'habitaient, t'entraînant vers le solstice d’hiver, à la recherche de tes ombres et de tes tourments, goûtant les brumes et les humus, les feux de cheminée, l'odeur de fumée dans tes cheveux mouillés. Il te propose d’autres façons de vivre, à la fois plus violentes et plus calmes, et tu auras droit – je te le promets – à de nouveaux printemps, comme l’affirme la médecine chinoise, et même à des étés flamboyants.
Ton corps sait parce qu'il a traversé mille vies déjà, et toi aussi ; tout est écrit dans les brins ténus de ton ADN, dans ta psyché reliée à toutes les pensées du monde, et la ménopause en a toujours fait partie. Contrairement à ce qu'affirme un médecin dans un article par ailleurs très intéressant du Vif Belgique, l'augmentation de l'espérance de vie des femmes qui est passée de 46 ans en 1880 à 83 ans en 2023, ne signifie pas que personne n'atteignait alors l'âge où l'on peut enfin se passer des règles. Il est donc vain de déplorer comme le fait ce médecin que la nature n’ait pas "suivi cette rapide évolution en décalant également l’âge de la ménopause", ou de souligner le fait que "contrairement à l’homme, qui continue de produire de la testostérone et des spermatozoïdes toute sa vie, dès 50 ans les femmes perdent quasi entièrement une composante essentielle: les œstrogènes", en concluant faussement que "leur corps en paie indéniablement le prix".
S'étonner que la nature ne cale pas notre horloge biologique sur les idées reçues des médecins est déjà rigolo. Mais confondre longévité et espérance de vie est une erreur regrettable quand on prétend informer la population. Aux XVIIIe et XIXe siècles – tout comme durant les précédents – une femme qui avait la chance de survivre à son enfance et aux accouchements pouvait mourir à 70 ans, voire plus, soit plusieurs dizaines d'années sans que ses ovaires produisent des estrogènes. D'ailleurs, si la disparition de ces hormones est si néfaste à la femme par rapport à la production continue de testostérone chez l'homme, j'aimerais qu'on m'explique pourquoi notre longévité persiste à être supérieure en dépit d'un statut social moins favorable. (Eh bien – quelle surprise – notamment en raison des effets protecteurs des estrogènes et de la progestérone que nous produisons naturellement pendant notre vie fertile, puis cessons de produire tout aussi naturellement à partir de la cinquantaine, bizarrement sans en mourir.)
Au risque de vous surprendre, oui, il y avait des vieilles au temps jadis. Il y avait des grand-mères très belles avec des amants très jeunes. Il y avait des anciennes puissantes et sages. Il y avait des amazones, des cuisinières, des matriarches, des voyageuses, des religieuses, des paysannes, des comtesses, des sorcières, des fées, des guerrières, des tigresses blanches taoïstes et des foutues salopes ménopausées. Et elles avaient toutes un corps et un sexe et un âge vénérable (vénérer comme dans Vénus et comme dans vénérien, pour une fois que l'étymologie est de notre côté) et pourtant on les empêchait déjà de s’exprimer en les disant folles, malades ou mauvaises, au point qu’elles avaient souvent fini par le croire.
Mais il est temps de rétablir la vérité : tout ceci n'est qu'illusion et nous ne sommes ni folles, ni malades, ni déficientes. Nous sommes le vent, nous sommes la mer, nous sommes la terre et le flot tumultueux des rivières. Nous sommes l’indicible joie de vivre et de pouvoir aimer. Encore.
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