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Billet de blog 23 avril 2016

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Vous avez dit excision ?

Le Hidjab Day de Sciences Po a fait un tollé dans le milieu des laïcs intégristes. Il a aussi dérangé un bon paquet de femmes et d'hommes qui en ont assez de voir ce genre de sujet monopoliser le débat dans un pays où 70 % de la population déclare n'appartenir à aucune religion. Cerise sur le gâteau : on nous parle maintenant d'excision. Ah, non, là, fallait pas nous chatouiller !

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Porter le voile pendant une journée pour soutenir les femmes qui choisissent d'être voilées ? Le Hidjab Day, de façon assez prévisible, n'a pas fait l'unanimité. Tout le monde y est allé de son petit couplet sur l'invasion islamiste ou sur l'intolérance laïcarde, pour le cas où on n'aurait pas par hasard mieux à faire qu'écouter ces maniaques s'engueuler à longueur de fil Facebook.

J'avais choisi là encore de la fermer pour ne pas alimenter ce trollisme bilatéral, qui pourrit le débat et me prend la tête inutilement. Mais je n'ai pas pu tenir parole. La raison ? Un dessin et un tweet retweeté de Mohamed Kacimi qui a cru bon de faire une blague sur sa page Facebook dont je vous livre ici le texte intégral (à la différence du voile, vous verrez il n'est pas long) :

 EXCISION-NOW
Pour sensibiliser l'ensemble des étudiants aux rites et coutumes des autres cultures, et démystifier le corps et le sexe de la femme, les étudiants du département de chirurgie de la Faculté de médecine Paris-Descartes encouragent leurs camarades à expérimenter le vendredi 22 avril l'ablation du clitoris. Le temps d'une journée. Venez nombreuses et nombreux.

 Le pire ce n'est pas tant ce post imbécile et pas drôle que le repost par un certain Frédéric Haziza, qui interpelle Clémentine Autain et Caroline de Haas en leur reprochant de préférer Tariq Ramadan (mais on ne sait pas à quoi).

Comme j'en ai ras la couette de voir les féministes interpellées à tout bout de champ par des convertis de la 25e heure qui ont découvert les droits des femmes dans une pochette surprise, j'ai décidé de reprendre du service pour éviter les banalisations dangereuses et remettre le débat sur de bons rails.

Commençons par le clitoris. Il s'agit comme chacun ne le sait peut-être pas d'un organe sexuel féminin qui peut procurer du plaisir à celle qui en est porteuse. C'est même son seul destin car il ne joue aucun rôle dans la fécondation.

Pour les amateurs d'anatomie, ajoutons que le clitoris est pourvu, comme les icebergs, d'une partie émergée et d'une partie immergée. Le bouton sort d'un à deux centimètres entre les jambes des femmes, juste en dessous du mont de Vénus. Il est entouré d'une barrière de protection, les petites et les grandes lèvres, ce qui a conduit les poètes à le comparer souvent à une fleur ou à une rose. Mignonne, allons voir si la rose..., de Ronsard, n'est pas seulement un hommage au jardinage, si vous voyez ce que je veux dire. La partie immergée peut atteindre 8 à 10 centimètres. C'est en quelque sorte un pénis inversé : celui des hommes se trouve à l'extérieur, celui des femmes à l'intérieur. Comme le pénis, le clitoris bande quand il est stimulé sexuellement, ce qui peut arriver dans de multiples circonstances et à tout âge, à condition que personne ne se soit avisé de le mutiler.

Or il existe une coutume qui consiste à couper le clitoris – le plus souvent à vif – dans l'enfance ou l'adolescence, et éventuellement les petites et les grandes lèvres, avant dans certains cas également de recoudre l'ouverture du vagin. Ce qui a pu motiver l'homo sapiens à mettre au point ce rite cruel à la fin du néolithique reste mystérieux, même si on se doute que cela a bien dû aider pour asservir la femelle de l'espèce en lui imposant un traitement comparable à une torture, avec toutes les conséquences qui s'y rattachent.

Mais le plus mystérieux est encore que cette coutume ait perduré jusqu'à aujourd'hui, dans un nombre considérable de pays de la corne de l'Afrique, d'Egypte, d'Indonésie. On compte 130 millions de femmes excisées dans le monde. 2 millions de fillettes sont mutilées chaque année. C'est-à-dire que le temps que vous lisiez le post si rigolo de Mohamed Kacimi, 4 fillettes auront été privées leur clitoris. Et le temps que que ayez fini de lire cet article, l'une d'entre elles sera morte d'hémorragie. Marrant, non ?

Je me permets de rappeler des faits parce qu'il semble que M. Kacimi ait un peu de mal avec la réalité. Au lendemain des attentats contre Charlie et l'épicerie cacher de Porte de Vincennes, il avait ainsi fait part dans une tribune de propos qu'il avait entendus lors d'une de ses interventions dans un établissement scolaire, expliquant que les élèves étaient pour le moins complaisants avec les terroristes. Puis, il avait dû préciser que ce « témoignage » était une fiction ou, du moins, une recomposition.

Car en effet, quiconque écrit prend le risque de la fiction. Et c'est parce que ce danger est partout, c'est parce que le monde médiatique nous pousse à chaque instant à la surenchère et à la dérive émotionnelle qu'il importe de bien faire attention à ce qu'on raconte. Parce que si on n'arrive pas à se mettre d'accord sur ce qu'est la réalité, sur ce qui la différencie d'une fiction, d'une opinion, d'un rêve ou d'une hallucination, on n'arrivera probablement à rien – et surtout pas à empêcher que le monde courre à sa perte, ce qui semble être le souci de toutes ces personnes qui parlent du voile à longueur de journée.

Je ne sais pas combien de gens ont lu la satire « Excision Now ». D'après la capture d'écran, 464 personnes ont aimé, ri ou adoré ce post. Le dessinateur de Charlie, Juin, a fait un dessin dans le même esprit. On y voit une femme hilare avec une paire de ciseaux à la main, qui affirme : « Escalade à Science Po après le jour du voile : J'essaie l'excision pour une journée ».

 A ce point de ma réflexion, j'aimerais apporter deux précisions.. 

La première est technique : on peut mettre et enlever un voile ou un hidjab sans mutiler la personne qui le porte. Car le voile n'est pas un organe sexuel. Il s'en distingue par plein de petits détails comme la taille, la texture, l'odeur, et la composition chimique. Certes,  le voile peut être biologique, quand il est fabriqué par exemple à partir de coton issu de l'agriculture du même nom. Cependant, il n'appartient pas au monde du vivant, contrairement au clitoris. C'est d'ailleurs un reproche qu'on pourrait lui faire si on ne craignait pas de mettre de l'huile sur le feu.

La deuxième est spirituelle, si l'on peut dire : contrairement à ce que laissent entendre les humoristes d'Excision Now, l'excision n'est pas un précepte islamique. Nefertiti, qui est née et a vécu bien avant le prophète Mohamed, était déjà excisée. Dans de nombreux pays où l'islam est présent sous une forme que l'on peut qualifier de rigoriste, comme l'Arabie saoudite, l'excision n'est pas pratiquée. Au Maghreb, où l'islam est la religion principale, et où elle mène parfois un combat violent contre la laïcité, les droits des femmes, la liberté de penser, l'excision ne fait pas partie non plus des coutumes ou préceptes musulmans.

Donc, l'escalade est un peu alambiquée en la circonstance. Pour reprendre la métaphore, c'est comme si on essayait d'escalader le Mont Blanc pendant 1500 mètres, avant de poursuivre sur le Kilimandjaro pendant les 1000 mètres suivants. Ainsi, la prochaine fois que des grands penseurs de la laïcité voudront se montrer amusants à propos des mutilations sexuelles, qu'ils n'oublient pas de repérer le terrain avant, au risque de sombrer dans une avalanche de stupidité.

 A la blague Excision Now, on continuera à répondre Excision No avec le Groupement pour l'abolition des mutilations sexuelles. C'est moins marrant que les polémiques à deux balles, peut-être, mais ça aura le mérite de servir à quelque chose.

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