ELISE THIEBAUT (avatar)

ELISE THIEBAUT

Abonné·e de Mediapart

91 Billets

5 Éditions

Billet de blog 23 juin 2024

ELISE THIEBAUT (avatar)

ELISE THIEBAUT

Abonné·e de Mediapart

Un solstice entre ménopause et démon de minuit

Le démon de minuit a saisi la France le 9 juin 2024 et ce n’est pas la première fois que ses relents sataniques nous menacent. On a déjà vécu ça le 21 avril 2002, j’avais 40 ans, une petite fille de 5 ans, on était un million à manifester et on jouait à se faire peur en sachant très bien que Le Pen perdrait. Lisez la dernière newsletter de Nouvelles Lunes en miroir sur ce blog...

ELISE THIEBAUT (avatar)

ELISE THIEBAUT

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

SOLSTICE ET LUNISTICE
Entre ménopause et démon de minuit


« La démocratie est la ménopause des sociétés occidentales, écrivait le philosophe Jean Baudrillard, et le fascisme en est le démon de minuit. »
 
Le démon de minuit a saisi la France le 9 juin 2024 et ce n’est pas la première fois que ses relents sataniques nous menacent. On a déjà vécu ça le 21 avril 2002, j’avais 40 ans, une petite fille de 5 ans, on était un million à manifester et on jouait à se faire peur en sachant très bien que Le Pen perdrait.
La vague d’espoir qui avait porté la gauche après la chute du mur et l’effondrement de l’Union soviétique était retombée comme un soufflé. L’élan des grandes grèves de 1995 contre, déjà, de la réforme des retraites, avait été brisé net, alors qu’on avait gagné. 1995, disent celles et ceux qui savent, c’est la dernière victoire. Chirac était président. Juppé Premier ministre. Mon père était encore vivant et on se croisait dans les manifs en s’époumonnant : « Tous ensemble ! Tous ensemble ! Ouais ! Ouais ! » Je ne savais pas encore que je portais l’infime embryon qui donnerait, neuf mois plus tard, naissance à ma fille.
 
Être féministe en ce temps-là était considéré comme une vaste blague. On nous disait qu’on avait tout gagné, il suffisait d’attendre et les choses finiraient bien par s’arranger. On nous disait que la vraie bataille était sociale et je ne savais pas vraiment qui était Françoise d’Eaubonne, celle qui avait formulé depuis longtemps la pensée écoféministe, en affirmant que la matrice de toutes les inégalités, des dominations et des violences, comme du désastre écologique, était le patriarcat.
 
Je me souviens du jour où une amie m’a dit, cette année-là : « Tant qu’on ne s’attaquera pas à la question des violences sexistes et sexuelles, rien ne bougera. » Je me rappelle avoir soupiré. Les violences, bon, qui avait envie de s’y confronter – en plus de ce qu’on n’appelait pas encore la charge mentale, des 20 % de revenus en moins et de l’absence des femmes en politique ou dans les médias ? On pensait encore que la violence, ça arrivait seulement aux autres. On n’avait pas encore pu dire, haut et fort : moi aussi.
 
Ce 9 juin 2024, j’étais au cinéma pour voir le film de Christine Angot, Une famille, en compagnie d’une amie de longue date, avec laquelle j’ai manifesté et bataillé, ri et pleuré, depuis le lycée. La séance devait être suivie d'un débat avec la réalisatrice. La force du film d’Angot réside dans la confrontation sans concession avec le réel, la réalité vécue, au prisme de l’inceste et de sa banalisation. Notre refus de voir et d’entendre. Notre obstination à nous détourner, sans jamais pouvoir échapper à la violence. Mais une autre réalité, après le générique, nous a rattrapées. L’animateur a annoncé la dissolution et on est sorties en catastrophe pour essayer d’en savoir plus, laissant C. Angot dans le noir.
 
Il faisait froid rue Monsieur Le Prince, on a passé des coups de fil, j’étais en état de choc et je claquais des dents. Tout de suite, j’ai pensé à Naomi Klein. Dans La Stratégie du Choc, son livre somme paru en 2008, elle analyse la prise de contrôle de la planète par les tenants de l’ultralibéralisme tout-puissant. Sa méthode ? Instrumentaliser crises et désastres pour écraser les valeurs démocratiques et les remplacer par la loi du marché, la barbarie et la spéculation. Macron ne fait qu’exécuter ce plan, convergeant avec les manœuvres de Steve Bannon, conseiller stratégique de Trump, qui a fondé en 2018 « Le Mouvement » pour lancer « une révolution de droite en Europe », et de Vincent Bolloré, qui avec C-News et Europe 1 assure la promotion de l’extrême droite en France. Le racisme et le virilisme, la transphobie, l'islamophobie et l'antisémitisme en sont les racines. C'est ça, la suprématie blanche, et on n'en a pas fini avec ce démon.
 
Pour ce solstice – le jour sera le plus long de l’année – on a vu aussi un lunistice : quand la lune se lève entre deux extrêmes. Sachez, pour conclure cette étrange configuration astrale et politique, qu’au moment même où l’on se demande comment « étonner la catastrophe », selon la formule de Victor Hugo, des scientifiques envisagent de creuser un trou de cinq kilomètres dans la Lune pour vérifier la stabilité des protons, tandis que la Nasa veut faire circuler des trains de marchandises en lévitation sur la Lune.
 
Quoi qu’il en soit, le 30 juin, il serait préférable que la ménopause l’emporte sur le démon de minuit. Parce que ce démon, on sait ce que ça donne. On l’a vu dans l’histoire, on le voit dans nos vies. Et même dans les vits, soumis à la pression de la bandaison obligatoire, de la performance aveugle, pour un plaisir très aléatoire. En revanche la ménopause, c'est la liberté, la puissance et la solidarité. Et, bien sûr le triomphe de l'amitié.
 
Le Front populaire semble bien plus prometteur que ces vieilles lunes (et, oui, on s’engueulera après, si vous y tenez, mais partons du principe qu’on aura mieux à faire).

Pour s'abonner à la newsletter ou lire les précédentes en ligne, rendez-vous sur nouvelleslunes.fr

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.