Je me suis endormie sur L’émission politique, après une virée au Salon du livre qui m’a comme toujours donné le bourdon. Tant de livres, tant d’écrivain.es, si peu de littérature. Mais bon. De retour à la maison, calée dans mon lit, je découvre les derniers tweets, et surprends Christine Angot en plein happening électoral. Sur ma timeline, c’est l’extase. On se réjouit de cette parole vraie qui a renvoyé Fillon dans ses buts. Je visionne. Je rattrape, et je me sens soudain nauséeuse. Ce que je vois ne correspond en rien à l’idée que je me fais d’une parole vraie. Désolée Madame Angot. On vous dit courageuse. On vous exalte désormais. Et certains de mes amis prétendent même que vous avez des couilles. Bienvenue dans un monde sévèrement burné.
Pourtant, ce petit outing électoral ne m’a pas convaincue. Que la papesse de l’autofiction, dont j’aime la langue inclassable et le verbe incassable se trouve tout à coup bombardée dans l’arène politique pour dire son fait à François Fillon me paraît relever de ce que l’on appelait jadis « la société du spectacle ». Le scandale était attendu. Il est prétendu. Le scandale réel était comme l’a si bien expliqué Claude Askolovitch dans l’écrasement de toute parole citoyenne. Celle de Mireille Robin, chômeuse. Celle de Laurence de Cocq, historienne, brandissant le livre de Suzanne Citron (qui, heureux dénouement, se trouve soudain en tête des ventes de livres aujourd'hui). Tout à coup on perdait notre temps avec Angot qui fait son petit numéro avec des accents grincheux de cour d'école. Et presque, presque, Fillon qui paraît authentique. Tellement tout ce cirque semble fabriqué. Contreproductif ? Vous m’enlevez le mot de la bouche.
Là-dessus, comme je le disais, je me suis endormie. Et j’ai rêvé. Dans mon rêve, il y avait un loup qui essayait de manger ma fille. Je ne suis pas meilleure mère qu’une autre, mais j’ai jugé bon d’intervenir pour sauver mon enfant. Et là je me suis aperçue d’une chose étrange : le loup mangeait mon enfant (et pour tout dire : la culotte ensanglantée de mon enfant, qui n’est plus une oie blanche) parce qu’on lui interdisait en réalité de manger la nourriture qu’il préférait, à savoir de la pastèque. Pas steack, pour les amatrices/teurs de jeux de mots. Je de maux. OK, j’arrête.
Vous vous demandez à ce point quand on va vous parler de François Hollande, et je suis au regret de vous dire que ce n’est pas tout de suite.
Donc, je m’approche du loup, qui est en train de manger mon enfant, et je m’aperçois qu’ils sont tous deux couchés sur un morceau de pastèque. Le loup est affolé. Je le caresse pour le tranquilliser, et très doucement je sors le morceau de pastèque pour le substituer à la culotte de ma fille. Celles et ceux qui savent de quoi je parle en ce moment dans « Ceci est mon sang, petite histoire des règles, de celles qui les ont et de ceux qui le font » comprendront que je suis otage de mon inconscient menstruel, qui n’a jamais jamais connu de loi (blanche, évidemment) et encore moins de règles. Je suppose qu’il serait superflu de préciser qussi que je suis plus ou moins végétarienne, même si on s’en bat les steaks.
Le loup libéré, ma fille sauvée, je m’en vais sifflotant par les sentiers, à la recherche d’un autre bon moment de rigolade. C’est alors que je suis invitée dans une cabane. On est apparemment passés du Petit Chaperon rouge au Trois petits cochons, et comme je suis incapable de retrouver ma feuille de route, me voilà prise dans une nouvelle fiction de mon infatigable sommeil. Dans la cabane, je suis conviée à une sorte de téléréalité décorative façon Valérie Damidot. C’est en travaux, donc, mais je ne sais pas trop pourquoi, et encore moins ce que je fais là. Jusqu’à ce qu’on me dise que c’est « LA MAISON FRANCE». Sachant que la cabane (ou, plutôt, le cabanon) représente pour moi l’idéal de la maison, cette métaphore ne présage rien de bon. La cabane de bric et de broc si poétique est en effet en train de se transformer en délire artificiel, avec des faux parquets, des faux plafonds, des meubles en kits et des gadgets absurdes, sous l’œil enthousiaste d’une équipe de « spin doctors » qui travaillent pour la campagne de François Hollande (dont personne n'a l'air de savoir qu’il n’est pas candidat, ce que, contrairement à Christine Angot, je ne déplore pas). Rappelez-vous du loup du début. Celui qui va venir. Ai-je omis de le préciser ? Bien sûr, c’est une louve. Le but de ce nouvel agencement est bien de la tenir éloignée de la Maison France. Mais il y a malheureusement une faute de goût que je relève tout de suite : les toilettes se trouvent en plein milieu du salon. Est-ce que c’est définitif ? On ne sait pas. Les animateurs de la campagne n’ont pas le temps de s’occuper des détails. Mais avant, me dit-on, il n’y avait pas du tout de chiottes. C’était « la cabane au fond du jardin ». Alors il a fallu parer au plus pressé.
Comme il est subtil, mon inconscient, quand il veut me dire qu’on est dans la merde ! Mais je n’ai pas le temps de m’en extasier qu’on m’invite à quitter le chantier pour rejoindre « l’agence », où ne travaillent apparemment que des femmes. C’est un de ces « open spaces » qui font rêver. Propre, plein d’ordinateurs, une ambiance conviviale, un côté cool qui met tout de suite à l’aise. Je remarque cependant que les enfants sont fatigués et que personne ne s’occupe d’eux. Ils dorment debout, collés à des peluches, hypnotisés par des tablettes, et leur solitude me fait pitié. « Tu comprends, me dit une spin doctoresse, on a beaucoup trop à faire avec la campagne. C’est de la com top top niveau, une présidentielle.» Déboulent alors les maris, compagnons, amants ou copains – bref la team XY – qui proposent d’organiser un jeu de fléchettes pour détendre l’atmosphère en attendant la fin du débat. Car – je finis par comprendre - je suis en fait dans les coulisses du débat, son arrière-cour. Mais je n’ai pas le temps de m’en réjouir que des flèches commencent à fuser de toutes parts. Je m’inquiète encore plus pour les enfants, on pourrait leur crever les yeux. Mais une maman cool me rassure : « Il suffit de bien viser ! ». Je demande pourquoi aucune femme ne joue. Rappelez-vous d’Artémis, je leur dis, rappelez-vous de Diane. Les déesses de la chasse, quand même. Et vous vous ne vous occupez que de décoration ?
Pendant que les hipspères jouent aux fléchettes, les hipsmères se bourrent la gueule en regardant d’obscures statistiques sur leur écran. J’en ai marre d’être là, je vous le dis tout net, mais ils m’ont à la bonne, ces jeunes gens. Je suis leur mascotte en fait. Et les voilà qui soudain qui me soumettent une énigme : il faut que j’identifie des métiers disparus sur d’anciennes cartes postales. Je suis joueuse, je ne vous le cache pas. Mise au défi, je commence à chercher les signes de métiers disparus, tout un monde qui existait « du temps des cabanes « (comprenez : la Maison France), qui ne sont aujourd’hui partis en fumée, chômage de masse oblige. La couturière, le maçon, le cordonnier. Je récite comme une enfant. Le poissonnier, le serrurier, la modiste, le meunier… Mais tout à coup les voilà qui m’arrachent les cartes des mains en me disant que c’est bon, j’ai passé le test, ils vont m’emmener dans le saint des saints.
Tremblez, bonnes gens, car nous approchons du dénouement. Je suis en effet admise dans un nouveau décor, celui de « Plus belle la vie », au ceur de ma ville natale : une petite place pavée avec des tables branlantes et des enseignes en carton pâte. Et là, surprise, qui c’est qui est en train de dîner à la bonne franquette ? François Hollande ! Il mange en faisant "comme si". Comme si tout allait bien. Comme si ce n'était pas la fin des haricots. Comme si l'avenir voulait encore dire quelque chose. Sa mère a manifestement accepté de manger avec lui pour lui remonter le moral, qui ne va pas fort, mais elle voudrait plutôt être avec des copines à jouer à la belotte, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Détail navrant : il a les cheveux bouclés. Est-ce qu'il a toujours son coiffeur à 10 000 boules ? Je me dis qu’il s'ennuie tellement là-haut, au sommet de l’Etat, qu’il a décidé de changer de coiffure comme ma grand-mère quand elle se lançait dans une nouvelle nuance de mauve pour se donner de l’allant, avec la mise en plis qui ondule autour des bigoudis (que j’appelais perso des zguézébodis quand j’étais minotte, pour le plaisir de tout compliquer, déjà, prétend ma mère). Je vous le dis franchement, il me fait de la peine cet homme, alors dans un grand moment de christine-angotude, je me penche vers lui pour l’embrasser chaleureusement sur les deux joues. Sa mère me dit alors : « Ne le plaignez pas, cette coiffure lui va très mal. Il ferait mieux… de la boucler ! » Je la trouve cruelle, comme toutes les mères. Comme je vais l'être moi-même dans trois minutes.
Au réveil, ma fille, qui aime profiter de mon hébétude matinale, me prend en effet d’assaut :
- Tu vas voter quoi toi ? Mélenchon ou Hamon ? Y a un gars dans ma classe, il dit qu’il faut voter Macron.
Je ne réponds pas, ça l'énerve, mais j'y peux rien si, dans ma tête, les trois petits cochons continuent à se bousculer. En préparant mon café, je me surprends à fredonner la chanson « Les loups sont entrés dans Paris. Soit par Issy, soit par Ivry. » Les lou-oups. Au cas où, je vais acheter des pastèques. Il faut bien que quelqu'un pense un peu aux enfants.