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L’injonction paradoxale est au cœur du discours présidentiel. En associant des termes antinomiques, il veut comme tant d’autres nous mettre en état de dissonance cognitive. C’est le fameux syndrome de Palo Alto propre à la démagogie et à la manipulation de masse. Sans surprise, l'extrême-droite se frotte les mains en célébrant la victoire idéologique remportée grâce à l’infâme loi sur l’immigration qu’ils ont votée avec les macronistes et la droite à la fin de l’année 2023.
Nous sommes au cœur de la dystopie orwellienne de 1984 et je ne peux m’empêcher de penser à l’entre-deux-guerres, marquée par la découverte des hormones et des traitements supposés booster la virilité. On a été dans les années 1920 jusqu’à pratiquer des greffes testiculaires de singe afin de lutter contre le vieillissement érectile, comme je le raconte dans mon livre Ceci est mon temps à paraître en mars prochain. Des centaines, voire des milliers d’hommes en Europe ont subi cette opération supposée miraculeuse, dans l’espoir de redresser leur bâton de berger. Millionnaires, intellectuels, hommes politiques se pressaient dans la clinique du chirurgien Serge Voronoff, qui avait même ouvert une ferme de singes à Vintimille pour fournir les tissus testiculaires aux mâles vieillissants. Parmi eux, on compte le nationaliste d’extrême-droite Charles Maurras qui se disait par lettre enchanté de ses simiesques cojones.
La testostérone et les estrogènes ont été découverts, produits et brevetés en Allemagne dans les années 1930. Le réarmement démographique visait le développement de la race aryenne : on administrait aux soldats de la testostérone et on stimulait la production ovarienne des femmes, puis on calait les permissions sur leur ovulation. Parmi les labos qui alimentaient la machine hormonale se trouvait IG Farben, aussi producteur, de sinistre mémoire, du Zyklon B utilisé dans les chambres à gaz.
Tuer d’une main et faire naître de l’autre, en choisissant qui est digne de vivre ou non, où et comment, c’est la base du projet fasciste. Mathilde Larrère ne s’y est pas trompée, elle qui a rédigé la tribune « Lâchez nos ovaires, ouvrez les frontières » publiée par L'Obs.
Pour ce qui nous concerne, le réarmement littéraire de Nouvelles Lunes passera, non par les chemins noirs de Sylvain Tesson, dont l’imaginaire poétique nous déchante, mais par Axelle Jah Njiké qui vous racontera bientôt sa revigorante vision de la maternité, puis par Manon Soavi, qui nous conduira vers la mutinerie écoféministe, et enfin par Laure Stehlin, qui nous parlera de son cœur Amazone. C’est le programme de ce premier trimestre, avant, probablement, des changements importants dans cette newsletter. En attendant, il m’a paru utile de republier l’appel à la grève des ventres de Françoise d’Eaubonne, présenté ci-dessous par son fils adoptif Alain Lezongar. A bientôt pour le réarmement écoféministe et gastronomique (pendant qu'on y est).
QUAND FRANÇOISE D'EAUBONNE APPELAIT À LA GRÈVE DES VENTRES
Par Alain Lezongar
L’illimitisme, cette folie qui caractérise la société capitaliste et patriarcale, impose ses ravages dans absolument tous les domaines. Exploitation sans limite des êtres humains, des animaux, de la terre, du cycle de l’eau, de l’air, au nom du pouvoir et du profit sans limite de ceux qui gouvernent le monde. « Croissez, et multipliez, et remplissez la terre, et l'assujettissez, et dominez sur les poissons de la mer, et sur les oiseaux des cieux, et sur toute bête qui se meut sur la terre », ordonne La Bible (Genèse 1:28).
Homo Sapiens est apparu sur Terre voilà environ 300 000 années. La population humaine a mis 300 000 ans pour atteindre les 3 milliards d’individus. Et seulement 60 années pour augmenter cette population de 5 milliards de personnes… On peut dire que la machine s’est emballée. Et pourtant, en France le « en même temps » cher au président de la République lui permet, par un de ces tours de passe-passe dont il a le secret, d’envisager d’inscrire le droit à l’I.V.G. dans la Constitution et de demander aux femmes de procréer plus !
En 1974, quand Françoise d'Eaubonne et son groupe Écologie-Féminisme Centre ont lancé l’appel des femmes à la grève de la procréation, elles affirmaient leur « résolution de prendre en main, avec le contrôle de notre destin personnel, celui de la démographie ». La Terre supportait alors 4 milliards d’êtres humains. En seulement 50 années, la population mondiale a doublé et a dépassé les 8 milliards de personnes.
C’est ce texte, paru en septembre 1974 dans Charlie-Hebdo qui m’a fait connaître Françoise et l’écoféminisme. Alors jeune homme de 20 ans, j’avais été fasciné par la radicalité de cet appel et avais donc écrit à l’écrivaine et militante féministe et écologiste. Trente années d’une amitié sans égale ont suivi. Aujourd’hui, alors que Françoise nous a quittés voilà bientôt dix-neuf années, je ne peux que constater à quel point elle et ses amies avaient raison et à quel point l’urgence (pas seulement climatique) s’est aggravée. Sa pensée et son action, fécondes et plus que jamais nécessaires, sont toujours là pour tous les soulèvements du vivant.
APPEL DES FEMMES DU MOUVEMENT ÉCOFÉMINISTE
Par Françoise d'Eaubonne
ATTENDU que le plus grand péril qui menace dans un avenir très proche notre planète et notre espèce présente ce double aspect : surpopulation et destruction des ressources, à savoir : la catastrophe écologique ;
(Attendu que si ce péril se présente davantage comme destruction des ressources dans les pays capitalistes, les pays socialistes ne s’en dirigent pas moins vers le même abîme dans leur course au développement industriel) ;
ATTENDU que ce monde de surconsommation ressent plus profondément le mal de la concentration urbaine et la destruction de l'environnement, et le monde sous-développé ou Tiers-Monde le mal de la surpopulation, mais que tous deux sont, à titres divers, sous le coup de la même imminente catastrophe de démographie inflationnelle et de mort de la Terre ;
ATTENDU que l’un s’apprête à succomber de pléthore et d'asphyxie, et que l'autre qui végète dans la carence n'envisage pas d'autre route que celle qui, par expansion industrielle, a fait du camp capitaliste ce moribond ;
ATTENDU que ces diverses observations révèlent une société malade et démentielle qui, même dans ses efforts révolutionnaires, ne fait que changer de régime politique et ne remet JAMAIS en question les structures mentales profondes : morale du travail, appropriation, expansion industrielle meurtrière et surtout HIÉRARCHIE DES SEXES et prédominance de l'homme sur la femme basée sur le système patriarcal et la cellule familial familial ;
ATTENDU que la Chine, qui a été le plus loin dans un effort sincèrement contestataire et anti-sexiste, ne l’a fait qu'au prix d'un absolu mépris des réalités sexuelles aboutissant à castrer l'individu, et empreinte la même voie d'industrialisation qui reconduit l'erreur universelle de la société ;
ATTENDU que ce monde capitaliste a dévoilé par ailleurs la monstruosité de son hypocrisie en proclamant la campagne anti-nataliste… au TIERS-MONDE tout en nous contestant, rognant, refusant ou « légalisant » notre droit à la contraception et à l'avortement, dans sa terreur de nous voir contrôler notre condition féminine subordonnée, manipulée et humiliée ;
ATTENDU que cette menace écologique et démographique – 7 milliards en l’an 2000 ! – non seulement est le fait de la société mâle, capitaliste ou socialiste, mais que son double aspect est l'aboutissement DIRECT de deux appropriations masculines qui, dans l’antiquité, fondèrent le patriarcat :
— appropriation de la fertilité (terre arrachée aux femmes) ;
— appropriation de la fécondité (découverte de la paternité) entraînant tout naturellement à surexploiter et surpeupler la terre sans la moindre considération de la terre ni des femmes ;
NOUS, FEMMES DU MOUVEMENT ÉCOLOGIE-FÉMINISME, NOUS DÉCLARONS :
A) Notre résolution de prendre en main, avec le contrôle de notre destin personnel, celui de la démographie en solidarité avec nos sœurs du Tiers-Monde, et notre volonté de traquer et combattre à tous les niveaux, en famille, dans la profession, à l'école, dans la rue, etc., le système patriarcal universel qui cimente par notre oppression TOUS LES AUTRES ;
B) Notre résolution particulière de combattre par tous les moyens l’édification insensée des centrales nucléaires que l'on prétend destinées à remplacer certaines énergies, en réalité pour l'industrie de guerre et le profit ;
C) Notre DÉCISION (à titre de premier avertissement) de proclamer et organiser une grève de la maternité d’UN AN pour celles de nos signataires (c’est la majorité) qui sont en condition de procréer ; d'entraîner chacune le plus grand nombre de femmes de nos divers pays à nous imiter ;
Et ce n'est qu'un début. Nous irons jusqu'à l'éveil massif des consciences féminines, les premières concernées par la catastrophe démographique qui recoupe le mépris de notre condition et la destruction des biens de la VIE dont nous sommes les détentrices.
Notre espèce n’a d’avenir qu'au prix du triomphe de notre liberté et de nos valeurs méprisées par la civilisation mâle ; par le stoppage de la démographie, la limitation du travail « producteur » d'inutilités, le reboisement maximal, la destruction des centrales nucléaires et de toute industrie de guerre, et surtout
L'ABOLITION TOTALE ET IRRÉVERSIBLE DU SEXISME ET DU PATRIARCAT.
Mouvement Écologique-Féminisme
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