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Billet de blog 28 juillet 2024

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En même temps, les jeux ne sont pas faits

La cérémonie des JO de Paris 2024 est l’aboutissement d’une séquence macronienne commencée avec la dissolution de l’Assemblée nationale et la victoire du « en même temps ». La pluie n’a pas éteint la flamme, mais elle a joué son rôle pour révéler une opération manipulatoire de haut vol. Et si la vérité était ailleurs ?

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Il l’a dit sur la prestation d’Aya Nakamura dans son tweet sur la cérémonie des jeux : En même temps. Ces trois mots fétiches de Macron résument sa doctrine et son règne. Ils sont la base du célèbre syndrome de Palo Alto qui rend fou : l’injonction paradoxale. Pour faire impression, on n’a reculé devant rien : un cavalier de l’apocalypse qui remonte la Seine, le ménage à trois dans la bibliothèque Richelieu, une Cène et un Philippe Katherine peint en bleu qui chante jollyment que quand on est nu « il n’y a ni riches ni pauvres » (pendant que Louis Vuitton fait main basse sur la cérémonie pour un moment unique de publicité mondiale ?).

Et voilà Marie-Antoinette, pourtant la moins responsable/coupable de la mascarade royaliste à laquelle la Révolution a mis fin, avec le heavy metal du groupe Gojira sur la façade de la conciergerie. C’est génial, drôle et déjanté. Mais je ne peux m’empêcher de penser que la pauvre reine tient sa tête coupée dans ses mains comme tant de vierges avant elle, et tant de saints (dont saint Denis de l’éponyme basilique). Ira bien qui ira le dernier…

Quand on est pervers, on fait ce qu’on ne dit pas et on ne fait pas ce qu’on dit. La séquence à laquelle nous venons d’assister en est l’illustration parfaite. Car cette histoire a été écrite avant que d’être jouée et c’est Macron qui tient la plume, pas Lady Gaga. Elle commence avec cette dissolution qui plonge un pays entier dans le crash test, nous poussant dans nos pires retranchements. Et je pense que Macron espérait vraiment donner les clés du pays au RN tout en changeant les serrures*. Il aurait alors pu jeter à la tête des vainqueurs son spectacle « woke » (revendiquons ce mot et notre éveil !) tout en obligeant les vaincus à incarner leur défaite devant le monde entier. En même temps, donc.

Ne vous méprenez pas. J’ai savouré Aya Nakamura, sublime avec son medley aznavourien accompagnée par la Garde républicaine devant l’Académie française. J’ai jubilé avec le heavy metal de Gojira, j’ai écrasé une larme en voyant passer l’hommage aux victimes du massacre des Algérien·nes le 17 octobre 1961, j’ai été émue en voyant surgir les statues dorées de dix femmes mises à l’honneur pour l’occasion, j’ai été touchée par Juliette Armanet glissant J’imagine sur son île de feu avec Sofiane Pamart au piano, et j’ai même eu des frissons quand Céline Dion a entonné L’Hymne à l’amour depuis le premier étage de la tour Eiffel.

La cérémonie d’ouverture des jeux, c’est le paradoxe de Hollywood. Plus la réalité est monstrueuse, plus le spectacle est beau. Dès la fin du XIXe siècle, Buffalo Bill avait organisé un show monumental reproduisant la conquête de l’ouest, dans lequel jouaient de vrais Indiens – y compris Sitting Bull – qui avaient été écrasés par les Blancs.

Faire jouer aux vaincus leur propre rôle, c’était le propre de ce cirque qui a tourné deux fois en Europe, en 1889 et 1905, et c’est d’ailleurs à cette occasion aussi qu’ont été forgées les fameuses traditions camarguaises issues de la culture des peuples natifs amérindiens dont se réclament si souvent les gens d’extrême droite : la façon d’élever les taureaux comme celle de monter les chevaux.

Hollywood a réussi à nous faire croire que les Etats-Unis, pourtant bâtis sur un génocide, la prédation des terres et deux cents ans d’esclavage, étaient la plus grande démocratie du monde.

Je ne sais pas ce que Macron essaie de nous faire croire avec cette histoire, mais j’ai bien l’impression que ses calculs pourraient bien être faussés. Car le RN, contrairement à ce qu’il semblait souhaiter, n’est pas le vainqueur. C’est bien le NFP qui a remporté cette manche, et le monde entier le sait maintenant : c’est nous, les féministes, les personnes non-blanches, les queers, les gros·ses, les opprimé·es qui incarnons l’universel ou, plutôt, le pluriversel.

Le roi est nu et la pluie qui a continument arrosé la cérémonie était comme un message de la Nature, nous disant que nous finirions bien par laver tous ces affronts. À la minute même où s’envolait la montgolfière, elle s’est arrêtée. Et malgré toutes les illusions qui ont été distillées, quelque chose, je crois, déjouera ce sortilège. Qu’elle soit d’attraction ou de projection, la vraie magie échappe toujours à son créateur. Sachons retourner le miroir vers celui qui nous le tendait pour faire de ce reflet trompeur une réalité qui dépasse l’imagination.

Les jeux ne sont pas faits, ils sont fées, et nous saurons transformer cet effet, dans la rue ou dans les urnes, dans les cœurs et dans les corps. Puisque l’on s’aime…

*c’est ce qu’il fait aussi avec le NFP, mais nous ouvrirons d'autres passages.

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