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Billet de blog 20 mars 2023

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Lettre Ouverte au Président de la République

Cette lettre est une mise à jour d’un texte publié en 2021 dans le roman intitulé « La Foule Haineuse Reconnaissante ». Elle faisait suite aux manifestations des gilets jaunes et à leur répression. Cette fois, ce sont les protestations contre la réforme des retraites qui l'anime. Le fond reste identique. Elle a été adressée à l’Élysée et figure sur le site de l'auteur (https://emmanuelbitz.com).

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Emmanuel,

Nous partageons le même prénom. Nous aurions pu nous rencontrer. D’où mon ton familier qui résulte aussi d’une incapacité à la révérence, institutionnelle ou non.

Nous sommes en effet nés avec un seul lustre d’écart, avons fréquenté des lieux identiques et manifestement eu quelques connaissances en commun, quoique pas forcément simultanément. D’une part, toute ma famille maternelle a vécu en Picardie et ceux qui vivent encore se répartissent entre ses trois départements. Un de mes frères t’aura potentiellement croisé au lycée à la Pro. Un autre naquit à Amiens. J’ai assez bien connu cette ville dont je fus friand des fameux macarons, sans compter sa gare. D’autre part, ayant longtemps habité à proximité, j’ai beaucoup fréquenté Le Touquet.

Ma première lecture de l'essai "Le Prince" a eu lieu à quatorze ans, j’ai eu ma part d’arrogance, de croyance néolibérale. Mon non-conformisme torpide allié à une honnêteté intellectuelle certaine m’aura finalement permis d’en sortir. Comme quoi on peut, même en cas de grande affinité originelle avec ce système.

J’avoue avoir envisagé l’ENA, mais au bout d’un moment les études lassent. J’ai aussi travaillé à Paris dans le secteur bancaire et financier. Sur les Champs, Place Vendôme, Boulevard Haussmann. Pas si loin donc.

Tous deux dormons peu et nous sommes précocement détachés psychologiquement de nos parents. Tu t’épanouis à l’oral, moi à l’écrit. Nous aurions pu être complémentaires, nous fûmes nous croisés au moment opportun, d’autant que l’impact sur autrui, réciproque ou non, peut être décorrélé de la durée pendant laquelle on le côtoie.

Face à la situation actuelle, je ne me perdrai pas en de multiples scénarios, un seul n’impliquant pas ta mise en retrait et te permettant un rôle mélioratif.

Il consiste pour toi à embrasser réellement la cause du peuple et de la France. Aujourd’hui largement représentée par le mouvement contre la réforme des retraites, comme elle l’avait été d’une autre façon par les gilets jaunes, ses aspirations sont complètement antagonistes à l’idéologie qui guide ta politique jusqu’ici. Ayant étudié l’économie là où on le fait vraiment, à l’université, je sais reconnaître le paléo-libéralisme : "néo" constituerait un autre mensonge pour une si vieille antienne. Je sais aussi que l’économie est tout sauf une science, comme tu essaies de le faire croire pour imposer tes vues au lieu de renoncer sagement à ces croyances ; ou que ceux qui ont émis des théories savaient qu’elles ne représentaient pas la réalité, qu’ils proposaient des modèles sous contraintes fictives, académiques, ce qu’ont oublié leurs successeurs, et plus encore ceux, comme toi, qui veulent y justifier leurs idéologies et les appliquer dans nos sociétés.

Mais la compétitivité à tout prix, et fortiori sa stratégie prix, n’a plus de sens aujourd’hui, et la concurrence elle-même presque plus à l’heure de la coopération : c’était voir petit changement, conformisme, imitation ; il faut voir grande transformation, autonomie, innovation. La recherche de la sobriété deviendra l'avantage comparatif français. Aussi, adopter les intérêts populaires nécessitera-t-il de tourner le dos à tes soutiens actuels et autres commanditaires, qui eux de toute façon, parvenus au point où nous en sommes, te lâcheront à un moment ou à un autre car tu es devenu indéfendable. En effet, avant d’apprécier un talent que tu aurais spécifiquement, ils plébiscitent ton formatage à la défense de leurs intérêts dont d’autres feront aussi bien preuve et qui n’attendent du reste que cela.

Les intérêts populaires consistent, eux, à favoriser d’abord le social, en parallèle à l’écologie, sans quoi elle ne passera pas – ce qui certes pour l’heure t’importe peu ; à mettre la France en réserve de l’Union Européenne comme de l’Allemagne, telles qu’elles sont aujourd’hui, et de l’OTAN états-unien ; à retrouver l’autonomie, à écarter l’Euro au moment opportun ; à réindustrialiser proprement le pays, beaucoup de connaissances sont encore là ; ou encore à restaurer notre influence et notre indépendance diplomatiques, ce que beaucoup de pays attendent de la France, les réseaux persistent bien qu'affaiblis.

Bien des réformes sans tabou attendent donc leur mise en œuvre. Des scénarios de transformation aboutis et à articuler entre eux existent déjà : le shift project (JM Jancovici), la sobriété gagnante (B. Brice), l’avenir en commun (LFI), etc. Il faut se rendre à l’évidence, ils ne proviennent pas de ton camp politique, qui entre modèles des années 1980 (USA, UK) ou des années 2000 (Allemagne), ne propose au mieux que de la création destructrice. Il y aurait là à faire pour plus d’une mandature, mais d’autres se chargeront de prendre la suite comme il se doit en démocratie.

Le caractère romanesque ne t’étant, entend-on, pas étranger, ce contre-pied représente le moyen pour toi de devenir un homme politique parmi ces innombrables politiciens, et surtout d’entrer dans l’Histoire, vraiment. Le seul vrai courage, ne nous voilons pas la face, réside ici : dans la cause du peuple. Accompagner les puissants n’illustre qu’une servilité de pion.

Bien entendu, l’aversion au changement nous entrave tous à un moment. Un réel effort sera donc indispensable de ta part, mais dans le cas inverse, le pays ne se souviendra de toi que quelques années et seulement humoristiquement pour les bus.

Rendons-nous à l’évidence, comme le dit une chanson je crois,

« You’re the wave, man ; not the water. »

Et immanquablement la vague, vient s’écraser sur le rivage.

En te souhaitant le meilleur pour les Français.

Emmanuel –

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