LA PERSÉCUTION
La persécution, c’est un peu comme l’amour, elle n’a pas besoin de réciprocité pour être véritable.
La persécution, ne consiste pas à avoir des persécuteurs, je crois qu’elle consiste plutôt à être persécutée.
Expérience irréductible et autonome, en ce sens qu’elle se passe, au fond, fort bien, des autres.
On n’a pas besoin des autres (au fond) pour être persécuté.
Bien sûr, autrui prend un visage grimaçant, les autres sont tout proches, sans distance, imminents,
ils sont en surplomb au-dessus de leurs victimes.
Et pourtant, dans l’inexpérience de la persécution, ce n’est pas cela qui est l’essentiel.
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Etre persécuté, c’est avoir un certain rapport au langage,
c’est ne pas pouvoir user de la première personne, ne pas pouvoir dire Je sans éprouver ce Je comme ouvert,
comme fracturé par les autres, par eux, par tous ces ils qui m’entourent.
Etre persécuté, c’est ne pas pouvoir parler, sans que cette parole échappe à celui qui parle, glisse hors de sa maîtrise
et pivotant sur elle-même se retourne contre lui.
Etre persécuté, c’est parler dans un monde absolument silencieux, où personne, où personne ne répond.
Mais, inversement, dès qu’on cesse de parler et qu’on tend un peu l’oreille,
on entend ses propres paroles refluer vers soi, confisquées par les autres, métamorphosées, devenues hostiles et meurtrières.
Le persécuté, il entend le silence du monde, mais tout bruissant de mots qui sont l’envers de son propre langage.
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Michel Foucault in, Radioscopie avec Jacques Chancel.
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Choix, découpage, ponctuation du texte (dit oralement par M F), majuscules, étais et notes suivis, chapô, E’M.C.