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Billet de blog 5 août 2018

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Gaspard : noir, homosexuel, détenu, bientôt libéré puis expulsé...

Gaspard est détenu en France, il est né au Ghana qu'il a quitté pour l'Italie avec ses parents il y a 8 ans. A l'issue de sa détention en France, et parce que les autorités Italiennes refusent de le prendre en charge, il sera placé en centre de rétention avant d'être expulsé vers le Ghana qu'il a quitté enfant et où il ne connaît personne...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Gaspard(1) est né au Ghana. À l'age de 13 ans il a suivi ses parents qui ont émigré en Italie.

Je le rencontre pour la première fois en 2014 lors du bref séjour que je fais au «différencié» du centre de détention (CD), auquel je suis nouvellement affecté

En effet, bien que l'encellulement individuel soit obligatoire en établissement pour peine (contrairement aux maisons d'arrêt), plus de la moitié des places de ce CD sont doublées. Et pour décourager les arrivants de demander des cellules individuelles, en plus de la quinzaine aux arrivants, une période de quinze jours d'isolement est infligée à ceux qui prétendent au respect du droit (2).

J'étais intrigué par ce jeune qui s'isolait de notre groupe les rares fois où il sortait. C'était à l'occasion des deux  promenades quotidiennes d'une heure que l'on nous autorisait. Dans une cour grillagée et humide à l'écart du reste de la détention, et baptisée «le chenil».  La première fois que je lui adresse la parole pour le saluer, je perçois toute son inquiétude. Mais en quelques jours, a force simplement de lui adresser un « bonjour, comment tu vas », il finit par sortir plus fréquemment et il devient possible, difficilement en français ou en anglais, plus facilement en italien, d'échanger avec lui.

J'apprends qu'il est arrivé dans l'établissement trois mois plus tôt. Il est à l'isolement, de manière volontaire, depuis ce temps. Je comprends qu'il n'a pas du vivre des choses faciles en maison d'arrêt.

Du peu que Gaspard me confie, je reconstitue petit à petit son histoire:

A 16 ans il est rejeté par sa famille en raison de son homosexualité. A la rue, Gaspard, fragile et influençable se prostitue pour survivre, et commence à se droguer. Il se retrouve dans un réseau de prostitution qui le vend aussi bien à des hommes qu'à des femmes, en Italie mais également en France. C'est au point qu'il ne sait même plus quelle est son orientation sexuelle personnelle...

Par principe, et comme à l'égard de toute autre personne rencontrée en détention, je ne souhaite pas savoir ce qui l'a conduit en prison. La souffrance est évidente et les séquelles psychologiques de son vécu sont à fleur de peau. Je fini par le convaincre de se rendre au moins à la bibliothèque la petite demi-heure hebdomadaire réservée au quartier. Gaspard aimerait se rendre à l'aumônerie catholique, mais craint de quitter le quartier d'isolement. Avec deux autres détenus, et bien que non-croyants, nous décidons de l'accompagner. Nous ne parvenons toutefois pas à le convaincre de demander son affectation en détention ordinaire. C'est à l'aumônerie que Gaspard rencontre Philippe(1).

Après mon affectation en quartier détention, je reçois des nouvelles de Gaspard par Philippe, qui continue à le voir à l'aumônerie et qui, de par sa fonction de cantinier, parvient également à le voir au quartier d'isolement. Il s'inquiète d'un nouveau repli de Gaspard, de manifestation psychiatriques, et me demande conseil. Je me rends à plusieurs reprises à l'aumônerie pour rencontrer Gaspard. C'est dans cette période que Philippe m'apprends sa propre homosexualité et son rapprochement affectif avec Gaspard. Il aimerait que celui-ci sorte de l'isolement.

Après mon transfert dans un autre établissement, j'ai appris que Gaspard avait finit par quitter l'isolement, qu'il allait mieux, qu'il s'était mis en couple avec Philippe. Ils partageaient la même cellule double et faisaient ensemble des projets pour la sortie.

Philippe a été libéré un an avant Gaspard. Il a préparé la sortie de ce dernier qui doit être libéré fin août. Mais il y a deux jours, je reçois la missive désespérée de Philippe qui m'écrit:

« Ce qui m'amène à t'écrire ainsi  en urgence est bien plus grave. J'ai reçu aujourd'hui un courrier de Gaspard où il m'informe qu'il fait l'objet d'une mesure d'expulsion à l'issue de sa peine, avec placement en centre de rétention administrative préalable. Les autorités italiennes ont refusé de le prendre en charge et c'est donc vers le Ghana qu'il sera dirigé. J'ai eu la copie du courrier de la préfecture et le problème principal est que son passeport ghanéen et son titre de séjour italien sont périmés, et aucune demande de permis de séjour en France n'a été réalisée.

Est-ce un manquement de sa CPIP ?  C'est possible. Toutefois, je pensais que le suivi socio-judiciaire auquel il est soumis pouvait empêcher une expulsion, je crains que j'ai mal appréhendé la situation. [...]

J'ai préparé un courrier à son avocate, un autre à sa CPIP [...] J'envisage d'écrire à la préfecture de ... en présentant nos projets de vie de couple et même de pacs, voire de mariage. Mais je doute que ça puisse changer le cours des choses... [...]

J'ai omis de préciser que Gaspard dispose d'une carte d'identité italienne "non valable pour l'expatriation" et qui a, je pense, valeur d'une carte de séjour, et cette carte est valable jusqu'en 2019 ou 2020.

Toute sa famille est en Italie, ses parents, sa sœur, ses oncles ... Il faudrait au moins qu'il puisse retrouver sa famille en Italie, mais surtout pas qu'il soit expulsé au Ghana»

Philippe conclut son courrier en sollicitant un conseil. Je pense qu'il a fait tout ce qui était possible.

De mon côté et depuis ma cellule, à part témoigner et alerter par ce billet, je ne peux rien faire de plus.

1 - Les prénoms ont été modifiés.

2 - La loi prévoit, pour les établissements pour peine, que l'encellulement doit être individuel. Il n'existe aucune dérogation à cette obligation d'encellulement individuel dans ces établissements, contrairement aux maisons d'arrêts. La même obligation s'impose pourtant depuis 1875 dans toutes les prisons françaises. Mais depuis la même date, des dérogations temporaires permettent à l'État d'échapper à ses obligations. La dernière date de décembre 2014 et prendra fin en 2019. J'y reviendrais de manière détaillée dans un prochain billet de blog.

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