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Billet de blog 8 juillet 2018

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Apologie des premiers de cordée, ou éloge de l'oisiveté

Après Robert Louis Stevenson, il m'a paru opportun, par les temps qui courent et pour jouer une partition dissonante dans le concert tonitruant des tenants de l'esclavage moderne, dont l'actuel chef de l’État s'est fait le chantre, de citer Bertrand Russell.

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« Dans un monde où personne n'est contraint de travailler plus de quatre heures par jour, tous ceux qu'anime la curiosité scientifique pourront lui donner libre cours, et tous les peintres pourront peindre sans pour autant vivre dans la misère en dépit de leur talent. Les jeunes auteurs ne seront pas obligés de se faire de la réclame en écrivant des livres alimentaires à sensation, en vue d'acquérir l'indépendance financière que nécessitent les œuvres monumentales qu'ils auront perdu le goût et la capacité de créer quand ils seront enfin libres de s'y consacrer. Ceux qui, dans leur vie professionnelle, se sont pris d'intérêt pour telle ou telle phase de l'économie ou du gouvernement, pourront développer leurs idées sans s'astreindre au détachement qui est de mise chez les universitaires, dont les travaux en économie paraissent souvent quelque peu décollés de la réalité. Les médecins auront le temps de se tenir au courant des progrès de la médecine, les enseignants ne devront pas se démener, exaspérés, pour enseigner par des méthodes routinières des choses qu'ils ont apprises dans leur jeunesse et qui, dans l'intervalle, ce sont peut-être révélés fausses. Surtout, le bonheur et la joie de vivre prendront la place de la fatigue nerveuse, de la lassitude et de la dyspepsie. Il y aura assez de travail à accomplir pour rendre le loisir délicieux, mais pas assez pour conduire à l'épuisement. Comme les gens ne seront pas trop fatigués dans leur temps libre, ils ne réclameront pas pour seuls amusements ceux qui sont passifs et insipides. Il y en aura bien 1% qui consacreront leur temps libre à des activités d'intérêt public, et, comme ils ne dépendront pas de ces travaux pour gagner leur vie, leur originalité ne sera pas entravée et ils ne seront pas obligés de se conformer aux critères établis par de vieux pontifes.

Toutefois, ce n'est pas seulement dans ces cas exceptionnels que se manifesteront les avantages du loisir. Les hommes et les femmes ordinaires, deviendront plus enclins à la bienveillance qu'à la persécution et à la suspicion. Le goût pour la guerre disparaîtra, en partie pour la raison susdite, mais aussi parce que celle-ci exigera de tous un travail long et acharné. La bonté est, de toutes les qualités morales, celle dont le monde a le plus besoin, or la bonté est le produit de l'aisance et de la sécurité, non d'une vie de galériens. Les méthodes de production modernes nous ont donné la possibilité de permettre à tous de vivre dans l'aisance et la sécurité. Nous avons choisi, à la place, le surmenage pour les uns et la misère pour les autres : en cela, nous sommes montrés bien bêtes, mais il n'y a pas de raison pour persévérer dans notre bêtise indéfiniment. »

Ce texte date de 1932 mais reste d'actualité.  Il est extrait de « In Praise of Idleness » version originale traduite en Français sous le titre « Éloge de l'oisiveté ».

Et pour ceux qui ne connaîtraient pas Bertrand Russell :

son positionnement sur les croyances:

Bertrand Russell - Les raisons de croire © Hygiène Mentale

et son message au générations futures:

Bertrand Russell - Message aux générations futures © Hygiène Mentale

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