L'autre jour en rentrant de promenade, j'ai trouvé, déposé dans ma cellule en mon absence, un formulaire relatif au parcours de peine. Il fallait cocher des cases, barrer des items, ou répondre à des questions fermées. Par exemple:
"Payez-vous vos parties civile ?" [] OUI [] NON "Si oui depuis quelle date ?" .../.../......
L'ensemble des réponses est connu de l'administration pénitentiaire qui prétend contrôler chacun de mes actes et qui aimerait en faire autant de mes pensées ("1984" - la Police de la Pensée - vous connaissez ?). Je ne voyais donc pas l'intérêt de remplir le document dont la seule finalité me paraissait de nature strictement formelle et procédurale. J'ai donc jeté le document après l'avoir lu.
Quelques jours plus tard j'ai été convoqué auprès de la chef de bâtiment. Je pensais qu'elle me convoquait parce que j'avais fait état d'un projet d'animation culturelle avec un groupe de détenus et que j'avais sollicité un rendez-vous auprès de l'adjointe au chef de détention en charge des activités culturelles pour l'exposer.
En fait elle s'inquiétait que je n'ai pas encore rempli le document, pièce essentielle de mon dossier de parcours de peine. Elle avait déjà saisi l'ensemble des réponses sur son ordinateur (comme quoi elle en dispose bien). Elle souhaitait simplement que je confirme ses informations afin de pouvoir imprimer le précieux outil. Il doit aider des personnes qui ne me connaissent pas, et qui d'ailleurs ne souhaitent surtout pas me connaître, à prendre des décisions concernant mon parcours de peine. Je n'ai toujours pas compris ce qu'étais un parcours de peine, à part qu'il s'agit d'attendre un certain nombre d'années que ma peine s'achève, en m'efforçant de ne pas perdre trop de neurones en chemin ni sombrer dans le désespoir ou la folie.
L'échange étant courtois, et n'ayant aucune raison d'en vouloir à la personne, au motif que je m'oppose à l'institution qu'elle représente, j'ai tenté d'amorcer un dialogue en expliquant les raisons pour lesquelles je me refusais à remplir ce document, purement formel et d'intérêt strictement administratif. Je lui ai dit que je trouvais étonnant, au bout de sept années de détention, de n'avoir rencontré que cinq fois une CPIP (conseiller(e) pénitentiaire d'insertion et de probation), et à chaque fois à ma demande. Ni d'avoir jamais pu dialoguer avec une juge de l'application des peines (JAP), en dépit de plusieurs demandes dont certaines n'ont jamais reçu de réponse.
Une JAP a tout de même consenti à m'écrire une fois que son "emploi du temps ne [lui] permettait pas de rencontre les personnes détenues". Et moi qui pensait bêtement que c'était sa fonction. Faut-il que la détention rende stupide pour avoir de telles idées...
La chef de bâtiment m'a gentiment suggéré d'écrire à nouveau à la JAP. Elle semblait réellement compatissante, mais changer l''état de fait n'était ni de son ressort, ni de son pouvoir. Elle avait accompli la tâche qu'on lui avait demandé d'accomplir et d'autres détenus étaient convoqués. J'ai compris que sa matinée était chargée et nous nous sommes mutuellement souhaité une bonne journée. Je crois que, tout comme moi, elle était sincère - ou du moins, je l'espère.