J’ai la chance d’avoir des élèves tout jeunes et sans examens : ils sont en 6ème ou en 5ème. Notre établissement se situe en pleine zone rurale avec zones blanches et pauvreté. La première semaine a été dantesque pour les familles, les élèves, les professeurs. Choc traumatique et mise en route. Au bout de la première semaine, nous avons constaté que certains élèves ne s’étaient jamais connectés, ni par téléphone ni d’aucune façon. Quelle inquiétude ! Je passais mon temps à vérifier le nombre de lectures de mes documents. Ah ! une précision : notre ENT (domaine numérique) fonctionne très bien, pour ceux qui ont une connexion. Un point très positif.
Ces élèves non connectés sont joints par téléphone, par leur professeur principal, le CPE, les profs de sport un peu désœuvrés, ça leur fait un contact. De ce que j’ai lu, personne ne cherche à culpabiliser personne.
Pour ma part, j’essaie de ne pas envoyer trop de travail, je donne des exercices puis j’envoie des corrigés. J’essaie, quand j’explique quelque chose, d’être claire, avec des mots qu’ils comprennent (ou bien j’explique le mot).
J’y vois quelques avantages :
- Les enfants et les parents ne sont pas laissés tous seuls à organiser des journées pleines de rien à faire.
- Les élèves continuent à faire quelque chose, le collège n’a pas disparu. Quel soulagement !
- Ils lisent des consignes ! Ils apprennent à être, peut-être, un peu plus autonomes, ce que personnellement je trouve vraiment bien.
- Ils font donc surtout du travail sans notes, qu’ils corrigent eux-mêmes. Ça devrait les déstresser justement par rapport aux notes.
- Ils font des progrès en informatique !
Ce matin, j’ai lancé un QCM. Les notes devraient arriver toutes seules dans le carnet de notes (trop cool !). S’ils le font. C’était un truc facile, avec une mini-leçon que je leur ai dit de conserver pour le contrôle. Je pense que toutes les notes seront bonnes. Si elles ne le sont pas, je ne les mettrai que si elles améliorent leur moyenne. Mais bon, je me demande bien quelle moyenne ils auront pour le 3ème trimestre. Et quelle importance ? On avait fini le deuxième trimestre, on va vraiment s’inquiéter pour un trimestre bizarre ? Parler de faire redoubler ?! Je n’en crois pas mes yeux.
Ils aiment bien, visiblement, ce contact et ne pas être oubliés dans leur isolement. Des parents se manifestent aussi et demandent aussi du contact. Ils aident d’autres élèves quand je ne suis pas en ligne. (J’ai créé des fils de discussion par classe).
Alors il est vrai que je m’inquiète pour les élèves qui ne se manifestent pas du tout. C’est inquiétant, pour une part, car ce sont bien les mêmes que ceux qui ne se manifestent pas trop non plus en classe et comment dire, leur éloignement de l’école s’accentue encore. Mais en fait nous savons mieux pourquoi à force de leur téléphoner. Telle mère dit qu’elle s’en fout, et s’en remet au père. Le père dit qu’il n’y connait rien en informatique et que cette semaine, non, il ne s’en est pas occupé. Il a un fils en 5ème et un en 3ème. On savait déjà qu’ils étaient perdus pour les bons résultats. Maintenant on sait vraiment tous pourquoi. C’était juste un exemple, nous en avons d’autres. C’est donc bien dommage pour eux que l’école soit fermée, mais bon, elle est donc fermée.
Voilà. Mon vécu au quotidien de la continuité pédagogique. C’est comme ça que ça se passe chez moi. Le tout est de savoir ce qu’on met derrière ce groupe de mots curieux : « continuité pédagogique ». (Un sémantème non précisément défini – je me demande si ce que je dis a un sens).
Mais alors, venir nous dire qu’on est les serviteurs béats, couchés, rampants et quoi encore ? d’un système, de M. Blanquer, etc. ? Je trouve ça grossier, inepte, etc. Même si je ne suis utile qu’à quelques élèves, pour briser leur solitude et leur inactivité, ça me convient. Quelqu’un a parlé des vertus de la culture de la patate. Je signale que c’est totalement réservé à quelques heureux élus disposant d’un jardin, d’un champ. Ces heureux élus doivent tout à fait avoir le temps de cultiver des patates et de travailler leurs accords dans les groupes nominaux. Je pense.