Je vis dans une zone dite de désert médical. Pas de guillemets. Les médecins ont pris leur retraite, on en a un qui reste pour excès de serment d’Hippocrate. Il a plus de 75 ans. Il reçoit tout le monde, ce qui fait que quand je veux le voir, je ne peux plus à cause des patients des autres toubibs. Il tient surtout à recevoir les enfants qui ont 39 pour qu’ils ne passent pas la nuit sur la route entre deux petites villes pas si proches, pour finalement ne pas être soignés. La dernière fois que j’ai eu une bronchite, j’ai fini par avaler les antibiotiques et la cortisone qui me restaient à la maison, en espérant que ça marche. Ça a marché, d’ailleurs, cool. (Chut, ne dites rien, l’automédication est très mal vue).
Dernièrement, j’ai pris un rendez-vous pour le renouvellement de mon ordonnance de vieille, pour soigner mon asthme, avoir mon Lévothyrox, tout ça. Ne le répétez à personne, ça relève du secret médical. Un mois et demi d’attente. Well. C’est pas grave, il renouvellera mon ordonnance entre deux patients. Mais non ! Quand j’y suis allée, il était en vacances ! merdalors. J’étais pas prévenue. En plus je passe mon temps à lui dire, Ben tu dois aller au soleil, tu deviens insupportable.
Ce n’est pas grave, le pharmacien est responsable et plein de sollicitude pour ses clients. Mais là, surprise : la préparatrice m’a un peu fait la tête pour m’avancer les médocs. Je me suis demandé si elle avait des problèmes personnels ou si sa santé était mauvaise. Non, vrai, ce n’est pas le genre de la maison. J’étais soucieuse pour elle, mais en même temps un peu énervée : je n’ai rien fait de mal, je suis juste victime des circonstances. En revanche, si je n’ai pas mes médicaments ça ne va pas aller bien.
Trois jours après, je récupère la précieuse ordonnance, remplie avec amour(ou lassitude) par mon médecin préféré et unique et retourne à la pharmacie. Monsieur Pharmacien note avec approbation ma nouvelle coupe (trois jours plus tôt, c’était le style Mowgli) et se propose de me servir. Je lui détaille ce qu’on m’a avancé, patati patata. Voici qu’il m’a dit : j’ai eu un contrôle de la sécurité sociale (oui, j’étais informée), ils ont tout passé au peigne fin, horrible, et on me réclame 39 000 euros. Là j’écris des émoticons : stupéfaction, scandale, horreur, compassion et la suite. Vous les mettrez, s’il vous plait.
Raison motivée du médecin de la SS :
- Vous ne devez pas avancer de médicaments aux patients ! Nous ne relevons aucune irrégularité dans vos facturations, mais cette pratique est prohibée.
- Mais comment font les patients ?
– Ils doivent se débrouiller autrement !
- Autrement ?
Le médecin chef de la SS a dit à un monsieur de 85 ans qui n’avait plus de médecin qu’il y en avait dans deux villes éloignées respectivement de 86 kms (55 mns de route – avec une voiture) et et 81 kms (1h17, toujours avec une voiture). C’est vrai qu’il peut aussi aller chez Ben, mais il n’a peut-être pas réussi, comme moi… Ben peut bien soigner sans délai les 5700 habitants de la ville plus ceux des campagnes alentour, non ?
Le pharmacien saisit donc le tribunal administratif et ira plus loin. On peut aussi imaginer que les patients dépannés se cotisent pour payer les 39 000 euros (qui leur appartiennent d’ailleurs, en somme, puisque c’est leur sécu et qu’ils ne peuvent plus en profiter ! Il convient sans doute en fait de porter plainte contre l’Etat pour défaut majeur de soins et maltraitance verbale et autre des personnes âgées. (85 ans, quand même !).
Oui, je propose que les (im)patients des déserts médicaux et au passage, des hôpitaux débordés, portent plainte contre l’Etat. Lequel est coupable, sans doute possible, mais diligente sans vergogne des valets pour verbaliser les survivants et ceux qui les aident. C’est plus qu’un scandale ! Je cherche un mot…