Enfant, comme la plupart, j’avais une tirelire. La mienne était une tête de poilu en terre cuite et au casque brisé par mon beau-père quand il était enfant. C’est sa mère qui me l’avait donnée.
Son mari était un poilu. Il est revenu des tranchées gazé et alcoolique, atteint aussi sans doute de divers traumatismes. Sa femme souffrait beaucoup aussi et il la battait. Il a fini par mourir assez rapidement et l’a laissée seule avec un enfant petit, dans une grande pauvreté. La terre dans laquelle il avait pataugé n'était pas cuite.
Cette souffrance elle n’en a jamais guéri.
J’avais beaucoup de tendresse pour cette tirelire et en même temps je savais qu’elle était horrible, comme tout ce que pouvait raconter cette grand-mère d’ailleurs.
Ses histoires et ses cicatrices mal fermées ont traversé tout le XXème siècle, à travers elle et ceux à qui elle les a racontées. Elle était un monument aux morts à elle toute seule.