La semaine dernière j’ai regardé Cash Investigation. L’émission portait sur l’inégalité des Français face aux soins. Très intéressant ! Nous payons tous les mêmes cotisations mais parfois nous sommes soignés, parfois non, mal, ou peu. J’ai des exemples à livrer, avec quelques pensées (contestataires). Partager mon vécu récent à ce sujet me permettra peut-être de ne pas mourir d’un cancer d’un trou du cul.
J’habite dans un désert médical, après avoir vécu dans une zone que je ne qualifierais pas de surmédicalisée mais quand même c’est luxueux, je parle de Nice. Depuis que je suis dans mon désert, je suis interloquée et je finis par faire comme je ne pensais jamais faire, laisser tomber (ma dent, par exemple), attendre…
C’est difficile pour les soins ordinaires, mais pour ce qui concerne les soins plus extraordinaires, en fait on trouve. Il suffit de payer !
Première expérience : un implant dentaire. Moyenne de coût national, disons 1500 euros. Ici on me l’a proposée à 3 000, le double. J’ai donc laissé tomber, je m’en passe, finalement, comme je l’ai dit et je n’ai pas envie de laisser des sous dans les poches de ce genre de monsieur (le dentiste était un monsieur, agréable, certainement très compétent, avec un cabinet luxueux. Lieu d’exercice : Moulins). Le problème se repose si une autre dent vient à lâcher, zut. C’est le cas, d’ailleurs, je m’interroge. Et si je descendais me faire soigner à Nice ? Le vrai voyage d’agrément.
Seconde expérience, en cours : j’ai de la cataracte, ça devient compliqué. Oui, je sais, ce sont des maux de vieux, il n’y a qu’à attendre de mourir. Mais on ne s’y résout pas tout à fait comme ça tout de suite. D’ailleurs, pour une occidentale dans le monde actuel je ne suis pas considérée comme très vieille, mais bon, il y a de l’usure. Les yeux c’est plus difficile que les dents.
Mon ophtalmologue (6 mois d’attente) m’envoie à un chirurgien ophtalmologue, à Nevers cette fois. On voit du pays. Le cabinet est une vraie ruche avec orthoptiste pour faire les examens, une nuée de secrétaires, des salles d’attente bondées de personnes plutôt âgées et malvoyantes, souffrant toutes apparemment de la cataracte. Du fait des examens, nous étions tous là pour environ 2 heures, voire plus et nous avons bavardé gentiment et pris soin les uns des autres. « C’est l’heure de remettre des gouttes, je crois que c’est à vous ». « Combien pour un genou ? - 400 euros – Pour ma hanche, 600 ». « Moi je suis déjà resté ici 4 heures ».
J’étais un peu effarée par les prix et je me demandais déjà quelle serait ma prise en charge pour ces yeux. Etre vieux, ça revient cher, donc ? Je m’étais renseignée sur internet et la prise en charge, à condition que l’opération ait lieu dans un hôpital, est de 100 %. Je ne savais pas du tout si ce médecin qui m’était recommandé opérait dans un hôpital ou non. Mais, a priori, si la consultation a lieu dans un cabinet privé, l’opération a lieu aussi dans le privé, non ? Questionnement, inquiétude. Le sentiment un peu d’être prise en otage.
Je suis enfin reçue par le chirurgien. Rapide, précis, toutes les apparences de la compétence. Super commerçant, en fait. Il fallait faire le choix de l’implant : la membrane qui allait remplacer ma cornée opaque. « Avec ou sans lunettes ? – Sans lunettes, svp – Pour voir de très près ou pour lire longtemps, il faudra néanmoins des lunettes. Ça représente 10 % du temps. – D’accord, d’accord. Combien ça va me coûter, tout ça ? » Je vois le regard surpris du médecin et trouve cela curieux. Les gens habituellement ne parlent donc pas de sous ? « Vous verrez cela dans les bureaux, on vous donnera un devis. » Ah.
Dépassement : 200 euros par œil pour les implants, 160 euros par œil pour la chirurgie. Bong ! Quand même. Soit 720 euros. Je ne l’avais pas du tout envisagé ainsi. Alors si j’avais pris « avec lunettes », c’était 400 euros de moins, certes. Je peux toujours faire ça, mais ça a un côté pas satisfaisant, sauf pour mon portefeuille.
Je n’ai pas signé l’accord proposé, demandant à réfléchir. De toute façon, je ne pouvais pas le lire, c’était un peu bizarre de demander une signature. Toutes ces gouttes rendaient tout encore plus flou.
J’ai téléphoné à la mutuelle pour savoir combien ils me rembourseraient. Difficile à savoir apparemment. Demandez si le médecin est conventionné ou pas, et quel est le montant remboursé par la sécurité sociale. J’ai rappelé le cabinet : on ne connaissait pas le montant remboursé par la sécu, mais non, le médecin n’est pas conventionné, un peu de gêne dans la voix.
J’ai téléphoné à l’hôpital, pleine d’espoir, car le même médecin y exerce, d’après internet. Eh non. Il y fait de petites opérations, mais le centre hospitalier ne pratique pas l’opération de la cataracte.
Voilà, c’est fini.
Cette expérience personnelle apparemment me conduit à au moins deux contestations majeures :
1) Le centre hospitalier. Voilà un département peuplé pour une grande part de personnes âgées, qui terminent presque toutes dans cette salle d’attente. Et le centre hospitalier ne négocie pas avec le chirurgien qui opère à l’hôpital. Ce professionnel a une grande liberté, il n’est même pas conventionné et se réserve ce qui rapporte. Les ophtalmologues qui travaillent dans le même cabinet font patienter les gens pour leur opération, sans doute pour ne pas trop encombrer la clinique. Pure supposition, sans doute, mais il y a bien une raison. Les gens arrivent quasi aveugles pour la plupart et ne peuvent plus lire depuis très longtemps.
2) Ma mutuelle, une vraie mutuelle, importante, la MGEN, qui se targue de se préoccuper de très près de notre santé et notre bien-être (concept très à la mode, la santé, ce serait déjà bien). Qu’il s’agisse d’un implant dentaire ou ophtalmologique, elle n’a aucune solution de rechange à me proposer. Pas un nom, pas un lieu. Je ne sais pas moi, à Clermond, Dijon, Lyon, Paris… avec transport et tout. Il est vrai que cela voudrait dire se déplacer beaucoup. Ma mutuelle pourrait aussi décider de s’associer à l’hôpital pour améliorer les prestations, faire pression sur les professionnels, enfin tout ça. Elle me conseille de négocier. Ma mutuelle n’a aucune idée de ce qu’est un désert médical où tout patient est en fait un client captif. Seule la puissance publique peut faire quelque chose, mais apparemment ce n’est pas son souci, alors que bon, en dé-remboursant carrément les soins non conventionnés, je pense que ça aurait quand même un effet.
Donc je vais peut-être décider vraiment de projeter du tourisme médical dans ma ville d’origine pour me faire implanter des dents et des yeux, je verrai alors si j’ai d’autres idées. Les oreilles, ça va encore à peu près, je crois, mais je devrais peut-être y penser.
Vous aurez compris en lisant, je l’espère, que ce n’est pas seulement parce que je suis radin que je râle. Je trouve cela scandaleux. L’état n’est pas là. Un peu de reconnaissance à l’égard des citoyens du bout du pays serait pas mal. Djamel Debbouze, qui est venu faire au moins un spectacle ici, a dit : « Nevers, c’est la ville la plus loin de France ». Ce n’est pas la seule, apparemment. Les gilets jaunes viennent pour une bonne part des villes loin comme ça et l’essence a encore augmenté. Qu’est-ce qu’on doit faire ?