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Billet de blog 17 juin 2024

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"Purges" de LFI, Front Populaire, obscurantisme, fascisme et néolibéralisme

Première tentative d'analyse de la soumission de la gauche aux démarches obscurantistes, et de son impact systémique sur nos capacités à resister.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bon, je dois vider mon sac avant de retourner faire campagne.

Entrons dans le vif du sujet. La plupart des gens avec qui j'échange connaissent ma position centrale : rien ne me semble aussi dangereux et aussi redoutable que l'obscurantisme. L'obscurantisme décrit à la fois la doctrine et les pratiques qui s'opposent à la construction de la connaissance ou à sa diffusion, ou bien effacent la connaissance en la remplaçant par des dogmes imposés.

Il est l'outil majeur d'orientation, d'asservissement et de manipulation des peuples. L'ultime rempart au libre arbitre, à l'émancipation, et par conséquent à la démocratie. Le plus court chemin pour nous éloigner de notre humanité.

Il n'est pas de bord politique qui en soit exempt. Aucun passif de pensée rationnelle, ni aucun niveau d'études, n'offrent d'immunité.

Cela fait déjà 100 ans que nous avons franchi un nouveau stade de son industrialisation à travers l’œuvre de Bernays, et nous en connaissons les ressorts grâce à des Chomsky, Zuboff, Chapoutot ou Naomi Klein. Notons qu'aujourd'hui, l'obscurantisme est dans l'intérêt direct des modèles économiques des "réseaux sociaux", fondés sur la polarisation de la société et les "chambres d'écho" de communautés montées les unes contre les autres, auxquelles on propose des corpus idéologiques prêts à consommer. Dans la crise identitaire actuelle, l'appartenance à un groupe prime largement sur la connaissance.

Et l’obscurantisme est finalement le terreau des deux plus grandes forces de destruction de notre époque : le fascisme et le néolibéralisme, exactement de la même façon qu'il est le terreau des idéologies politiques fondées sur l'intégrisme religieux.

Je précise ici que je nomme "néolibéralisme", en accord avec les définitions des champs disciplinaires concernés, le modèle économique défendu par Renaissance, LR, le RN et Reconquête. Et je nomme "fascisme" le modèle social revendiqué par le RN et Reconquête.


Fascisme et néolibéralisme ont un besoin vital d'obscurantisme, car leur survie dépend de leur capacité à nous faire mettre au second plan tout l'éventail des connaissances et des expériences, pour pouvoir y substituer des systèmes de croyances désincarnés. Il leur faut reléguer à la fois nos capacités cognitives, nos expériences concrètes du monde tangible, les dynamiques de construction de la connaissance (dont la science), et même certaines de nos dynamiques humaines historiques (comme "l'entraide", chère à Pablo Servigne). Vous avez sûrement remarqué que les dirigeants que nous avons depuis 7 ans ne manifestent aucun intérêt pour toute forme de cohésion sociale en dehors de l'emploi salarié, et nomment "farfelue" ou "partisane" toute démonstration scientifique, statistique, mathématique, qui ne va pas dans leur sens. Je pense notamment aux nombreuses analyses de l'économiste Michael Zemmour. Cette approche est incompatible avec des démarches citoyennes d'observation, de réflexion, de cohésion ou de communication.

Personne ne se réveille un matin en pensant seul que "l'autre" est inférieur, qu'il y a une perspective émancipatrice dans la souffrance généralisée que représente la fermeture des écoles et des hôpitaux pour alimenter les plus grandes entreprises du monde, ou que la plus grande démarche d'intelligence collective de l'histoire de l'humanité (les études climatiques et écologiques) est en réalité un complot.
Ce sont des choses dont les fascistes et les néolibéraux doivent nous convaincre, activement. Et ils investissent, quotidiennement, la majeure partie de leurs forces à nous tracter vers ces mondes imaginaires.

Par exemple, vous avez vu le prix de vos courses prendre 50 à 100% ces dernières années, vos proches multiplier des emplois précaires, les jeunes étudiants faire la queue à l'aide alimentaire, les lycéens sans stages, le Restos du Cœur dire qu'ils avaient une augmentation de 20 à 30% des demandes chaque année depuis quelques années, mais Bruno Le Maire fait le tour des plateaux de télévision pour dire qu'il a "sauvé l'économie Française". Quelle différence de nature peut-il y avoir entre nous marteler cela, et chercher à nous convaincre que la terre est plate ou dirigée par des reptiliens ?

J'en profite pour préciser que, bien entendu, la science et les pratiques de construction de la connaissance doivent aussi nous "convaincre". Que la terre est ronde, que le climat change, que les espèces disparaissent, que la guerre a toujours été un moyen efficace de relancer un système économique capitaliste boulimique et incapable de créer des emplois... Car ce sont des choses que nous ne pouvons pas directement appréhender avec nos sens et notre cognition individuelle.
La différence majeure entre connaissance et obscurantisme, c'est que la connaissance s'analyse et se démontre, alors que l'obscurantisme se décrète et s'endoctrine. La connaissance cultive irrémédiablement nos capacités collectives à faire sens du monde dans lequel nous vivons, et donc à pouvoir agir dessus. L'obscurantisme vise à nous priver de toute puissance d'agir.

Par suite, la dépossession de nos capacités à faire sens du monde marque l'entrée dans un cercle mortifère, où l'impuissance créé de la détresse et de la panique, qui appellent des simplifications du réel toujours plus grotesques pour être apaisées, produisant à leur tour une augmentation de l'incapacité à faire sens et à agir, et ainsi de suite. 


Revenons au fascisme et au néolibéralisme.

  • Tous deux croient au darwinisme social, qui décrète l'infériorité de franges de la population, dont l'écrasement est considéré comme un "dommage collatéral" ;
  • Tous deux font primer l'évaluation quantitative sur l'humain, et créent des métriques ex-nihilo pour justifier telle ou telle décision inhumaine ;
  • Tous deux résument l'existence à une contribution à une méga-machine, et ne revendiquent aucune autre émancipation que "l'émancipation par le travail" ;
  • Tous deux inversent le sens des mots, répandent la confusion et pervertissent le rapport au réel (la liste d'illustrations serait infinie, mais on peut citer le macronisme qui réduit les droits sociaux sans réduire les cotisations, et revendique de ne pas augmenter les impôts et de viser la solidarité. Ou encore le RN qui se revendique le parti des prolétaires, tout en ayant le programme économique de Macron. Ils ont également le soutien des agriculteurs, dont les suicides hebdomadaires augmenteront certainement avec la politique qu'ils entendent mener) ;
  • Tous deux mettent l’État au service des dominants, considérés comme supérieurs et à même d'organiser la société, plutôt qu'au service de l'intérêt général ;
  • Tous deux ont un rapport instrumental à tous les organes d'État. Le macronisme considère tout 49.3 légitime puisqu'il "est dans la constitution" et que "le président a été élu". Ils ne font même plus voter ni les budgets ni les orientations de politique générale par les chambres parlementaires, anéantissant ainsi toute morale et toute déontologie de la sphère publique et du travail politique, piliers de la République ;
  • Tous deux martèlent qu'il "n'y a pas d'alternative" et tous deux ne tolèrent aucune opposition, et donc aucune forme de démocratie. Cela fait maintenant 7 ans que nos dirigeants nous répètent quotidiennement que tout ce qui n'est pas eux est monstrueux, sans aucune analyse ni aucun argument, rendant impossible toute construction collective et toute cohésion, radicalisant progressivement, sans voie de retour, leurs électrices et leurs électeurs. Et ce quand bien même 170 économistes des plus grandes universités du monde entier attestaient de la viabilité du programme de la NUPES ;
  • Tous deux fantasment des "ennemis de l'intérieur" contre lesquels les bonnes gens devraient se battre, d'abord intellectuellement et plus si affinités. L'assisté. Le jeune flemmard. L'immigrée visant le grand remplacement. La chercheuse islamo-gauchiste qui "gangrène l'université" comme disait notre ministre de l'enseignement supérieur en 2021, empruntant les mots et concepts d'Eric Zemmour ;
  • Tous deux pensent que la société s'organise uniquement et exclusivement sur "l'ordre", qui passe par la répression. La sociologie a beau démontrer scientifiquement les limites de ces orientations, finalement contre-productives. La justice a beau estimer que plus de la moitié des ministres mérite une mise en examen voire une condamnation (la plupart du temps pour détournement de fonds publics et abus de pouvoir), et notre dernier 1er ministre en date a beau avoir négocié ses diplômes sans passer d'examens, rien n'y fait. Il est désormais possible de fonctionner comme une mafia, nous resterons les "réfractaires", et il faudra nous taper dessus jusqu'à ce que tout rentre dans "l'ordre" ;
  • Tous deux sont construits sur des croyances en des choses surnaturelles, comme la supériorité d'une race issue du tout-puissant peuple romain-germanique, ou bien le culte d'une croissance infinie dans un monde fini.

Aussi, malgré ma sensibilité politique jamais dissimulée, socialiste au sens français et historique du terme, celui de Jaurès et Blum, j'ai toujours eu du mal avec la notion de "camps" politiques. J'ai une aversion particulière à l'idée de "défendre" telle ou tel, et le fait de me retrouver en position de debunker des attaques contre celles et ceux qui sont le plus proche de ma sensibilité politique m'a toujours mis particulièrement mal à l'aise.
Des gens qui investissent leur vie dans ce panier de crabes, capables de se galvaniser avant de s'exposer à l'abrutissement désormais absolument assumé des Barbier-Elkrief-Jeudy-SaintCricq, perdus entre paroles mystiques et théories conspirationnistes, me semblent assez grands pour pouvoir se défendre elles et eux-mêmes.
Je me fous que la gauche soit attaquée, comme je me fous que la droite soit attaquée.
Je me réjouis quand la droite a une expression républicaine, à travers les voix de LIOT ou Dominique de Villepin par exemple, comme je me réjouis quand la gauche a une expression républicaine.
La politique est faite d'oppositions, il n'y a que les pensées totalitaires et autoritaires qui désirent que chacune et chacun ressente une aspiration au même projet de société. La politique est, historiquement, l'art de résoudre les conflits pour pouvoir vivre ensemble avec des aspirations différentes.

Non, la seule chose qui m'affecte, négativement et profondément, c'est quand l'attaque, quelle que soit sa direction, quelle que soit son origine, nécessite une perte de contact avec le monde tangible. Y compris contre mes adversaires. Une déconnexion à laquelle je reconnais aujourd'hui la capacité de faire disparaître non pas seulement la démocratie, mais le vivant tout entier. Une approche obscurantiste qui alimente le terreau de nos adversaires communs.


Venons-en au cœur de mon sujet du jour, celui qui m'a motivé à écrire ce premier article en mon nom propre : depuis 48h, j'avais du mal à digérer les 5 "non-reconduits" de LFI.
J'ai eu une affection pour les positions intellectuelles d'Hendrik Davi, et je sais que Garrido et Corbière sont des fondateurs historiques du mouvement. En tant que militant des communs et du logiciel libre, je donne une importance capitale à la loyauté envers celles et ceux qui ont contribué.
Aussi je sais comment la couverture médiatique de la gauche de gauche est déjà chaotique, diffamatoire, et donc très difficile à supporter pour qui estime que la République Française est fondée sur l'état social tel qu'inscrit dans la Constitution, que nous sommes maintenant, au sein du Nouveau Front Populaire, les seuls à défendre. J'ai donc été assez rapidement très remonté contre le timing de cette division, qui risquait d'aggraver encore notre situation, et d'épuiser les militantes et les militants.

J'ai lu toutes les critiques et réactions.

J'abordais bien sûr ces événements en charriant quelques analyses et critiques déjà construites et éprouvées, sur lesquelles je compte pour m'aider à dépasser la simple réaction émotionnelle et le plaisir avilissant de me faire le relai d'éléments de langage abstraits.
Par exemple, je sais que la démocratie interne d'un mouvement politique n'est aucunement un gage de sa puissance, de sa cohérence ou de sa loyauté envers ses engagements. En France, le parti avec le fonctionnement interne le plus démocratique est le PCF, qui a mis à sa tête, deux fois de suite, une personne dont les militants disent qu'il remet en question des orientations historiques du parti sans jamais justifier ou expliquer ce revirement, et qui produit factuellement trois dynamiques collectives principales : son soutien par la droite, la désertion des jeunes, l'effondrement du parti. Cela ne me procure aucun plaisir ni aucune satisfaction. J'ai une grande affection pour la philosophie politique qui met au centre ce qui nous est "commun".
Et d'un autre côté, je sais que LFI ne produit pas de moyens d'organisation à l'échelle nationale qui pourraient satisfaire mes attentes sur ce sujet (à part Aurélie Trouvé et le Parlement de l'Union Populaire, boudé par les élus, et l'Institut La Boétie qui fait un travail que je trouve remarquable mais plutôt sur le plan des idées que sur le plan de l'organisation). Par conséquent, le mouvement est certes l'acteur de gauche qui agit le plus largement dans le pays pour l'organisation citoyenne, mais n'est pas du tout à la hauteur de ce qu'il vise.

Avec cela en tête, j'ai essayé de comprendre. 


Il ne m'a fallu que quelques dizaines de minutes pour tomber sur le cas de Frédéric Matthieu, sans même trop chercher. Son comportement inapproprié et "toxique" est pointé par les militantes et militants locaux depuis son élection en 2022. Son attachée de l'époque a entamé une procédure aux prud'hommes pour harcèlement moral, et cette démarche lui a valu un licenciement abusif. 
Pour Garrido, Corbière et Davi, mon point de vue à ce jour était simplement que je les avais vu déployer des tombereaux d'énergie pour critiquer un fonctionnement auquel ils avaient depuis longtemps arrêté de contribuer. Leurs interventions étaient une succession de concepts mobilisateurs ("il faudrait qu'on soit unis", "il faut qu'on s'écoute", "il doit pouvoir y avoir des courants internes"...) qui n'étaient jamais argumentés, sans proposition opérationnelle, sans aucune forme de tentative de contribution ou d'organisation (contrairement à ce que j'évoquais sur le Parlement de l'Union Populaire ou l'Institut La Boétie).
En me basant sur ces éléments factuels-là, et avec ma méfiance envers les délires obsessionnels, qu'ils visent les islamo-gauchistes, les judéo-bolchéviques, ou Mélenchon, voulant que ce dernier soit partout, tout le temps, caché, en embuscade, capable de contrôler simultanément des centaines de personnes en tous points du territoire... J'ai tout de suite été gêné par le fait de voir des camarades de gauche reprendre des éléments de langage de la droite et de l'extrême droite (comme "purge"), sans autre argumentation que cette théorie conspirationniste et obsessionnelle. Sans aucune forme d'analyse. Sans même se donner la peine de construire un narratif. Comment cela aurait pu avoir lieu ? Pour quelles raisons ? Quels sont les intérêts ?
J'ai commencé à considérer l'idée que peut-être que, tout simplement, écarter des gens qui passent leur temps à dire que ça ne fonctionne pas, sans bouger le petit doigt pour proposer la moindre alternative ou amélioration, puisse être une stratégie aussi valable que saine. Ça serait le cas dans n'importe quelle association, ONG, entreprise ou structure publique (laboratoire, hôpital, école...), et à plus forte raison dans les groupes auto-gérés ou hautement démocratiques dans lesquels j'ai passé plusieurs années de ma vie. Jamais un lieu contre-culturel auto-géré ne laisserait, ne serait-ce qu'un mois, des ex-fondateurs qui critiquent le lieu à l'extérieur et ont cessé de contribuer, car dans les lieux qui prônent une démocratie radicale, les statuts sociaux n'ont pas lieu d'être, et la contribution est le seul chemin de la reconnaissance.

J'avais du mal à comprendre le lien avec une question de "démocratie interne", d'autant que les comités électoraux de LFI sont constitués à 2/3 de militants tirés au sort (je pensais qu'ils étaient constitués à 3/3 de Jean-Luc Mélenchon). Mais je me demandais toujours "pourquoi faire ça maintenant ?", "pourquoi n'avoir pas mieux communiqué ?", "pourquoi écarter des historiques quand c'était si simple de les laisser au chaud ?".


Et puis j'ai découvert l'article de l'Express ("Nouveau Front populaire, l'histoire secrète : la purge de Mélenchon, le plan Berger, les doutes de Glucksmann"). Organe de presse que l'on peut facilement placer dans l'opposition à LFI et au "Mélenchonisme". Donc, a priori, peu conciliant avec ces adversaires. 

On y découvre tout un arc narratif, appuyé sur des faits, cohérent, qui permet de dépasser la théorie d'un Mélenchon omnipotent comparable à la pieuvre des caricatures antisémites de l'entre deux guerres, et à l'état profond pédosataniste des trumpistes.

Ce qui me tient à cœur ici, c'est simplement la comparaison entre les faits et les mots qui ont été dits. Entre ce qui a effectivement lieu, et la lecture des événements qui est martelée. Entre ce qui nous permettrait de faire sens du monde dans lequel nous sommes, et ce qui nous rend incapables de comprendre et donc d'agir. 

Voici donc la suite d'événements : 
- Ruffin, Autain, Garrido et Corbière s'étaient organisés, depuis un an, pour faire une alliance avec le PS et EELV, sans LFI (pas "sans Mélenchon et les mélenchonistes", "sans LFI"... C'est à dire sans Guetté, Trouvé, les militants syndicaux, les lanceurs d'alerte, les économistes hétérodoxes, les militantes et les militants...), poussés par Olivier Faure, attisant la paranoïa d'un danger imminent ("Si vous ne bougez pas une
oreille, ils vous la couperont"). Souligner ce fait ne m'empêchera pas de continuer à reconnaître les contributions nécessaires de Ruffin et d'Autain. Comme dit plus haut, il n'y a pas de "camps" à mes yeux ;
- la déclaration "spontanée" de Ruffin à la télé le soir de la dissolution était concertée avec ce groupe ;
- Laurent Berger, qui a soutenu la loi travail et la 1ère réforme des retraites, sans revenir sur ces positions passées, était bien une proposition de "premier ministrable" issue de ce groupe ;
- le PS avait choisi d'utiliser Glucksmann pour faire un bon score aux européennes et redorer son blason, tout en prévoyant de ne lui donner aucune voix au chapitre par la suite ;
- le PS, le PCF et Place Publique étaient conscients de relayer de la propagande de droite et d'extrême droite sur le prétendu "manque de clarté" de LFI vis-à-vis de l'antisémitisme, sur lequel ils ont accepté en quelques heures de faire machine arrière ;
- LFI a abandonné 15% de ses circos, soit autant que le total des investitures du PCF, en échange de maintenir un programme radical (écologiste et social) comme l'était celui de la NUPES ;
- Mélenchon répond à l'invitation de Lapix pour s'annoncer candidat à rien, et dire qu'il se range derrière les propositions stratégiques d'Olivier Faure ;
- le PS investit l'ex-président de la République qui a initié la répression violente des manifestants et la destruction du code du travail, ainsi que l'ex-ministre macroniste qui a certes été finalement le seul à démissioner au moment du vote avec le RN de la loi immigration, mais reste l'un des principaux artisans de la loi travail et de la réforme des retraites

Que disent donc les faits ?


Qu'une candidate de gauche radicale, reconnue par tous ses partenaires au parlement européen, a réussi à rassembler bien au-delà de ce qu'imaginaient les vieux partis de gauche. Que ce sont les vieux partis qui ont trahi leurs têtes de liste aux Européennes, et que cela a mis en péril leur stratégie initiale. Que, malgré cela, LFI est la seule force de gauche à abandonner des circos pour maintenir un projet ambitieux qui avait mobilisé les électeurs de tous bords en 2022, qui me semble être en mesure de faire face à la fois au fascisme et au néolibéralisme. Que les "écartés" n'ont pas seulement arrêté de contribuer. Ils voulaient également écarter le mouvement politique par lequel ils ont eu leurs sièges, et qui était censé être en accord avec leur ligne idéologique (avant qu'ils ne cessent d'en avoir). Absolument n'importe lequel d'entre nous, dans cette situation, n'aurait pas reconduit ces gens.

Que disent les mots, relayés y compris par des camarades de gauche ? 


Que c'est une purge mélenchoniste, lambertiste, à tendance stalinienne. Qu'ils sont écartés parce qu'ils ont critiqué le chef. Que Mélenchon ne pense qu'à lui. Que LFI vise les sièges. 


Le plus dur, le plus vertigineux dans cette histoire, c'est que des gens qui sont réellement irrités par Mélenchon peuvent se retrouver à répéter, de bonne foi, les éléments énoncés dans l'espace public par les "écartés", sans pouvoir à aucun moment les questionner, car l'émotion est trop vive... au moins jusqu'à l'article de l'Express.
En revanche, les Ruffin, Autain, Garrido, Corbière et Davi, au moment où ils prennent publiquement position pour parler de "purge", pour dire que cela découle d'une critique de Mélenchon, que c'est Mélenchon qui a décidé, eux, ils doivent savoir qu'ils mentent. Ils savent comment fonctionnent les comités électoraux de leur parti, et ils connaissent les raisons de leur non-reconduction. Ils doivent savoir qu'ils désinforment, et qu'ils font le jeu de l'obscurantisme, dans le seul intérêt de leur stratégie dissimulée.  Je ne vois pas de honte particulière à estimer que faire revenir une politique sociale passe par un élargissement de la gauche, en délaissant certains éléments fondateurs du programme. Qu'ils l'assument, le construisent, l'expliquent et le défendent. Qu'on en discute, démocratiquement.

Plus dérageant et déstabilisant, même si cela ne retire absolument rien au respect que j'ai pour leur immense travail. Mais lorsque Regards titre son dernier billet "LFI bordélise le Front Populaire", eux qui sont proches de Ruffin et Autain, et qui connaissent donc la stratégie qui était à l’œuvre, ils doivent savoir qu'ils mentent.

Pire encore. Quand face à Clément Viktorovitch, alias Clemovitch (mon streamer préféré soit dit en passant, et certainement la personne qui a le plus fait pour l'esprit critique à notre époque), pendant les 5h de son dernier stream, nous sommes une trentaine à lui parler de l'article de l'Express, qu'il ne le consulte pas. Et qu'il parle de "problème de démocratie interne" sans se soucier de savoir comment elle est mise en œuvre, qu'il prétend que la raison des non-reconductions est "une manque de loyauté", qu'il va jusqu'à déduire que c'est "la preuve que JLM reprend la main", pour finir par demander "ne laissez pas les calculs politiques boutiquiers détruire l'Union"... Il doit savoir qu'il va vite dans ses conclusions, que tout ça n'est qu'une théorie qu'il n'a pas pris le temps de questionner. Il doit voir que 30 personnes essaient de lui amener des faits complémentaires. Ou bien est-ce sincère, mais cela pourrait lui mettre la puce à l'oreille quand, par exemple, il y a des événements majeurs que sa théorie ne lui permet pas de comprendre. Comme la nomination de Hollande. En sciences, une théorie qui ne permet pas de décrire (et encore moins d'analyser) les phénomènes auxquels nous sommes confrontés, on la remet rapidement en question. On l'enrichit. On la complète.

Et Serge Faubert, intellectuel passionné, spécialiste de l'ensemble des instances et mécaniques de la République, qui parle à cœur ouvert, depuis des décennies, avec des parlementaires de tous bords et, clou du spectacle, qui a été remarqué pour son travail méticuleux sur les sectes et les mécanismes d'emprise, quand il reprend les mêmes éléments dans sa dernière chronique, parlant de "divisions abyssales" à gauche quand 90% des programmes convergent, quand il dit que "c'est moins grave de frapper sa femme que de critiquer le chef", quand il relaie la notion de "purge" en parlant de comité électoraux tirés au sort... Il doit savoir qu'il ment. Lorsqu'il va jusqu'à ajouter que tout ça, c'est bien la raison pour laquelle LFI est diabolisée, qu'elle "apporte" même "de l'eau au moulin de sa diabolisation", exactement comme le formulerait l'extrême-droite, il doit savoir qu'il manipule ses auditrices et ses auditeurs depuis une position d'autorité. Les exposant à des théories hautes en émotions et en sensations (on parle quand même de l'arrivée de Bardella à Matignon), qui ne souffrent pas la confrontation avec le réel, mais semblent donner un sens à l'ensemble du monde autour de nous. Soit exactement les procédés à l’œuvre dans les mécanismes d'emprise


Finissons-en.
Mon propos n'est absolument pas de blâmer des gens que j'apprécie, et dont j'estime les contributions cruciales par dessus tout.
Le sujet que je voulais aborder ici, est qu'il me semble qu'il faut considérer les pactes que nous faisons avec l'obscurantisme, terreau de nos adversaires politiques, comme l'une des choses pouvant participer à détruire les mouvements humanistes d'une part, et à entretenir leur puissance d'autre part. 

A mes yeux, comme à ceux de nombreuses personnes autour de moi, cela est déjà allé beaucoup trop loin, et doit trouver un terme. 
La gauche, dans le brouhaha médiatique, sous prétexte d'oppositions de chapelles, s'est bien trop largement salie. Et pas uniquement dans le sens qui vise LFI, même si c'est celui que je connais le mieux.

Nous avons accepté d'entendre parler "d'ambiguités sur l'antisémitisme" comme les ont subi Corbyn au Royaume-Uni ou Sanders aux USA. Comme en ont été accusés en leur temps Blum et Chomsky, pourtant tous deux aussi juifs que Sanders. C'est la même stratégie abrutissante, dans tous les pays du monde, à toutes les époques.
Nous avons fait comme si nos egos, nos inimitiées pour tel ou telle, valaient de faire comme si Johann Chapoutot (historien traduit en 15 langues, spécialiste du nazisme) n'avait pas pris la parole sur le sujet. Comme si Alain Gresh, Rony Brauman et Daniel Schneidermann, tous trois juifs, n'avaient pas démontré le grotesque de la chose. Comme si une tribune n'avait pas été publiée chez Au Poste, coordonnée par l'historienne Ludivine Bantigny, pour condamner cette instrumentalisation de la lutte contre l'antisémitisme, qui a pour objectif de décrédibiliser une force de gauche antiraciste. "Une infamie", d'après les autrices et auteurs.

Nous nous sommes faits le relai de propagandes de droite et d'extrême droite, issues d'un pouvoir qui soutient l'extrême droite israëlienne, qui exprime une vive sympathie pour Meloni ou Milei, qui fait passer des lois issues du programme du RN et que Le Pen reconnait comme ses "victoires idéologiques", qui a voté pour des vice-présidents RN à l'assemblée contre des candidats EELV, qui nomme pour premier ministre un homme ayant écrit pour l'Action Française et publié des livres antisémites en son nom, et qui, clou du spectacle, manifeste contre l'antisémitisme avec un parti fondé par des anciens membres de la SS et de l'OAS...

On s'est habitués, petit à petit, à accepter des théories sur la base de leur capacité de séduction et leur dimension "esthétique", plutôt que sur leur examen rationnel. Par exemple, "les extrêmes se rejoignent" est une théorie géométrique, satisfaisante, apaisante presque, mais personne n'a jamais cité un aspect sur lequel l'anti-républicanisme bourgeois d'extrême droite, et la démocratie autogestionnaire d'Olivier Besancenot se rejoindraient d'une manière ou d'une autre. C'est purement obscurantiste.
Cet aspect "esthétique", "pseudo-logique" mais désincarné, est le propre des théories conspirationnistes. Par exemple on peut dire que "les dominants américains semblent tous puissants, OR des gens disent que consommer du sang d'adolescent augmenterait les forces vitales, ET Joe Biden a un comportement weird y compris avec les adolescents, DONC les démocrates boivent du sang d'adolescents et c'est comme ça qu'ils dirigent le monde". La proposition est séduisante, mais son articulation n'a aucun sens rationnel.

De la même façon, l'argument d'antisémitisme a une valeur principalement psychologique. La stratégie et les positions de LFI sont tellement en dehors du cadre, et tellement systématiquement rejetées, bien qu'elles ne soient pas plus violentes que le programme du PS de 81, que s'y ouvrir demande un effort considérable, même si on sait que le programme est soutenu par les ONG, économistes, associations et acteurs de terrain, comme ceux d'autres forces de gauche. Cette virée dans un territoire inhabituel créée une tension. Cette tension cherche constamment à être résolue, en traquant des arguments qui justifieraient d'arrêter de s'y ouvrir : si LFI est antisémite, alors je peux relâcher l'effort de m'ouvrir à leurs positions. De la même manière : si les comités électoraux sont dirigés par Mélenchon, et que les députés sont purgés pour avoir critiqué le chef, alors je sais pourquoi je suis aussi tendu en cette période de délire total et d'élection anticipée. Ça n'est pas parce que Macron se réjouit à Oradour d'avoir "balancé une grenade dégoupillée dans les jambes" des députés, c'est à cause de Mélenchon qui fait capoter l'Union. Une tension intérieure, insoutenable, trouve sa résolution dans l'obscurantisme. Comme les électeurs RN pensent que leur misère s'évaporera avec la déportation de l'immigré.

Alors, les camarades pensant rejeter "Mélenchon l'autocrate" ou "la secte LFI", se retrouvent à fantasmer des ennemis imaginaires, à relayer les éléments de langage d'autoritaires notoires. A faire, eux-mêmes, ce qu'ils pensent voir chez LFI. Celles et ceux qui disent qu'il n'y a "pas assez de démocratie" à LFI, soutiennent un groupe qui refuse l'expression de la démocratie interne, pensent leurs propres idées supérieures à celles du groupe, pensent avoir le droit de passer en force sur des investitures, et dissimulent (jusque là en tous cas) leurs orientations politiques.

Ce qui se dégage de l'article de l'Express, c'est que le parti accusé d'être autocratique et intéressé est le seul à avoir fait des concession pour garder un programme fort. Et que celles et ceux qui le lui reprochent semblent être embourbés dans une stratégie tellement large qu'elle n'a pas de ligne politique claire, et ne vise donc rien d'autre, dans l'immédiat, que les sièges.

La gauche ne retrouvera jamais de puissance, même si elle gagne les législatives anticipées, si elle ne re-cultive pas sa capacité à rejeter l'obscurantisme, même dans les temps de peur les plus intenses. 
Et il me semble que le traitement de LFI joue un rôle particulier dans ce regain de force.
Lorsque nous disons d'un mouvement qu'il est centré sur une personne, quand c'est le mouvement de gauche qui a fait découvrir le plus de nouvelles têtes, créé le plus d'organes indépendants les uns des autres (parlement de l'UP, coordination des groupes d'action, institut La Boétie, Action Populaire, discord Insoumis...), et investi le plus d'actrices et d'acteurs de la société civile...
Lorsque nous défendons l'idée que LFI veut s'imposer, et Mélenchon tout particulièrement, quand ils proposent EELV comme tête de liste pour les européennes et se rangent derrière la stratégie de Faure pour les législatives anticipées...
... assumons que, pour satisfaire nos émotions instantanées, nous nourissons le terrain de tout ce contre quoi nous luttons.

Ma préoccupation principale, est que je vois très concrètement l'effet cognitif à moyen voire long terme de 7 années d'obscurantisme macroniste, où les électeurs n'arrivent même plus à accepter la constatation des compromissions du pouvoir avec le fascisme, étant donné qu'ils sont littéralement infusés, quotidiennement, de satisfecit macronistes et de concepts mobilisateurs expliquant qu'ils sont le dernier rempart. J'ai peur que ce jeu obscurantiste, quand nous consentons à y jouer à gauche, puisse avoir le même impact cognitif, qui achèverait de briser la société.


PS : camarades PS, PCF et EELV, cet article n'a pas vocation a être partisan, je parle de ce que je connais le mieux et observe le plus. N'hésitez pas à me faire remonter des attaques, y compris venant de LFI, que vous estimez non pas dures, ou agressives mais littéralement obscurantistes. C'est à dire qui s'opposent aux faits, qui les dissimulent ou bien qui les retournent. J'ai envie de commencer à documenter

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