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Billet de blog 2 mai 2018

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Un dîner rue de Solférino (10)

Les affaires reprennent.

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Les affaires reprennent

Prologue

I

Illustration 1

En cette fin de XIXe siècle, quand L’Aurore publiait Zola et que des Esseintes incarnait la « charogne 1900 », dixit la quatrième de couverture du folio n°898 que j’ai gardé de mes études, l’Affaire, c’était l’Affaire… L’Armée contre la Justice, l’Ordre établi contre le désordre… Plus de cent ans après (et oui, le temps passe vite) j’ai plutôt l’impression que l’Affaire, c’est… quelle affaire ? Ou alors, quelle affaire, mazette… Ou alors, que ce ne sont que les affaires, finalement, Bernard Madoff ou DSK, la plus riche et la plus flouée de toutes les vieilles dames du XVIe arrondissement ou de Neuilly, le plus renversant et le plus mauvais menteur de tous les temps, le plus catholique et le moins catholique de tous les impétrants, non ? Corde raide, corde raide, je sais, il est toujours plus difficile de parler du présent que du passé…

Alors, restons dans le superficiel, comme les égéries de Scott Fitzgerald, les femmes fleurs aux longs sautoirs d’argent et aux cheveux courts, errons de sauteries en cocktails, des demeures patriciennes de la vieille Europe aux ranchs tape-à-l’œil des nouveaux riches, trempons nos lèvres dans les bulles de champagne millésimé, oublions la Syrie, la Libye, l’Irak, le Liban, Daesch et les enfants, la Shoah qui reviendra, les femmes emmurées, le monde qui m’engloutira, le monde qui finira peut-être… C’est l’Histoire qui devient contemporaine toute entière, dans le monde d’aujourd’hui, quand ce qui était diachronique ou récurrent, les guerres, les pestes, les famines, les atrocités commises et les atrocités projetées, les tortures, les massacres, les agonies, les femmes que l’on brûle ou que l’on mène au tombeau de leur vieux mari, pour la tradition, pour la croyance, pour l’honneur de la famille, quand tout ce diachronique devient synthétique et synthétisé, et que tout se joue désormais en technicolor, minute par minute…

Oublions un peu de temps en temps, restons dans le superficiel, amusez-vous à défaut de vous enrichir…

...

Les affaires de ce tournant du siècle, elles me fascinent, je le reconnais, un vrai terrain de camping pour les sciences humaines : on peut faire de la sociologie, de la psychologie et de la psychanalyse, de l’anthropologie, de l’économie, de l’économie politique, des économies, du droit, du juridisme, de l’amateurisme, un vrai bonheur ! Que du bonheur, même, comme ils disent à la télé… Je n’avais pas fait le lien, lorsque éclata cette autre affaire, à peu près au moment de la coupe du monde et de ce bus de rebelles de pacotille bloqués en Afrique du sud, dont j’avais juste noté les lunettes noires, la quincaillerie de leurs griffes de luxe, le survêtement et les tongs ridicules de celui qui déboula un matin sur Télé-foot, ou encore les mini-shorts de leurs compagnes manucurées et l’incommensurable vacuité de leurs propos demeurés, mais il me semble que la tragi-comédie commença au même moment ou à peu près, et c’est d’ailleurs pour cela que je m’étais abonnée à Médiapart, rien que pour suivre les péripéties du vaudeville…

À ce moment-là, Louise commençait à décristalliser doucement, encore un peu bercée par la torpeur des nuits câlines mais sournoisement guettée par l’ennui et la désillusion. Marco se faisait de plus en plus rare, au sens où il n’était pas souvent là et au sens où ses propos (les siens, pas ceux de l’équipe de foot) étaient devenus de plus en plus inconsistants, à peine mieux que ceux de l’équipe de foot, finalement, quand on y réfléchissait… Moins d’onomatopées mais beaucoup de creux, quand même, beaucoup de creux, beaucoup d’incohérences, et pas vraiment d’alibi.

Ex post, la réalité devient différente, se déforme, et les faux-semblants se révèlent, un peu comme dans ces émissions dans lesquelles sont décortiquées les affaires criminelles, et que, parfois, le début désigne à tous les coups le coupable : sûr que c’est lui, un tel faisceau d’indices irréfutables, une telle accumulation de présomptions, inutile de continuer, inutile d’aller plus loin, c’est lui, c’est plié, c’est lui, c’est sûr que c’est lui… jusqu’à ce qu’un fait, une évidence, une preuve, ou même pas un fait, parfois un rien, un tout petit rien, une peccadille, un grain de sable, et l’histoire redémarre, recommence, se reconstruit tout à l’envers, dans un ordre différent, et que toutes vos certitudes tombent une à une… Non, ce n’est pas lui, assurément, c’est l’autre, ou alors non, mais alors c’est qui ? Un peu le même exercice que dans Douze hommes en colère, finalement, quand le jury bascule, évidence par évidence, et qu’il sort de sa cécité. Elles sont souvent un peu longuettes, ces émissions, c’est vrai, et bien théâtralisées, aussi, mais la durée a le mérite de vous laisser flotter longtemps, de vous démontrer combien les apparences peuvent vous tromper, et combien vous êtes prêt à vous retourner, un jour, comme dans la révolution copernicienne qui fait qu’autrefois, le soleil tournait autour de la terre, et qu’à un moment donné, pas du tout, c’est l’inverse…

Vous aimeriez bien vous dire qu’on ne vous la fait pas, pas à vous, que même au Moyen Age, vous auriez compris, que même en 1933 vous auriez su, et que sous l’Occupation non plus, jamais vous n’auriez prêté serment au maréchal Pétain et que vous seriez même devenu un héros, n’empêche que n’est pas de Gaulle qui veut, et que c’est comme pour les concours, c’est sans doute le niveau plus ou moins le facteur chance…

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