Tout le monde est emballé par Les Fruits d'Or, à ce qu'il paraît...
J'ai un peu lu le bouquin...
Eh bien, je ne sais pas si vous êtes de mon avis... mais moi je trouve ça faible.
Je crois que ça ne vaut absolument rien...
Mais rien, hein ? Zéro. Non ? Vous n'êtes pas d'accord ?
Nathalie Sarraute, Les Fruits d'Or, 1973
L’autre histoire à laquelle elle avait pensé, pour intéresser le lecteur, c’est l’histoire du roman pornographique. Celui-là, personne ne l’avait jamais lu, même pas ses meilleures copines, encore que je les soupçonne, mine de rien, d’en avoir considéré la possibilité avec une certaine gourmandise. Ce n’est quand même pas si souvent que quelqu’un (quand je dis quelqu’un, c’est simplement une personne que vous connaissez) vous dit qu’il ou elle vient d’écrire un roman pornographique et que, peut-être, un jour vous en aurez la primeur. Ce n’est pas un truc auquel on peut réagir facilement, en disant, par exemple : « Ah bon ? » ou alors : « Tu m’en diras tant ! », tout en se retenant de s’exclamer : « Mince, j’en salive d’avance et j’espère bien que tu me permettras sans tarder d’aller me vautrer dans la boue voluptueuse de tes fantasmes les plus débridés.» Sinon que personne n’avait osé s’exclamer de la sorte et qu’elle ne l’avait fait lire à personne, ce roman qui existe. Sauf, sans doute, au professeur de philosophie du siècle dernier, mais le professeur de philosophie du siècle dernier, il faut reconnaître que c’est encore une autre histoire, une de celle qu’on ne peut pas non plus dévoiler ou tout au moins pas encore. Il avait dit : "Il n'y a rien là, ma chère, dont vous pourriez avoir à rougir", mais là-dessus (ou là-dessous), je ne suis pas certaine qu'on puisse lui faire confiance, ni le considérer comme un maître, car il est vraiment d'une autre époque.
Alors, flop. Si l’on y réfléchit bien, il est totalement impossible que je puisse un jour publier (sur Médiapart ou sur n’importe quel canard un tant soit peu évolué) quelque chose qui ressemblerait à un roman pornographique, même sous pseudonyme. À ce stade, d’ailleurs, voilà qui nous permet déjà d’éclairer un peu la notion de pseudonyme, dans sa grande ambivalence, et de relativiser ce que je lis si souvent, à savoir qu’un pseudonyme vous permettrait d’écrire n’importe quoi et de lâcher la bride, comme un petit clébard ou un rat visqueux décérébré. C’est peut-être vrai de certains, dont la configuration du cerveau ou de l’absence de cerveau m’échappe, mais en ce qui me concerne, tant que le pseudonyme était juste un truc qui me permettait d’écrire sans qu’on me reconnaisse, c’était tranquille et je pouvais écrire tout ce que je voulais (ou en partie tout ce que je voulais, parce que j’ai quand même un surmoi ou un genre d’éthique). Maintenant qu’il est devenu moi, ce pseudonyme, c’est-à-dire celui de quelqu’un qui existe et qui commence à avoir des relations ou des ami(e)s à lui (le pseudonyme), indépendamment de son existence réelle (à elle), il est tout aussi impensable que je publie des cochonneries sous mon pseudonyme que des fantaisies inconsidérées sous mon vrai nom. Bon, mais vous voyez bien maintenant que c’est une impasse : je ne vais tout de même pas prendre un autre pseudonyme pour ne pas gâcher mon pseudonyme du début ou je finirai par tenir tellement de fils de destins entre mes mains que je ne m’y retrouverai plus.
Donc, vous voyez bien qu’on est bloqué, désolée.
Ou alors…
Non.
Quoique…
Une idée qui me vient, ce serait peut-être que je ne le publierai pas, ce roman, mais qu’on pourrait en parler. En dire des choses, en disserter un brin...
Qu’est-ce que vous en pensez ?
Non, mais dites-le franchement, sinon j’abandonne.
Ou alors, si vous insistez, je vais aller le chercher, le sortir du placard, ce roman, puis je vous en lirai des extraits édulcorés et on en parlera. On parlera de la possibilité ou de la certitude qu'il existe, ou alors de l'air du temps. En revanche, il va falloir m’aider à en parler, en édulcorant, sinon ça ne va jamais marcher, on va se faire censurer direct.
Allez, si l'inspiration ne m'abandonne pas, on commence la semaine prochaine.
À suivre
https://blogs.mediapart.fr/emma-rougegorge/blog/230321/le-roman-pornographique-et-autres-histoires-2