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Billet de blog 22 janvier 2022

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11. Faire une fin

Pour en revenir à Nelly, surtout…

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Faire une fin

Pour en revenir à Nelly (désolée, c’est tout ce que j’ai trouvé comme continuité), elle avait beau relire le roman pornographique, elle se disait qu’il n’y avait pas grand-chose à en tirer (hum) ce qui, in fine, donnait raison à Gallimard. Double humiliation, en conséquence (de l’avoir écrit et de devoir donner raison à qui que ce soit) compte tenu du nombre de clichés et de mièvreries, de dialogues insipides et de naïvetés que contenait l’ouvrage, indéfendable. Ni du point de vue de sa philosophie, ni de celui d’une quelconque analyse stylistique. Si seulement il avait été écrit par quelqu’un d’autre, j’en aurais pleuré de rire et me serait gaussée avec cruauté, qu’est-ce que ça m’aurait fait du bien ! Les scènes de cul étaient ratées (à part, peut-être, celle où Maryse se coince le string dans une protubérance de la chaudière sous le regard bovin du fils de la gouvernante, mais passons…) et la fin, surtout, était lamentable. Au bout du compte, après la scène d’anthologie de la voiture dans le bois de Vincennes, Priscilla (l’héroïne) profitait de la déconfiture de Victor (le vieux saligaud) pour se faire la malle en douce et foncer soi-disant admirer l’exposition Picasso et les maîtres au Grand Palais (ou le Picasso érotique de l’exposition précédente, on ne savait pas trop), ce qui n’était en fait qu’un habile prétexte pour retrouver Théo, un adolescent lymphatique, un peu boutonneux mais apparemment normal. Ce dernier (caché derrière un pilier) lui remettait une clé USB et se lançait dans quelques explications vaseuses, d’où il ressortait à la fois qu’il était amoureux de Priscilla et que, grâce à une série de documents soustraits par on ne sait quels moyens ingénieux, Amaury (l’oncle indigne) allait devoir répondre, et fissa, de fraude fiscale, de blanchiment de gains illicites et de subornation de témoins (la sidération et l’abus de faiblesse sur mineures, tout le monde s’en foutait, vu que c’était avant #MeToo). Ouf, inutile de se voiler la face, on passait directement d’Histoire d’O à la Bibliothèque verte, même si, dans l’intervalle, Maud (l’ingénue) était encore une fois conviée à une partouze, pas mal décrite, ma foi, mais avec un abus de jarretières, de guêpières, de frous-frous et de guimpes que personne de sensé ne saurait cautionner.

Nelly n’en revenait pas, d’avoir écrit un truc aussi inepte et sans aucune autre excuse que les antidépresseurs. Comme à son habitude, elle se rongeait les sangs de honte, tenant mordicus à trouver une explication qui ne venait pas. Personnellement, je ne peux pas l’aider, parce que c’est vrai qu’il est étonnamment mauvais, ce bouquin. À la fin, on en reste sans voix, tellement c’est nul. Le début, encore, il y a peut-être quelque chose à sauver, mais alors, la fin, ridicule ! Pourquoi est-ce qu’elle n’arrive jamais à faire une fin ? À sa place je m’interrogerais : quelles sont les questions sans réponse ?

Bon, comme elle ne m’écoute jamais, elle a encore trouvé un truc échappatoire. ..

Considérant qu’il fallait toujours en revenir au lecteur, lui prendre le pouls en quelque sorte, Nelly avait décidé de s’inscrire dans un atelier d’écriture. N’ayant pas les moyens, au sens propre comme figuré, de tenir tête à Gallimard, elle s’était rabattue sur un cercle plus anonyme (on verra plus tard si la scène doit se passer dans le 6e arrondissement ou aux fins fonds de la Lozère) dont les règles étaient assez simples : je te lis, tu me lis. Ce qui l’avait obligée à lire pas mal de trucs assez étranges, de Les Histoire de mon chat à Ma dulcinée, en passant par Frémissements sensuels, n’empêche que c’est toujours utile. En contrepartie, les valeureux écrivains avaient livré le fond de leur pensée à Nelly, à savoir qu’on ne comprend rien, vu que les phrases sont trop longues, qu’il n’y a pas les guillemets là où on les attend, qu’il y a des citations et des références à la con et que, cerise sur le gâteau : Y’a pas d’histoire.

Alors, là…

Pendant des jours, Nelly avait donc ressassé à n’en plus finir cette histoire que y’a pas d’histoire, complétement perturbée, pour en conclure qu’en vérité… ce n’était pas entièrement faux. Pourquoi des débuts et jamais de fin, se demandait-elle, pourquoi ? Est-ce seulement un défaut d’imagination ou est-ce que, par extraordinaire, j’aurais peur de la fin ? Si je relis tout ce que j’ai écrit depuis le début, quelles sont les questions sans réponse, voyons voir…

Est-ce que le grand dépendeur d’andouilles à peine alphabétisé m’a forcée, ou est-ce que j’étais d’accord ?

Est-ce que mon prof de philo m’a violée quand j’avais dix-sept ans (non). Dans l’hypothèse où il l’aurait fait, il y aurait une histoire (non ?) En admettant même qu’il ne l’ait pas fait (oui), est-ce qu’il m’autoriserait à raconter la scène du lac, quand il est venu me chercher et qu’il m’a emmenée dans cet endroit désert, soi-disant naturiste, où il s’est désapé et que je n’ai enlevé que le haut, adolescente boulotte que j’étais, mais tout de même tétanisée d’angoisse, à me répéter qu’on était là pour discuter de Platon et de Descartes ?

Est-ce que Marco m’aime toujours ?

Est-ce que Pierre est toujours mon ami ?

Je crois que tant qu’on n’a pas résolu ces questions, on ne peut pas continuer. C’est pour ça qu’elle n’arrive pas à faire une fin, cette pauvre Nelly. Alors, elle parle d’autre chose, elle recommence sans cesse…

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