Emmanuel Daoud
Avocat
Abonné·e de Mediapart

2 Billets

0 Édition

Billet de blog 1 août 2017

Emmanuel Daoud
Avocat
Abonné·e de Mediapart

Projet de loi antiterroriste: «En Marche» vers la discorde

Voilà maintenant quelques semaines qu’est discuté par les parlementaires le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Dans l’indifférence quasi-générale. Cette loi est pourtant porteuse de plus grands dangers que ceux contre laquelle elle dit vouloir lutter.

Emmanuel Daoud
Avocat
Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Tout d’abord et contrairement à l’objectif annoncé, le projet de loi renforçant la sécurité intérieure ne vise pas uniquement à prévenir la commission d’actes à caractère terroriste. Les mesures d’enquête à disposition de l’autorité administrative sont en effet destinées à « prévenir des actes de terrorisme » mais également à protéger les « intérêts fondamentaux de la Nation » (qui englobent également les intérêts économiques et les intérêts majeurs de la politique étrangère de la France) et à lutter contre la « criminalité transfrontalière ».

C’est ici une illustration de ce que la lutte contre le terrorisme est devenue l’alibi parfait pour poursuivre plusieurs objectifs répressifs, paravent à toutes les dérives, et insusceptible d’être critiqué sauf à être taxé d’irresponsable.

Sous couvert de lutte contre le terrorisme, on renonce ainsi aux fondements de notre Etat de droit et aux valeurs de la République.

C’est le chemin qu’a décidé de suivre le Gouvernement.

Le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme vise en effet à déroger aux principes gouvernant la procédure pénale.

Ainsi et alors qu’une mesure attentatoire à la liberté individuelle est, dans le cadre de la procédure pénale, justifiée par l’existence d’une infraction constatée ou alléguée, le projet de loi permet de restreindre la liberté d’un individu, sur le seul et unique fondement de l’existence d’un soupçon.

L’assujettissement à une mesure s’apparentant à un contrôle judiciaire (assignation à résidence et pointage, signalement des déplacements), le port d’un bracelet GPS, mais également le recours à des perquisitions, la retenue sur les lieux de celle-ci pendant une durée de quatre heures et enfin les saisies de documents et de données informatiques, ne sont en effet décidés que sur l’unique fondement de ce qu’il existe, à l’encontre de la personne concernée, des « raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics» (article 3 du PJL).

Inutile de chercher, il n’existe pas de définition de cette notion non juridique, adoptée dans les textes de lois depuis les attentats de novembre 2015. Surtout, celle-ci est laissée à l’entière appréciation de l’administration, qui décide, seule, de faire appliquer l’une des différentes mesures évoquées.

Qui sont les premiers concernés par ces mesures ?

Les musulmans de France qui peu ou prou sont désignés à la vindicte populaire, cible des discours populistes et démagogiques, citoyens de seconde classe de notre République.

Or pour corriger d’éventuelles erreurs d’appréciation de l’administration, le contrôle exercé par le juge est illusoire.

En effet et dès lors que la notion des raisons sérieuses de penser ne repose sur aucun critère objectif, la contestation de la mesure par l’individu astreint à une mesure de police administrative ou par sa défense, est nécessairement limitée.

En outre, pour apprécier l’existence des raisons sérieuses de penser, le juge n’aura qu’accès qu’aux documents qui lui seront fournis par la même administration qui aura décidé d’appliquer la mesure initialement, et ne pourra donc pas exercer son contrôle de façon pleinement indépendante.

Et si tant est que le juge parvienne, malgré tous ces obstacles, à remplir son office et vienne à juger que la mesure a été décidée de façon injustifiée, les recours envisagés par le projet de loi sont tels que la personne aura, à cette date, d’ores et déjà été astreinte à la mesure contestée, pendant plusieurs semaines et plusieurs mois.

Mais pas de panique, seuls certains d’entre nous seront visés.

Les mêmes sans doute qui ont été assignés à résidence pendant l’état d’urgence. Les mêmes qui sont stigmatisés depuis la multiplication des attentats terroristes commis sur le sol français.

Ceux-là même que l’on cherche aujourd’hui à exclure de l’état de droit et des garanties qui nous protègent contre l’arbitraire.

Certes, ils n’auront sans doute pas toutes les armes pour se défendre contre la peur, instrumentalisée par le politique, peur agitée comme un épouvantail par le ministre de l’intérieur et par les extrémistes de tous poils.

Le législateur a l’obligation de veiller à la concorde civile.

Cette législation d’exception que l’on voudrait banaliser est en réalité une preuve de discorde entre les français. Les terroristes veulent semer la zizanie et pousser à la radicalisation des positions entre les musulmans et les non musulmans.

Le PJL tel que proposé aujourd’hui par le Ministre de l’intérieur leur donne raison : stigmatisation, ostracisation, le modèle républicain d’intégration est sacrifié sur l’autel de la peur et de la démagogie.

Article rédigé avec Adelaïde Jacquin avocate

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bienvenue dans Le Club de Mediapart

Tout·e abonné·e à Mediapart dispose d’un blog et peut exercer sa liberté d’expression dans le respect de notre charte de participation.

Les textes ne sont ni validés, ni modérés en amont de leur publication.

Voir notre charte