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Billet de blog 4 février 2025

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Nouvelles sanctions des États-Unis contre la Cour pénale internationale : un frein colossal à la lutte contre l’impunité

Véritable menace pour la CPI, la loi dite « Illegitimate Court Counteraction » a pour conséquence directe et voulue d’entraver l’efficacité de la Cour dans la poursuite et la sanction des crimes dits « internationaux ». Si Donald Trump a perdu son premier pari de l'adopter avant la visite de Benjamin Netanyahu à Washington le 4 février, Il n’y a toutefois pas matière à crier victoire hâtivement. Par Emmanuel Daoud et Marie Lehmon.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le 9 janvier dernier, la chambre des représentants des Etats-Unis a voté à la majorité de 243 contre 140 voix la loi dite « Illegitimate Court Counteraction Act H.R. 23 » (en français : Loi de neutralisation des cours illégitimes – traduction libre).

Elle consiste à imposer des sanctions à l'égard des membres de la Cour pénale internationale (CPI) et aux individus qui l’aident à enquêter, arrêter, détenir ou poursuivre toute personne protégée des États-Unis et par leurs alliés.

Véritable menace pour la CPI, cette loi a pour conséquence directe et voulue d’entraver l’efficacité de la Cour dans la poursuite et la sanction des crimes dits « internationaux ».

Conformément au processus législatif en vigueur aux Etats-Unis, le projet de loi a été présenté aux sénateurs le 28 janvier dernier. Contrairement à tout pronostic, elle n’a pas obtenu la majorité requise et n'a ainsi pas (encore) été adoptée.

Il n’y a toutefois pas matière à crier victoire hâtivement. En effet, l’opposition des membres du parti démocrate ne trouve pas sa source dans une quelconque reconnaissance de la CPI et de ses missions, mais s’inscrit davantage dans la volonté de négocier un compromis afin d'éviter que les alliés des États-Unis et les entreprises américaines qui travaillent avec la Cour se trouvent également frappés par des sanctions. Acquiesçant ainsi à l’idée même des sanctions, le sénateur Chuck Schumer, a accusé la CPI d'avoir « un parti-pris anti-israélien » (US Senate Democrats block bill to sanction international court over Israel | Reuters) ne pouvant être ignoré (traduction libre).

Si Donald Trump a perdu son premier pari d’adopter une loi qui bloquerait l’action de la CPI avant la visite de Benjamin Netanyahu à Washington le 4 février 2025, des sanctions finiront par être adoptées. La question de leur étendue reste quant à elle en suspens.

Les experts de l’ONU en alerte

Les retombées de cette loi alertent dès maintenant les plus hauts fonctionnaires internationaux. Un groupe d’experts de l’ONU a en ce sens lancé un appel à la vigilance. Ce groupe, composé de Margaret Satterhwaite (rapporteuse spéciale pour l’indépendance des juges et avocats), Francesca Albanese (rapporteuse spéciale pour la situation des droits de l’Homme en territoire occupé palestinien) et George Katrougalos (expert indépendant sur la promotion d’un ordre international démocratique et équitable) (US: Rights experts urge Senate to reject bill sanctioning the International Criminal Court | UN News) a déclaré que : « L’adoption d’un projet de loi qui crée un angle mort pour la justice concernant certains pays (…) sape irrémédiablement l’esprit d’universalité sur lequel repose le système de justice internationale » (traduction libre).

Un champ d’application vaste

Le projet de loi H.R.23 (Text - H.R.23 - 119th Congress (2025-2026): Illegitimate Court Counteraction Act | Congress.gov | Library of Congress) est aussi vaste dans son champ d’application personnel et matériel, que dans la nature des sanctions susceptibles d’être prononcées.

Les personnes sanctionnées peuvent se voir exclues de transactions portant sur tous les biens et droits sur ces biens, à condition que ceux-ci se trouvent ou entrent sur le territoire américain, mais également dans le cas où ils sont ou entreraient en possession ou sous le contrôle d’une personne américaine.

Des interdictions d’émission et des révocations de visa sont également envisagées.

Le champ d’application ratione personae dudit projet de loi est par ailleurs vaste. Il concerne toutes les personnes qui coopèrent et/ou travaillent avec et pour la CPI dans ses missions d’enquête, arrestation, détention et poursuite des personnes que les Etats Unis considèrent comme « protégées ».

Sont à ce titre concernés les ressortissants américains ainsi que les ressortissants des Etats alliés des Etats Unis. Cela concerne les gouvernements des Etats membres de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) et les membres désignés par le Président. Conformément à la section 517 du « Foreign Assistance Act of 1961 » (en français : La loi sur l'assistance étrangère de 1961 – traduction libre) il s’agit notamment de l’Australie, l’Egypte, Israël, le Japon, la république de Corée et la Nouvelle Zélande.

Le projet de loi concerne par ailleurs toute personne qui coopère directement avec la CPI ou qui l’assiste d’une quelconque manière dans l’exercice de ses fonctions, mais également les personnes qui détiennent ou contrôlent une personne assistant ou coopérant avec la Cour.

Le projet de loi avait donc vocation à s’appliquer très largement, indépendamment de la fréquence et de la portée des interactions avec la Cour. Dans un contexte où la CPI rencontre déjà d’importantes difficultés à faire exécuter les mandats d’arrêt qu’elle délivre, en particulier ceux concernant des membres de la « triade » dont les chefs d’Etats et de gouvernements en exercice, ce large champ d’application risque de confirmer la réticence des Etats à collaborer avec elle.

Un autre point particulièrement alarmant du projet est, qu’elle concerne les personnes apportant une assistance matérielle, technologique et financière à la Cour. Cela inclut également les fournisseurs américains de biens et de services à la CPI.

Le projet de loi ne distingue en effet pas selon la nationalité desdits fournisseurs de services. Les parlementaires américains vont tenter dans les semaines à venir de définir un régime de sanctions contre les « partenaires » de la Cour, sans pour autant mettre à mal le business des entreprises américaines. Encore un nouvel exemple de la real politik à l’Américaine.

Comment la CPI peut-elle se défendre ?

A titre d’illustration, il a été envisagé par le passé de contrebalancer les effets excessifs et extraterritoriaux des sanctions américaines prononcées contre l’Iran. En ce sens, l’Union européenne a procédé à l’adoption d’un règlement dit de « blocage ». Ce règlement a entre autres pour but d’interdire aux opérateurs économiques de se conformer aux sanctions américaines (Règlement - 2271/96 - EN - EUR-Lex).

La CPI quant à elle pourrait se saisir des faits et, en vertu de l’article 70-1-d et -e du Statut de Rome, poursuivre les personnes qui procèdent de façon effective à l’intimidation de ses membres et/ou s’engagent dans des représailles à son encontre.

Ces deux dispositions ont pour but de protéger les membres de la Cour et de garantir qu’ils puissent exercer leurs fonctions de manière effective. Les commentateurs du Statut de Rome (ICC Legal Tools Database | Mark Klamberg, Jonas Nilsson and Antonio Angotti (editors), Commentary on the Law of the International Criminal Court: The Statute, Volume 2, Torkel Opsahl Academic EPublisher, Brussels, 2023 Geoff Roberts, p. 395-396) précisent également qu’aucune distinction n’est faite quant à la nature des fonctions couvertes par cette disposition ou encore si elles doivent être liées à une affaire ou une situation particulière.

A priori aucun lien ne serait nécessaire, ce qui permettrait donc en l’espèce à la Cour de se saisir de telles atteintes à sa bonne administration. Cela pose toutefois des questions d’étendue de ses compétences et du cadre procédural applicable.

Une énième démonstration de l’hostilité des Etats Unis envers la CPI

Ce n’est pas la première fois que les Etats Unis adoptent des mesures à l’encontre de la CPI. En effet, sous la première administration Trump, ce dernier avait décidé, en juin 2020 d’adopter des sanctions en réponse aux enquêtes menées par le Bureau du Procureur (Federal Register :: Blocking Property of Certain Persons Associated With the International Criminal Court). Il s’agissait plus particulièrement des enquêtes sur la situation en Afghanistan, mettant en cause des ressortissants américains soupçonnés de torture.

A cet égard, l’ancienne Procureure de la CPI Fatou Bensouda ainsi que des membres de son bureau s’étaient alors vu geler leurs comptes en banque et cartes de crédit.

Si ces sanctions avaient été levées par l’administration Biden par décret, le secrétaire d’Etat Antony Blinken émettait alors déjà la possibilité d’en adopter de nouvelles à la suite de la délivrance des mandats d’arrêt, le 21 novembre 2024 contre le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, et son ex-ministre de la Défense, Yoav Gallant.

Ce décret a par ailleurs d’ores et déjà été rétabli par Donald Trump le soir même de son investiture (What Just Happened: With ICC Sanctions).

Rien ne l’empêche par ailleurs d’adopter un nouveau décret dans le cadre de la visite de Benjamin Netanyahu à la Maison Blanche le 4 février prochain.

Les conséquences de ces sanctions américaines sur la justice pénale internationale seraient désastreuses.

En effet, comment la lutte contre l’impunité et l’efficacité de la CPI pourraient-elles y survivre ?

Seule une réponse ferme de la communauté internationale pourra permettre la poursuite des missions de la CPI afin que la justice pénale internationale soit davantage une réalité et non une chimère.

Emmanuel DAOUD Avocat au Barreau de Paris

Marie LEHMON Elève avocate

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