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Emmanuel Kosadinos

Formé à la Psychiatrie et la Psychanalyse, ayant pratiqué différentes modalités de la Médecine publique sur 5 pays européens, j'ai milité pour le droit à la Santé et la Démocratie autogestionnaire vraie, pour les droits individuels et collectifs depuis mon adolescence. Au moment de la crise grecque j'ai rejoint le parti SYRIZA que j'ai quitté après sa volte-face néolibérale. Candidat aux élections européennes de 2019 avec la formation grecque «Unité Populaire», engagé avec la France Insoumise depuis sa formation, je participe également aux organisations Union Syndicale de la Psychiatrie (USP), Réseau européen pour une Santé Mentale Démocratique (RESMD), Association Internationale pour les Politiques de santé en Europe (IAHPE), Mouvement Populaire pour la Santé (PHM). Je collabore avec les publications Cahiers de la Santé Publique et de la Médecine Sociale, Pratiques les Cahiers de la médecine utopique, Vie Sociale et Traitements (VST), Silo Magazine, Contre-temps et Defend Democracy Press.

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Billet de blog 8 janvier 2023

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Formé à la Psychiatrie et la Psychanalyse, ayant pratiqué différentes modalités de la Médecine publique sur 5 pays européens, j'ai milité pour le droit à la Santé et la Démocratie autogestionnaire vraie, pour les droits individuels et collectifs depuis mon adolescence. Au moment de la crise grecque j'ai rejoint le parti SYRIZA que j'ai quitté après sa volte-face néolibérale. Candidat aux élections européennes de 2019 avec la formation grecque «Unité Populaire», engagé avec la France Insoumise depuis sa formation, je participe également aux organisations Union Syndicale de la Psychiatrie (USP), Réseau européen pour une Santé Mentale Démocratique (RESMD), Association Internationale pour les Politiques de santé en Europe (IAHPE), Mouvement Populaire pour la Santé (PHM). Je collabore avec les publications Cahiers de la Santé Publique et de la Médecine Sociale, Pratiques les Cahiers de la médecine utopique, Vie Sociale et Traitements (VST), Silo Magazine, Contre-temps et Defend Democracy Press.

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Appauvrissement, précarité, luttes sociales en France et le contexte actuel.

Meeting du parti politique grec «Unité Populaire», École Sciences Po & Soc «Panteio», Athènes, 14/12/ 2022. La globalisation accélère la propagation de la «triple crise». Vue de Grèce, la France semble proche par l'appartenance commune à l'UE et la position en Méditerranée, mais il existe de grandes différences. Notre avenir commun dépendra notamment des solidarités internationales militantes.

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Formé à la Psychiatrie et la Psychanalyse, ayant pratiqué différentes modalités de la Médecine publique sur 5 pays européens, j'ai milité pour le droit à la Santé et la Démocratie autogestionnaire vraie, pour les droits individuels et collectifs depuis mon adolescence. Au moment de la crise grecque j'ai rejoint le parti SYRIZA que j'ai quitté après sa volte-face néolibérale. Candidat aux élections européennes de 2019 avec la formation grecque «Unité Populaire», engagé avec la France Insoumise depuis sa formation, je participe également aux organisations Union Syndicale de la Psychiatrie (USP), Réseau européen pour une Santé Mentale Démocratique (RESMD), Association Internationale pour les Politiques de santé en Europe (IAHPE), Mouvement Populaire pour la Santé (PHM). Je collabore avec les publications Cahiers de la Santé Publique et de la Médecine Sociale, Pratiques les Cahiers de la médecine utopique, Vie Sociale et Traitements (VST), Silo Magazine, Contre-temps et Defend Democracy Press.

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 Appauvrissement, précarisation, luttes sociales et politiques en France dans le contexte international actuel.

Discours pour la réunion politique publique de l'Unité Populaire/ Gauche Insoumise LaE/AA

Athènes, École des Sciences Politiques et Sociales «Panteio», le 14 décembre 2022

Illustration 1
«Appauvrissement, précarité & luttes en Europe, meeting débat de la formation politique grecque «Unité Populaire/ Gauche Insoumise», Université des Sciences Politiques et Sociales Panteion, Athènes, 14-12-2022 © Unité Populaire

Salutation et introduction 

 Camarades,

 Je voudrais tout d'abord remercier les organisateurs pour l'invitation à prendre la parole et tout particulièrement mon cher camarade et ami Dimitris Stratoulis.

 Transmettre également les salutations des quelques camarades grecs en France avec lesquels je reste toujours en contact, des camarades français amis fidèles de la Grèce, les honnêtes gens des quartiers populaires de Marseille qui m'ont accueilli sans préjugés lorsque j'ai mis les pieds dans cette ville. Ces personnes, dont certaines ignorent même sur quel continent se trouve la Grèce, reconnaissent intuitivement l'essentiel de l'injustice subie par les couches populaires de la Grèce ainsi que le rôle de l'ennemi commun, l'oligarchie mondiale et l'impérialisme.

Illustration 2
Sadek Hadjérès (1928 - 2022), moudjahid éternel de la 1ère heure, ovationné par ses camarades grecs © Éditions Frantz Fanon, Emmanuel Kosadinos, Unité Populaire

Je voudrais également rendre hommage au combattant de la Démocratie et la Justice Sociale, ancien premier secrétaire (1965 - 1990) du Parti de l'Avant-Garde Socialiste (PAGS) algérien, fidèle soutien de la Gauche grecque, Sadek Hadjérès, (applaudissement prolongé dans l'amphithéâtre) qui nous a quittés il y a environ un mois et demi, plein de jours mais aussi de chagrin par rapport à la tournure défavorable de la situation internationale actuelle, géopolitique, sociale et idéologique.  

Que les luttes de Sadek, qui n'ont jamais cessé en dépit des persécutions et déceptions, soient pour ceux qui restent dans ce monde une boussole d'espoir à nous guider.

 Pour celles et ceux qui ne me connaissent pas, je suis Manolis Kosadinos, un Grec qui a été contraint de partager sa vie et son cœur entre deux patries, jamais entre deux camps sociaux.

Illustration 3
Emmanuel Manolis Kosadinos, co-représentant du parti politique grec «Unité Populaire/ Gauche Insoumise» en France [image Unité Populaire] © Unité Populaire

 Notre réunion et débat d'aujourd'hui est consacrée à la crise sociale, telle qu'elle évolue hors des frontières de notre pays. Les propos tenus par les intervenants n'ont vocation ni de complaisance ni d'alarmisme, voire de désespoir, mais d'éclairage afin que nous puissions puiser force des succès de nos camarades internationaux, mais aussi sagesse de leurs défaites et échecs, pour continuer à se frayer avec persévérance un chemin qui, en s'élargissant, mènera sur la voie de la Démocratie vraie et de l'émancipation sociale. 

La mondialisation actuelle accélère la propagation des phénomènes économiques, sociaux et politiques au-delà des frontières administratives, géographiques ou culturelles. Cela est devenu particulièrement évident à travers l'évolution des crises successives que nous vivons, la crise économique, la crise pandémique, la crise géopolitique dont manifestation culminante est la guerre russo-ukrainienne.  

Deux autres crises mondiales s'annoncent aux conséquences peut-être davantage ravageuses : la crise écologique et la crise de la Démocratie.

Illustration 4
Affiche & Intervenants du meeting du 14-12-2022 © Unité Populaire , Emmanuel Kosadinos

 Vue de Grèce, la France semble proche du fait de notre appartenance commune à l'Union européenne, de notre position géographique commune en Méditerranée, de la multitude d'emprunts culturels et politiques mutuels.Mais il existe des différences essentielles qui devraient nous empêcher de faire des parallèles hâtifs. 

Présentation contextuelle et historique du cadre français

 La principale différence est que la France est une ancienne puissance impérialiste et conserve encore une partie de sa capacité originelle à transférer la plus-value des pays tiers, notamment du continent africain. Bien que sa position continue de s'affaiblir, la classe dirigeante du pays a toujours la possibilité de mobiliser des réserves. Pilier de l'économie française l'industrie de guerre et les exportations d'armements et autres produits connexes, sont articulées à la géostratégie. On peut en dire autant de l'industrie et commerce des hydrocarbures, de l'uranium et de la technologie nucléaire.

Illustration 5
Devant le siège d’Orano, Greenpeace dénonce les exports de déchets nucléaires français vers la Russie [image Victor Point, Greenpeace] © Victor Point, Greenpeace

La consolidation, à moyen et long terme, d'une position internationale privilégiée de la France serait possible dans la mesure où il n'y aurait pas de mouvements anti-coloniaux ni de concurrence d'autres puissances (États-Unis, Chine, etc.) ce qui n'est en réalité pas le cas.  

De plus, l'alignement de la majorité des pays de l'Union Européenne sur les objectifs étasuniens fait de la France un candidat perdant dans le jeu du capitalisme international, du moins dans le contexte diplomatique de l'Europe actuelle.

 La récente décision de Macron de démanteler le Corps Diplomatique français, qui était jusqu'à aujourd'hui le deuxième plus influent dans le monde, est révélatrice d'un déclin de la puissance internationale de la France, assumé et accéléré par le chef de l'État français.

 Le deuxième pilier du développement du capitalisme français fut l'industrialisation de masse soutenue par la classe ouvrière française (et le Parti communiste) dans le cadre d'un marché du capital et du travail avec l'État comme principal régulateur.  

Le tacite compromis de classe qui a fonctionné depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale a impulsé les dites «trente glorieuses» années, porteuses d'avantages et droits sociaux relativement limités mais durablement garantis.

Les années 1970 ont vu le début du développement parallèle de deux tendances socio-économiques contradictoires. D'une part, le rôle de l'État et de certaines institutions participatives (Sécurité sociale, Banque de France) commence à se rétrécir, d'autre part, la satisfaction des revendications du mouvement ouvrier et populaire, notamment celui du Mai ouvrier de 1968, conduit à l'expansion des droits du travail et des droits sociaux.

Illustration 6
Le mouvement ouvrier de mai 68 a frayé une voie pour l'émancipation de la classe ouvrière [image d'archives] © Domaine public

 L'inachèvement des réformes socialistes par le premier gouvernement Mitterrand conduit, déjà au début des années 1980, à un glissement vers l'austérité.  

Le mouvement syndical, encore fort à l'époque, accepte presque passivement ce virage.

 Depuis, on assiste à un mouvement de balancier de la politique, entre mesures progressistes et anti-populaires, tandis que l'extrême droite fait son apparition au premier plan de la scène politique française par le discours provocateur de Jean-Marie Le Pen.

 Le coup décisif à l'État social en France, accessoirement au Parti Socialiste lui-même, sera porté par la volte-face néolibérale spectaculaire de François Hollande et du personnel politique social-libéral en 2012.

 L'impossible compromis entre l'avidité du profit de la grande bourgeoisie française et la nécessité d'apporter des solutions à des problèmes vitaux sera à l'origine d'une succession de pseudo-réformes dénuées en apparence de sens, de demi-mesures, et de dispositifs de plus en plus anti-populaires, accroissant la confusion et l'illisibilité de la politique française.

Illustration 7
Diplomates français en grève, une première depuis des décennies, protestant contre le démantèlement du Corps Diplomatique par Macron © Lapinous enragés

Parallèlement à la domination idéologique croissante du néolibéralisme, se développent également en France de piètres velléités d'imitation des schémas de comportement et de pensée anglo-saxons et l'abandon progressif de la politique étrangère indépendante, malgré tout revirement momentané, notamment lors de la deuxième guerre d'Irak. Une large partie de l'élite politique française est par ailleurs manipulée par des institutions supra-atlantiques.

Les relations salariales ont été déconstruites car le travail salarié lui-même est souvent déguisé en travail indépendant, en sous-traitance et autres formes de précarité salariale.  

Le parcours socio-économique diachronique ci-dessus décrit a été solennellement scellé par la présidence Macron.

 De larges pans de la société française sont poussés vers l'invisibilité résidentielle, politique et culturelle à mesure que les services publics se retirent de larges zones du territoire national.  

Illustration 8
Exil en banlieue des classes populaires, invisibilisation, services publics en retrait. © Emmanuel Kosadinos

Le taux de pauvreté était de 14,6% en 2021.

 Le racisme et la xénophobie, phénomènes structurels dans tout ancien État colonial, sont instrumentalisés par des cercles politiques variés afin de détourner le regard des citoyens des graves problèmes sociaux qui menacent leur qualité de vie.

 Le rattachement de la France à l'Union européenne et, jusqu'à récemment, à la politique allemande offre l'alibi parfait à la classe dirigeante pour poursuivre la déréglementation du marché du travail, la réduction du service public et la limitation des droits et avantages sociaux.

 De telles prestations sociales ont fonctionné à ce jour comme mécanisme lissant en partie les grandes inégalités sociales que le système actuel ne cesse de creuser.

 Si des mesures socio-économiques radicales ne sont adoptées rapidement, en faveur des groupes sociaux en difficulté, la dynamique économique et sociale néfaste actuelle de la France conduira à une précarisation et à appauvrissement en extension : non seulement au niveau du revenu et du pouvoir d'achat, mais aussi énergétique, nutritionnelle, résidentielle, culturelle et salariale. Ces formes de pauvreté et précarité, structurellement perpétuées dans la société française depuis de nombreuses années, ne concernent plus une petite partie de la population mais procèdent vers un inquiétant élargissement. 

La «triple crise» actuelle 

 Les effets cumulés de la crise financière, de la crise pandémique et géopolitique créent pour la France un risque d'atteinte grave (peut-être irréparable) à son économie, à son État-providence et à sa capacité d'élaboration indépendante de sa politique.

 Ce risque concerne également  l'Union européenne dans son ensemble, dont la France est un mur porteur.

 Je ferai le pari d'énoncer, en attirant sur moi les accusations de complotisme que la « triple crise » actuelle est largement artificielle aussi bien dans sa génèse que dans sa gestion.

En affirmant même qu'il existe un grand complot international, je désigne ainsi le système capitaliste néolibéral, dont le mécanisme d'action est l'omnipotence des lois du marché.

Illustration 9
Prix de l'énergie en Europe le 09-01-23 (source Hellenic Regulatory Authority for Energy, RAE) © Hellenic Regulatory Authority for Energy, RAE

 Comment expliquer que la pénurie et la hausse du prix des hydrocarbures entraînent une hausse globale du prix de l'énergie en France alors que le pays est alimenté à près de 80 % par l'énergie nucléaire ? La réponse se trouve dans le marché de gros de l'énergie en Europe, et les décisions conséquentes de la Commission de Régulation de l'Energie (CRE) dont l'autorité équivalente en Grèce est l'Autorité grecque de Régulation du secteur de l'Énergie (Rythmistiki Archi Energeias, RAE/ Ρυθμιστική Αρχή Ενέργειας, ΡΑΕ)(1) . La différence entre la Grèce et la France réside dans la baisse de la TVA sur l'électricité décidée par le gouvernement Macron pour l'année 2022, afin de maintenir l'augmentation du Tarif Réglementé de vente de l’électricité (TRVE), dispositif en vigueur en France depuis des décennies, au niveau bas de 4% TTC pour le consommateur final, afin de maîtriser l'inflation, objectif partiellement atteint en France par rapport à d'autres États européens. La situation risque cependant de changer en 2023 avec des augmentations de prix au détail plus conséquentes. Les classes populaires risquent d'être plus durement touchées à cause de la mauvaise qualité des logements occupés, mal isolés thermiquement.

Illustration 10
L'Après M, projet marseillais de solidarité populaire © Lapinous enragés

Comment expliquer la hausse des prix et la pénurie de produits de première nécessité (alimentation, pharmacie) alors qu'ils sont en grande partie produits à l'intérieur du pays ?  La réponse réside dans la dissimulation systématique par certains producteurs, mais principalement des distributeurs, afin d'imposer au consommateur la hausse des prix.  
Une situation à laquelle la seule réponse socialement responsable est la proposition de Jean-Luc Mélenchon et de la France Insoumise de plafonner légalement le prix de vente au détail des produits de première nécessité.

 Mais, le système politique et social actuel, priorisant les principes fondamentaux du néolibéralisme (refus de régulation du marché) au lieu des besoins de la société, rejette sans discuter une telle proposition.

La situation actuelle dans les rayons des magasins français est un choc pour le porte-monnaie et la psychologie du consommateur français moyen avec une augmentation totale des prix de 20 %.

 Alors, comment se fait-il que les niveaux d'inflation rapportés soient tellement inférieurs ?

 Tout simplement parce que les chiffres officiels ne tiennent pas compte du poids spécifique des articles de première nécessité dans le budget des ménages moyens et modestes.

Résistances sociales, mouvements, espoirs de changement social

 L'histoire de la lutte des classes et des luttes idéologiques en France ont été un modèle pour le développement d'une pensée radicale, libertaire et révolutionnaire dans le monde entier.

 Bien récemment nous avons été témoins de l'émergence en France d'un grand et exemplaire mouvement, celui des «Gilets Jaunes», qui pendant trois ans a maintenu sa présence dans les rues malgré l'absence de coordination centrale, malgré surtout sa répression sanglante par l'Etat français .  Ce mouvement a mis en évidence non seulement la revendication par les classes populaires de conditions de vie décentes mais prioritairement la revendication d'une gouvernance directe par le peuple pour le peuple et a incarné sur les places et les rond points le processus de transformation de l'électeur consommateur en citoyen d'une Démocratie vraie.

Illustration 11
Malgré la répression sanglante et les dispositifs liberticides les Gilets Jaunes seraient prêts à remettre leur cause sur le tapis pour la Nouvelle Année 2023 © Gilets Jaunes

La pandémie COVID par le biais des syndromes phobiques et antisociaux dont elle fut la grande pourvoyeuse, par la suspension des libertés fondamentales décidée de manière opaque, a asséné un coup de massue au mouvement et relégué vers un futur indéterminé les espoirs dont il était porteur.

Toutefois l'année 2023 pourrait voir une nouvelle émergence du mouvement populaire sous la forme des «Gilets Jaunes» ou sous des formes nouvelles.

 Disons ici sans prétention que la fragmentation des statuts occupationnels, également la fragmentation sociale et résidentielle de la société française actuelle, sont le terrain le plus propice au développement de l'individualisme, du désespoir existentiel, des idéologies de haine, voire de « l'indignité citoyenne » selon le sens de Thucydide(2).

 En 322 av. J.-C., après la trahison de la classe des riches, et la défaite consécutive à la «guerre Lamiaque», la République Athénienne cessa définitivement d'exister, pour donner place à un régime oligarchique. Les impérialistes macédoniens sous la houlette du tyran Antipater ont relégué de la Cité, vers la lointaine Thrace tous les citoyens à faible revenu, les classes des «thètes» et des «zeugites» pauvres, quasiment le tiers de la population globale, condidérés à juste titre par l'occupant à l'origine de revendications démocratiques et libertaires, de «troubles sociaux» dans le langage du pouvoir. Beaucoup d'entre eux ont péri des conditions de vie au lieu d'exil, tandis que les Athéniens les plus riches se sont appauvris à leur tour en raison du manque de main-d'œuvre (3), (4).

 Aujourd'hui, dans les pays du centre du capitalisme, les couches populaires sont poussées vers l'exil salarial, économique, résidentiel, culturel et politique à la périphérie des mégapoles capitalistes. Dans les quartiers populaires de Marseille, la participation aux dernières élections législatives a été d'environ 18 %. Si l'on calcule pour le taux de participation les citoyennes et citoyens exclus pour diverses raisons du droit de vote, celui-ci chute à 9 %.

Serait-il injustifié de parler d'une éclipse totale de la Démocratie ?

 Quelle perspective d'avenir ?

 La recherche de l'espoir est donc une urgence, dirons-nous en invoquant à ce propos la nouvelle d'Antonis Samarakis(5).

 L'enjeu est de rendre socialement et démocratiquement efficaces les mobilisations populaires qui, tout en se multipliant à longueur des dernières années, n'arrivent pas à percer le mur érigé contre elles par l'État néolibéral autoritaire.

Je pense que cette percée n'aura pas lieu tant que les mobilisations passent par les structures actuelles du mouvement syndical français car celui-ci est depuis des décennies entaché par les péchés des déviations bureaucratique et technocratique, qui d'une part n'apportent pas la coordination efficace nécessaire, d'autre part font intervenir des agendas d'action propres aux directions syndicales séparées, éloignées souvent des aspirations et potentiels des bases syndicales et de masses citoyennes non syndiquées.

 Malgré l'absence de vraies structures de coordination, le mouvement des «Gilets Jaunes» s'est avéré à l'occasion plus efficace aussi bien au niveau de la mobilisation que de la satisfaction des revendications.

 Autre forme d'action émergente, la coordination des bases syndicales aux niveaux des entreprises et des territoires, intersyndicales, assemblées générales, actions «coup de poing», coordination avec les sociétés locales, etc., s'inscrit aujourd'hui dans la dynamique croissante du mouvement populaire français.

 La scène politique centrale de la France présente aujourd'hui des éléments intéressants pour l'avenir des revendications populaires et de la Démocratie en Europe.

 Faisons tout d'abord le constat déplaisant que malgré la crise économique et sociale en évolution depuis des années, aux dernières élections législatives le nombre total de voix récoltées par les forces progressistes (celles qu'on a pris l'habitude d'appeler «de gauche») reste stagnant, alors que l'extrême droite affiche une hausse relative.

 Pourtant, au premier tour des élections présidentielles, la candidature de Jean-Luc Mélenchon a mobilisé, dans les sondages et dans les débats, une partie importante de la jeunesse et des classes populaires jusque-là restées apathiques. Un important sursaut démocratique et progressiste dont nous attendons pour voir l'éventuelle suite future.

Illustration 12
Les jeunes électeurs, mobilisés par la campagne de Jean-Luc Mélenchon comprennent mal les manœuvres politiciennes et le barrage qu'elles opposent à la dynamique du mouvement social (Photomontage corrosif, à prendre au 2e degré, créé par «Chacal Déesse») © Chacal Déesse

 Dans ce cadre déjà restreint, la position de la gauche radicale, telle qu'exprimée par La France insoumise et des écologistes radicaux, apparaît renforcée au sein du bloc social-progressiste créant ainsi des opportunités d'un meilleur accès à l'espace public de la parole de contestation sociale.

 Ceci, bien sûr, dans la mesure où les médias de désinformation de masse contrôlés par 9 grandes entreprises françaises le permettront.

 Le nouveau rapport de force au Parlement français est susceptible à créer obstacles, retards et frictions à l'application de l'agenda du bloc néolibéral, cependant la Constitution française permet de les contourner par l'application de l'article 49-3.

 Aussi, au sein du front électoral NUPES (Nouvelle Unité Populaire Ecologique et Sociale) les députés sociaux-libéraux ne manquent pas une occasion de se démarquer du programme sur la base duquel ils ont été élus. Cette NUPES s'avèrera-t-elle une étape nécessaire pour impulser une large prise de conscience de l'urgence sociale, démocratique et écologique, levier de transformation de l'État et delà société française, ou bien juste un «nouvel habillage pour un rituel vieillissant (6)» ?

  Élément particulier de la situation actuelle, la présence de lignes transversales de différenciation au sein des forces politiques françaises dites «de gauche», reproduisant des lignes de différenciation traversant la société française dans son ensemble. 

 Celles-ci sont : l'immigration, le multiculturalisme, l'avenir de l'énergie nucléaire, la démocratie directe, la relation avec l'Union européenne, la question palestinienne, et récemment la question ukrainienne a également été ajoutée. 

Illustration 13
La NUPES étape nécessaire d'un rebondissement social progressiste français ou juste «nouvel habillage d'un rituel vieillissant»? © Emmanuel Kosadinos

Dans le paysage social et politique complexe que je viens de décrire, les choix nécessaires que doivent faire les directions de la Gauche française, notamment de la France Insoumise devenue sa force pol centrale, sont loin d'être évident.

 La complexité actuelle démontre une fois de plus la relative autonomie du niveau politique, par rapport à l'économique, et au social, ainsi que la nécessité de la détermination des choix par une éthique démocratique de classe claire et d'une représentation à visages sans ombres d'ambiguïté.

 L'avenir du processus social en France dépendra de l'ensemble des paramètres cités, mais également de la conjoncture internationale et géopolitique, du devenir du bio-écosystème planétaire, encore de la ré-émergence du mouvement internationaliste solidaire sur la scène européenne et mondiale. Cette solidarité du plus fort envers le plus faible, dont le second semble en avoir le plus besoin, renforce également le premier car le cours capricieux de l'histoire de l'Humanité ne se prive jamais de paradoxes.

  Dans tous les cas, l'aboutissement en France du projet de bifurcation politique, sociale et écologique, que nous appelons de tous nos vœux, provoquerait un séisme mondial avec des conséquences positives en cascade pour les peuples, mais également des risques de riposte féroce de l'ennemi de classe.

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Notes de bas de page et bibliographie 

(1) Les «autorités autonomes de régulation du secteur de l'énergie» ont été créées en application de la Directive 96/92/CE du Parlement et du Conseil européens du 19/12/1996 «concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité». Autrement dit ce sont les véhicules institutionnels nationaux pour la privatisation et libéralisation du secteur de l'énergie. En Grèce il s'agit de l'Autorité grecque de Régulation de l'Énergie (Rythmistiki Archi Energeias, RAE/ Ρυθμιστική Αρχή Ενέργειας, ΡΑΕ), contestée aussi bien pour la manière dont elle a été encadrée (cf lien internet infra) que pour son mode d'intervention, subordonné aux intérêts des 4 grands oligarques grecs. En France il s'agit de la Commission de Régulation de l'Energie (CRE) au sujet de laquelle il est relativement facile de trouver des informations. Ces «autorités autonomes» sont l'écran qui cache les responsabilités des gouvernements nationaux en matière de politique énergétique. Présentes dans tous les États de l'UE, mais aussi le Royaume-Uni, la Norvège et l'Islande, elles se rejoignent au sein du «Conseil des régulateurs européens de l'énergie».

(2) Thucydide «Guerre du Péloponnèse», livre II, «Épitaphe de Périclès», chapitre 40 

(3) Diodore de Sicile «Bibliothèque historique», livre XVIII, chapitre 15

(4) Plutarque «Vie de Phocion», chapitre 28

(5) Antonis Samarakis (1919-2003), écrivain grec prolifique, socialement et politiquement actif, dont la courte nouvelle «Recherche espoir» (Ziteitai elpis / Ζητείται ελπίς, 1954) est devenu le symbole de la résilience citoyenne et morale dans un monde dominé par la violence et la médiocrité.

(6) «New skin for an old ceremony» («Nouvel habillage pour rituel vieillissant ») vocable qui fait référence au quatrième album de l'artiste canadien Leonard Cohen, sorti en 1974, en général à la répétition de situations éternelles, présentées sous une nouvelle forme.

Références:

L’autorité grecque de régulation de l’énergie remise en cause (https://www.euractiv.fr/section/energie/news/lautorite-grecque-de-regulation-de-lenergie-remise-en-cause) 

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