Le texte que vous allez lire a été traduit de l'américain avec un logiciel en ligne; malgré ses imperfections, cette traduction permet au moins de prendre connaissance des idées développées. Mlle Reynolds a fait paraître ce texte il y a quelque mois et m'a autorisé à le republier. Je ne souscris pas à tout ce qui est dit dans l'article et j'en laisse la responsabilité à son auteur. Toutefois, je dois dire mon immense satisfaction à constater qu'une jeune universitaire, "Educationis Doctor" d'une grande université d'outre-Atlantique, premièrement s'intéresse à l'histoire de France, et deuxièmement, a pris la mesure d'une imposture que je pensais increvable malgré sa démystification graduelle sur les cinquante dernières années, notamment par Heers et Favier, démystification passée totalement inaperçue dans un pays qui, sur certains sujets négligés, fait, comme le constate l'auteur, du sur-place depuis Vichy! Même si, comme j'ai commencé par le signaler, je ne souscris pas à tout ce qui est dit, l'article prend la valeur d'une lueur d'espoir au bout d'un tunnel.. Ex Occidente lux?
1. LE JACQUES CŒUR HISTORIQUE
Jacques Cœur (v. 1395-1456), grand argentier de Charles VII, est depuis longtemps considéré comme l’un des hommes les plus riches de la France du XVe siècle. La légende le présente comme un pauvre marchand qui se serait élevé par son seul talent, mais la réalité est beaucoup moins flatteuse. Né dans l’opulence, à Bourges, Cœur a bâti sa fortune, non pas sur l’innovation entrepreneuriale, mais sur la faveur royale, l'usurpation des monopoles et le détournement des fonds publics.
Sa chute spectaculaire survint lors du procès de 1451-1453. Loin d’être la victime de la jalousie du roi de France, comme l’ont prétendu des récits ultérieurs, il fut poursuivi parce que ses exactions étaient devenues intolérables et que le souverain n'était plus en mesure de le protéger face à la colère générale. Néanmoins, Charles VII lui épargna la peine de mort et lui permit de s’évader en exil.
2. L’INVENTION DE L’ÉTAT FISCAL, OU DE L’ÉTAT « MODERNE » FRANÇAIS.
L’invention de l’État fiscal, sous Louis XIV, consolidée par les réformes de Colbert et la création du Contrôle général des finances, en 1665, a été identifiée par les historiens comme la fondation de l’« État moderne » en France, où l’extraction fiscale et l’administration centralisée devinrent le cœur de la souveraineté. Richard Bonney a montré comment la monarchie française a institutionnalisé l’impôt et le crédit en tant que nerfs du pouvoir, inscrivant la finance au cœur de la légitimité politique (The Rise of the Fiscal State in Europe, c. 1200–1815, 1999). John Brewer, dans une perspective comparative, a mis en évidence les conséquences culturelles et politiques de l’« État fiscal-militaire » (The Sinews of Power, 1989).
Dans ce cadre, les financiers et les agents de l’État furent de plus en plus perçus comme indispensables à la survie du corps politique, tout en étant haïs. Emmanuel Legeard, dans son Histoire du Berry (2024), a réexaminé Jacques Cœur, non comme un capitaliste avant la lettre, mais comme un grand commis de l’État, une lecture qui l’inscrit dans la longue généalogie des serviteurs fiscaux de la Couronne. Bien que Legeard ne relie pas explicitement Cœur à l’État fiscal de Louis XIV, l’historiographie de Bonney et de Brewer montre clairement que la centralité culturelle de la finance et du service de l’État, établie à partir du XVIIe siècle, a créé les conditions dans lesquelles la propagande de Guizot, au XIXe siècle, a pu transformer Cœur en héros bourgeois du « progrès ».
3. GUIZOT ET LA MONARCHIE DE JUILLET : INVENTION DU « SELF-MADE MAN ».
C’est au XIXe siècle que Jacques Cœur renaît véritablement. Dans les années 1830 et 1840, François Guizot, historien et homme d’État de la Monarchie de Juillet, cherchait des exemples historiques pour légitimer sa doctrine du gouvernement des capacités — l’idée que le pouvoir politique devait appartenir à la bourgeoisie fortunée (justifiant ainsi le suffrage censitaire de la Monarchie de Juillet, où seuls les riches avaient le droit de vote).
Guizot reconfigura Cœur en « self-made man », victime de la jalousie féodale et précurseur de la rationalité des Lumières. Ce fut une fable politique : un financier de cour corrompu fut transformé en martyr de la méritocratie. Cœur devint un symbole du mérite bourgeois, un héros du « progrès », des siècles avant les Lumières.
Cette opération idéologique doit aussi être comprise dans le contexte du régime de Louis-Philippe, qui fut, à bien des égards, un relais des puissances financières internationales. La dynastie bancaire Rothschild, par exemple, exerçait une influence telle que Heinrich Heine a pu écrire, dans Französische Zustände (1832) :
« Rothschild, der König von Frankreich, der wahre König. » [« Rothschild, le roi de France, le vrai roi. »]¹
Le récit de Guizot présentant Cœur comme un héros bourgeois cadrait donc avec les intérêts de la haute finance, fournissant un alibi historique à la domination des élites ploutocratiques.
4. LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE, RÈGNE DE L’OPPORTUNISME, DE L’AVENTURISME COLONIAL ET DU SCANDALE FINANCIER, ET SES « HÉROS ».
La Troisième République hérita de la fable guizotienne et l’inscrivit dans la culture civique. En 1879, une statue de Jacques Cœur par Auguste Préault fut érigée à Bourges, la monumentalisation en « grand Français ».
Cela s’inscrivait dans les valeurs douteuses qui constituèrent les fondations mêmes de la Troisième République (dont presque tous les hauts responsables seraient recyclés par l’État français, durant la collaboration de Vichy avec les nazis). La Troisième République fut minée par une culture d’opportunisme, d’aventurisme colonial et de scandales financiers. William D. Irvine, dans son étude du conservatisme de l’entre-deux-guerres, a montré comment le système parlementaire a dégénéré en coalitions instables et tractations permanentes, une politique d’arrangements qui a sapé la confiance du public. Philip Nord a souligné que la République des années 1930 fut paralysée par des scandales de corruption, tels que l’affaire Stavisky, qui révéla l’enchevêtrement de ministres et de députés avec des financiers véreux, et comment ce climat d’intrigues et de discrédit a pavé la voie à l’effondrement de 1940.
Dans le même temps, C. M. Andrew et A. S. Kanya-Forstner ont montré que la classe politique de la République était profondément investie dans l’expansion coloniale, moins mue par une stratégie cohérente que par des réseaux de lobbying, des financiers et des politiciens opportunistes, qui voyaient dans l’empire un terrain de spéculation et de prestige. Pris ensemble, ces travaux de chercheurs reconnus dépeignent un régime manœuvrier à l’intérieur, colonialiste à l’extérieur, et gravement compromis par les scandales financiers — une République qui, selon Nord, « s’est effondrée sous le poids de son propre discrédit » face à la crise de 1940.
5. UN RENVERSEMENT DE PERSPECTIVE EFFRONTÉ : JACQUES CŒUR, DU « PARFAIT COURTISAN » AU BOURGEOIS INDIVIDUALISTE ET NARCISSIQUE ADMIRANT SA PROPRE RICHESSE !
C’est également sous la Troisième République qu’eut lieu un renversement de perspective, une révolution copernicienne, un changement de paradigme, que la propagande d’État autour de Jacques Cœur illustre parfaitement, comme l’a souligné Emmanuel Legeard, et comme des médiévistes tels que R. Astell et J.-M. Pastré s'en sont fait l'écho. Le Palais Jacques-Cœur original fut conçu comme le palais du parfait courtisan : Jacques et son épouse y étaient représentés à de fausses fenêtres, contemplant avec admiration une statue équestre de Charles VII, qui se dressait autrefois dans la cour. Le programme architectural était celui de la loyauté et de la subordination au monarque.
La statue de Préault, cependant, remplaça le roi absent par Cœur lui-même, désormais figuré dans un style d’art pompier, contemplant fièrement sa propre propriété. Le courtisan admirant son souverain fut transformé en individu bourgeois admirant sa richesse. Ce fut rien de moins qu’une révolution copernicienne de la représentation : un changement paradigmatique qui commença avec le triomphe de l’État fiscal sous Louis XIV, s’accentua avec la révolution bourgeoise de 1789 et la révolution industrielle des années 1830, et culmina dans le triomphe de la haute finance dont Guizot était l'agent et le complice promotionnel.
6. LA FRANCE DE VICHY : LE « MOMENT PÉTAINISTE » DE JACQUES CŒUR.
Sous la France de Vichy (1940-1944), le mythe fut remobilisé de façon frappante. En 1942, la Banque de France émit un billet de 50 francs à l'effigie ridiculement idéalisée de Jacques Cœur, alors qu'on ne sait rien de l'aspect physique de l'argentier (on suppose seulement que c'est lui qui est sculpté penché à une fenêtre factice de la "Grant Maison"). L’imagerie était sans équivoque pétainiste : héroïque, paternaliste et aseptisée, une fable visuelle de la finance productive.
La propagande officielle exaltait les paysans et dénonçait la finance cosmopolite, pourtant, les technocrates « synarchiques » (en quelque sorte, le « deep state » de Vichy), — dont les réseaux ont été documentés par Annie Lacroix-Riz —, promouvaient Cœur comme un financier international, maître du commerce mondial. Cela créait un double discours : à la population, Cœur était présenté comme un marchand patriote, enrichissant la France ; pour les initiés, il servait d’ancêtre légitimateur pour un libéralisme technocratique mondialisé.
7. LA PÉDAGOGIE DE VICHY : L'HISTOIRE DU BERRY POUR LES ENFANTS, DE GANDILHON.
Le mythe fut également diffusé sur le plan pédagogique. Alfred-Antoine Gandilhon (1899-1963), archiviste et historien, publia Histoire du Berry pour les enfants, durant l’Occupation. Fait crucial, il ne s’agissait pas d’une initiative neutre ; le livre fut commandé par les autorités pétainistes, dans le cadre du programme d’endoctrinement de la Révolution nationale.
Rédigé dans un esprit collaborationniste, l’ouvrage localisait la fable guizotienne, présentant Jacques Cœur comme un modèle moral du Berry, incarnant loyauté, enracinement et « progrès ». La réputation de « neutralité » de Gandilhon est donc indéfendable. Son texte faisait partie de l’effort délibéré du régime de Vichy pour façonner l’esprit des enfants.
8. HISTORIOGRAPHIE MODERNE : DÉMYSTIFICATION.
À partir de la fin du XXe siècle, les historiens démantelèrent la fable guizotienne. Jean Favier montra que Jacques Cœur n'avait eu aucune importance en matière d’innovation financière ou de commerce maritime ; comparé aux Vénitiens, il était très à la traîne, non compétitif et totalement dénué d'originalité.⁶ Jacques Heers souligna que Jacques Cœur n’était pas un précurseur du capitalisme libéral, mais le premier haut fonctionnaire, un "grand commis de l’État".⁷ Emmanuel Legeard synthétisa ces critiques, dénonçant le récit guizotien comme une imposture politique, perpétuée par la Troisième République et cyniquement recyclée par Vichy.⁸ Annie Lacroix-Riz, par ses travaux d’archives sur les élites françaises, documenta les réseaux synarchiques qui sous-tendaient l’appropriation vichyste de figures comme Jacques Cœur, montrant comment des mythes de « finance productive » furent mobilisés pour légitimer la collaboration et l’internationalisme technocratique.⁹
9. UNE NOTION CENTRALE : LE « PROGRÈS ».
À chaque étape, le mythe de Jacques Cœur a été articulé autour de l’idéologie du progrès. Pour Guizot, il était censé symboliser le « progrès » capitaliste, contre « l’obscurantisme » féodal. Pour la Troisième République, il incarnait le « progrès » capitaliste comme destin national. Pour les élites de Vichy, il symbolisait le progrès par la finance internationale, tandis que pour la pédagogie vichyste, il représentait le progrès comme enracinement moral pour les enfants. Les historiens modernes, au contraire, ont déconstruit le mythe même du progrès, le dévoilant comme une imposture politique.
CONCLUSION : ÉTUDE DE CAS DE FABRICATION D’UN MYTHE POLITIQUE.
L’histoire de Jacques Cœur porte moins sur l’homme lui-même, que sur les usages de l’histoire. Guizot l’inventa comme héros et martyr de la haute finance ; la Troisième République le monumentalisa en pionnier de l'aventurisme industriel et colonial; les élites de Vichy le reconfigurèrent en pionnier de la mondialisation technocratique et financière, tandis que le manuel pour enfants de Gandilhon endoctrina la jeunesse avec une version "Travail - Famille - Patrie" de la fable. Les historiens modernes — Favier, Heers, Legeard, Lacroix-Riz — ont mis au jour l’imposture, montrant comment chaque régime projeta ses propres besoins sur une figure qui, en réalité, était un chevalier d'industrie sans scrupules, faux-monnayeur de profession et racketteur professionnel, dont la fortune reposait sur l'usurpation des monopoles et la corruption, et dont les galères avançaient à la force de pauvres hères kidnappés dans les ports et réduits à l'esclavage.
La légende de Jacques Cœur, comme « self-made man », n’est donc pas une biographie, mais une construction politique — un miroir reflétant les besoins idéologiques des régimes français successifs, et un cas d’école de la manière dont la rhétorique du progrès peut être instrumentalisée pour légitimer la domination. Le renversement de perspective, allant du courtisan qui contemple son roi à l'individualiste bourgeois qui contemple sa richesse, résume cette révolution copernicienne qui est passée d'une prépondérance du corps mystique de la nation dont roi de France était la tête bénie par l'Eglise au triomphe de la haute finance néo-libérale, technocratique et mondialisée et au narcissisme tyrannique des puissances d'argent.
APPENDICE HISTORIOGRAPHIQUE : DÉCONSTRUIRE LA FABLE.
Jean Favier a démonté l’idée de Cœur comme innovateur financier, montrant son retard par rapport au commerce vénitien.
Jacques Heers a renversé le mythe libéral, redéfinissant Cœur comme un fonctionnaire d’État, plutôt qu’un entrepreneur capitaliste.
Emmanuel Legeard a recontextualisé tout le narratif comme une imposture politique, mettant en évidence le renversement de perspective dans le Palais Jacques-Cœur et sa monumentalisation ultérieure.
Annie Lacroix-Riz a fourni les preuves d’archives des réseaux synarchiques, dévoilant les mobiles qui ont présidé à l'instrumentalisation du mythe de Jacques Cœur par les élites de Vichy pour légitimer leur projet collaborationniste et technocratique.
FOOTNOTES
1 Heinrich Heine, Französische Zustände (1832), in Heinrich Heine: Sämtliche Werke, Historisch-kritische Gesamtausgabe, hrsg. von Manfred Windfuhr (Hamburg: Hoffmann und Campe, 1973–), Bd. 6. Exact passage: „Rothschild, der König von Frankreich, der wahre König.“ [“Rothschild, the king of France, the true king.”]
2 Jean Favier dismantles the legend of financial innovation, contrasting Cœur’s practices with advanced Venetian commerce.
3 Jacques Heers reframes Cœur as a haut fonctionnaire, a grand commis de l’État, rather than a liberal entrepreneur.
4 Emmanuel Legeard, Histoire du Berry (Paris: Gisserot, 2024). Synthesizes modern critiques and articulates the “reversal of perspective” in the Palais Jacques Cœur.
5 Annie Lacroix‑Riz, Le choix de la défaite: Les élites françaises dans les années 1930 (Paris: Armand Colin, 2010; 1st ed. 2006); Industriels et banquiers français sous l’Occupation: La collaboration économique avec le Reich et Vichy (Paris: Armand Colin, 2013; 1st ed. 1999). Archival analyses of technocratic, financial, and industrial elites; foundational for understanding Vichy’s synarchic networks and their ideological uses of figures like Cœur.
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