Emmanuel Prados

Abonné·e de Mediapart

9 Billets

0 Édition

Billet de blog 2 mars 2023

Emmanuel Prados

Abonné·e de Mediapart

Écrans et santé : il est urgent d’agir !

Les enfants de moins de 3 ans passent en moyenne 1h22 par jour devant la télévision, les plus de 15 ans 5 heures face aux écrans ! Les conséquences délétères sur la santé sont multiples : Troubles du neuro-développement, du sommeil, maladies cardio-vasculaires, contenus inappropriés… Un état des lieux s’impose ! C’est ce que fait la vidéo diffusée ici en « avant-première ». Il est urgent d’agir !

Emmanuel Prados

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Écrans : notre santé en danger ? © Servane Mouton / Equipe de recherche STEEP de l'INRIA Grenoble

[Conférence "Écrans : notre santé en danger ?" de Servane Mouton donnée le 15/12/2022 dans le cadre du cycle de conférences-débats "Comprendre et Agir" organisé par l'équipe de recherche STEEP de l'INRIA Grenoble. Les diapositives de la présentation sont téléchargeables ici. Celle-ci contient le détail de toutes les références scientifiques sur lequel est basé cet état des lieux.]

L’usage des écrans et des outils numériques va croissant depuis la diffusion de la télévision dans les années 1970. Le déploiement d’internet dans les années 1990, l’arrivée des smartphones en 2007 et plus récemment, les confinements successifs liés à la pandémie COVID 19 en 2020, se sont accompagnés d’une véritable explosion des temps d’écran et ce dès le plus jeune âge.

En France, on estime que les enfants de moins de trois ans passent en moyenne 1h22 quotidiennement devant la télévision, ou 45 minutes devant un smartphone. Ce sont presque 2 heures d’exposition quotidiennes aux écrans pour les 3-6 ans, plus de 3 heures pour un quart d’entre eux ; 2h30 pour les 7-11 ans, plus de trois heures pour un tiers des enfants de cette tranche d’âge. Quant aux adolescents, ils y consacrent 3h30 de 11 à 15 ans, et presque 5 heures entre 15 et 17 ans (plus de 7 heures pour un quart des 15-17 !). Ce sont 5 heures aussi pour les plus de 18 ans. Ces évaluations ne prennent en considération que les loisirs : les Français de plus de 11 ans consacrent ainsi 60 % de leur temps libre…aux écrans.

Illustration 2
Photo de famille © Miks

Les industriels du secteur, plateformes de réseaux sociaux, jeux vidéo et autres activités récréatives et/ou commerciales en ligne, cherchent à augmenter le temps de connexion afin notamment de recueillir le plus possible de données de navigation qui seront ensuite sources de profits.

Parallèlement, la littérature scientifique ne cesse de s’alourdir témoignant des effets délétères d’une exposition excessive aux écrans. Troubles du neuro-développement, sédentarité et maladies métaboliques/cardio-vasculaires, troubles du sommeil et leurs conséquences négatives multiples, troubles visuels ; exposition aux contenus inappropriés (violence, pornographie, incitation à la consommation de produits néfastes pour la santé-alcool, tabac, e-cigarettes et autres drogues, aliments et boissons à haute teneur en sucre, sel, graisse). Sans compter les effets indirects liés à la pollution environnementale engendrée par les Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication (NTIC) : perturbateurs endocriniens, rayonnements radiofréquences, extraction des matières premières, consommation d’eau et d’énergie, encouragement des tendances consuméristes, sources de pollution eau-air-sol, etc.

L’histoire du tabac semble se répéter, à une échelle plus large encore : des produits addictifs ou addictifs-like sont mis à disposition de tous y compris des mineurs, et leur usage a des effets délétères multiples et avérés sur la santé à court, moyen et long termes.

Un état des lieux s’impose, mais il doit surtout être associé rapidement à l’application de mesures permettant de protéger les usagers, en particulier les personnes mineures. Non seulement ces dernières sont physiologiquement plus vulnérables, leur organisme et notamment leur cerveau étant en phase de maturation et de croissance. Mais aussi les habitudes prises dans l’enfance ayant de forts risques ou chances de perdurer à l’âge adulte, il est d’autant plus important de veiller à leur qualité, en l’occurrence ici, à l’hygiène de vie « numérique ». La pertinence de la numérisation croissante de l’enseignement, dès la maternelle, parait ainsi très discutable, augmentant de plus encore le temps d’exposition.

Cependant une telle régulation est malaisée. En effet, il est délicat de légiférer des activités relevant en grande partie de la sphère privée, sans que survienne la question de l’atteinte à la liberté de chacun. Deux propositions de loi seront mises en discussion en mars à l’Assemblée Nationale, qui auront le mérite d’attirer l’attention sur ces sujets essentiels. La première portée par Caroline Janvier est relative à la prévention de l’exposition excessive des enfants de moins de 6 ans aux écrans, la seconde proposée par Laurent Marcangeli envisage l’interdiction de l’accès aux réseaux sociaux aux moins de 15 ans.

Il faudrait également réguler les pratiques industrielles : si le Digital Service Act voté par le Parlement Européen en octobre dernier vise à responsabiliser les plateformes numériques et à lutter contre la diffusion de contenus illicites ou préjudiciables ou de produits illégaux, sa mise en vigueur prévue en février 2024 sera techniquement bien ardue. De plus, le champ reste libre pour les industriels de jouer de l’économie de l’attention, développant et diffusant ainsi des produits addictifs ou addictifs-like facilement accessibles à tous. Il serait important que les citoyens se mobilisent et soutiennent ce type d’actions protectrices car les instances publiques sont l’objet d’un intense lobbying de la part du secteur des NTIC dont la puissance financière est colossale, et le caractère international des firmes compromet de plus toute action juridique d’envergure.

Un autre élément apparaît déterminant : les innovations portées par ces technologiques, avec aujourd’hui la perspective du métavers, ont un fort potentiel de séduction voire de fascination. Ne pas se joindre au monde en mutation numérique ferait dit-on courir le risque de rater le train du progrès, nous laissant en marge de la soi-disant salutaire révolution numérique.

La lettre de mission conjointe du ministère de l’Économie et des Finances, du ministère de la Culture et du secrétaire d’État chargé de la Transition numérique commandant le rapport « Mission exploratoire sur les métavers » renvoie d’ailleurs à cet imaginaire d’opportunités irrésistibles (rapport remis le 24 octobre 2022 ; lettre de mission incluse dans le rapport page 101). Cet imaginaire rejaillit aussi dans ce rapport qui, par ailleurs, n’apporte que peu de réponse sur la réelle utilité sociétale de ces innovations et met le doigt sur un certain nombre de limites et dangers critiques (qui sont complémentaires de ceux mentionnés dans notre vidéo car limités aux spécificités des métavers).

Mais si, au contraire, la véritable liberté consistait à se dégager de l’emprise exercée par ces écrans, pivots de « l’économie de l’attention » ? Et si sans attendre des actions politiques, nous devenions les véritables acteurs du changement, conscients des enjeux pour nous-mêmes, nos enfants, l’écosystème ? Des initiatives citoyennes, telle la pétition initiée par des parents d’élèves « refusant l’école numérique », pourraient contribuer à faire bouger les lignes. Et si finalement, les vrais visionnaires étaient ceux qui, prenant conscience des dangers et écueils liés à un usage extensif et non réfléchi de ces technologies, décidaient d’en limiter fortement le déploiement ?

 Servane Mouton est Docteur en médecine, neurologue et neurophysiologiste, spécialisée en en psychopathologie des apprentissages et titulaire d'un Master 2 en Neurosciences. S’intéresse particulièrement au neuro-développement normal et à ses troubles, ainsi qu'aux liens entre santé et environnement. Elle a coordonné le livre "Humanité et Numérique: les liaisons dangereuses", à paraître aux Editions Apogées le 5 Avril 2023.  [ Conférencière et auteure de l'article ]

Illustrationshttps://miks-art.com

Illustration 3
Couverture du livre *Humanité et Numérique: les liaisons dangereuses*, à paraître aux Editions Apogées le 5 Avril 2023. © Servane Mouton

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.