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Billet de blog 2 février 2018

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Presse: le plan liberticide du gouvernement

Le gouvernement veut supprimer la loi Bichet afin de permettre aux éditeurs d'être représentés au sein des conseils des messageries de presse en fonction de leur chiffre d'affaires alors que chacun compte encore pour une voix. Dans le même temps, les MLP évoquent dans un communiqué la possibilité de saisir Bruxelles pour abus de position dominante de Presstalis, leur concurrent.

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Les grands éditeurs parviendront-ils à imposer jusqu’au bout leur volonté? L’histoire de la presse de ces vingt dernières années incite à répondre par la positive mais la gravité de la situation économique semble libérer les protagonistes de toute inhibition. Le désir de résister est d’autant plus fort chez les petits et moyens éditeurs qu’ils ont parfaitement compris que le projet Presstalis n’était qu’un plan d’urgence de plus. La décision prise par le conseil supérieur des messageries de presse d’imposer à tous les éditeurs une contribution à hauteur de 2,25% du chiffre d’affaires pour reconstituer les fonds propres de Presstalis comme des MLP - qui n’en veulent pas- sera, vraisemblablement appliquée, comme le révèle électron libre.

Les éditeurs doivent faire parvenir leurs contributions d’ici mardi 6 février pour permettre à l’ARDP (Autorité de Régulation de la Distribution de la Presse), organe administratif présidée par madame Flury-Herard et composée notamment de Roch Olivier Maistre et Maryvonne de Saint Pulgent de se prononcer sur l’opportunité des décisions prises par le conseil supérieur des messageries d'ici la fin février. L'entreprise étant totalement exsangue, les dirigeants veulent boucler ce plan avant la fin mars et compte demander au gouvernement de débloquer une première tranche d'aide dès le 15 février au lieu du 15 mars.

Etant donné leur parcours professionnel et leur caractère, il n’est pas interdit de penser que l’ARDP puisse  retoquer certaines mesures comme la disposition consistant à imposer, sans aucune consultation, une taxe de 2,25% sur le chiffre d'affaires des éditeurs. 

Plainte à Bruxelles

Les MLP se sont déclarées, comme nous l’avions indiqué, résolument hostiles à l’application de cette mesure. Si elles devaient être contraintes de l’appliquer, ces messageries saisiraient immédiatement les institutions européennes.

« L’ensemble du plan imaginé par Presstalis, relayé par un organe de la régulation et appuyé financièrement pat l’Etat devrait être analysé sous l’angle de l’abus de position dominante", écrivent ces messageries. Les MLP qui ne bénéficient pas des aides d’Etat ni du report des échéances refusent de se voir imposer les mêmes contraintes que Presstalis et elles annoncent très clairement leur décision de saisir en France la DGCRF (Direction Générale de la Concurrence et des Fraudes) et les institutions de Bruxelles si cette taxe devait leur être imposée. La procédure durera quatre années mais elle empêchera le gouvernement de procéder à un nouveau plan d’urgence lorsque que celui qui va être mis en place aura, comme les précédents,  échoué. Ce qui est une manière d’imposer aux acteurs une réflexion large sur l’avenir de la distribution et de la presse.

Considérant que l’instauration de cette contribution obligatoire a été prise par le conseil supérieur des messageries pour « réduire l’écart concurrentiel entre les deux entreprises », les MLP font état, dans leur argumentation générale de leur bonne santé financière. Elles affirment avoir réalisé en 2017 un résultat courant avant impôts de 2,8 millions d’euros et un plan d’économies de 7 millions. Les fonds propres de la coopérative des MLP seraient positifs à hauteur de 37,5 millions d’euros et ceux des messageries de 39 millions.

Affirmant avoir versé 29 millions d’euros aux quotidiens au titre de la péréquation (ils ont apporté 5,6 millions d'euros en 2017) , les MLP n’acceptent pas « les mesures morttifères pour les entreprises et la filière ».

Curieuse déduction

Pour appuyer la nocivité et l’incohérence des décisions prises, les MLP relèvent une particularité ou une anomalie encore inexplicable concernant cette taxe. Si des éditeurs ont effectué des apports en comptes courants dont le montant est supérieur au prélèvement mensuel de 2,25%, celui ci ne leur sera pas exigible aussi longtemps qu’ils resteront créditeurs.

Si tel était le cas, les MLP considèrent qu’il s’agirait alors d’ un «élément de barème », autrement dit qu'il s'agirait d'une commission dont le taux doit être établi par "les  assemblées générales des coopératives et par le  Conseil supérieur des messageries de presse" contrôlées par les grands éditeurs.

Il semblerait que cette disposition découle du paiement anticipé effectué par Mondadori .L’éditeur italien qui s’apprête à fusionner ses titres avec ceux de Lagardère ne veut pas inscrire cette contribution au passif de son bilan mais préfère la régler dans son compte d’exploitation comme une perte exceptionnelle qu'il finance immédiatement Il ne veut pas, en effet, que cela puisse le dévaloriser ne serait ce que d'un pour cent pour rester à partir avec Lagardère dans la nouvelle entité qui sera créée en Italie.

50 millions d’euros

Cet apport en comptes courants pourra aussi conduire certains acteurs à s’interroger sur la possible restitution, par ce biais, des 50 millions d’euros que les grands éditeurs se sont engagés à verser au profit de Presstalis. Un chiffre révélé par Michèle Benbunan, lors de la réunion des coopératives des magazines le 31 janvier où elle a , semble t-il, brillé par son professionnalisme dans le domaine du marketing. Les pouvoirs publics, épaulée par madame Bourbouloux, mandataire judiciaire, ont été parfaitement fondés à exiger des administrateurs cette contribution des éditeurs. Elle sanctionne ce que les MLP ont relevé comme étant une « faute de gestion » des administrateurs, une erreur qui peut, dans d'autres  circonstances,  conduire des administrateurs à répondre de  leurs responsabilités lorsqu’elle est reconnue par les institutions consulaires.

Cette probabilité a fort peu de chances de survenir tant les grands éditeurs semblent conserver la main sur toutes les actions engagées. Le gouvernement a , en effet, défendu hier devant le Sénat la réforme de la loi Bichet et ce n’était pas pour demander que l’on réserve le bénéfice du système de la distribution française à la presse d’information politique et générale, une mesure que tous ceux qui défendent le journalisme souhaitent. Si la loi votée à la Libération doit être amendée c'est pour instaurer une discrimination eu sein des éditeurs. Le gouvernement voudrait, mettre fin au principe « un éditeur, une voix » pour instaurer un système où chaque éditeur sera représenté au prorata de son chiffre d’affaires. En clair, les gros décideront de tout à la place des petits. 

On ne saurait donner plus clairement les clés du coffre aux milliardaires français qui détiennent la plus grande partie de la presse française. On regrettera seulement que cette politique à courte vue considère pour définitive leur présence sur ce secteur économique essentiel aux libertés sans réaliser qu’un jour de puissants groupes étrangers viendront racheter les titres dont ils se désintéresseront n'étant pas des éditeurs de métier. Il faut croire qu’à Bercy, rue de Valois ou à Matignon personne ne s’est aperçu que Jeff Bezos avait racheté le Washington Post.

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