Ce n’est pas une surprise, Emmanuel Macron aime décider seul et pour tout le monde. Quand il sent qu’il perd la main sur le récit médiatique, comme c’est le cas depuis la dissolution, ne lui restent que les coups de théâtre pour susciter la sidération et gagner, encore, un peu de temps.
Dans ce moment de désordre institutionnel et de lassitude, la clarté des orientations du Parti socialiste, dont sont membres les auteur.ices de cette tribune, est un impératif. Les choix qui seront faits dans les prochains jours nous engageront devant l’histoire. Pour le dire plus simplement, le Parti socialiste ne doit pas réagir aux injonctions du moment politique : il doit tenir, pour se donner toutes les chances d’en créer un nouveau.
C’est ce que nous avons su faire avec la taxe Zucman après la démission du gouvernement Bayrou. En quelques jours, le débat national, jusqu’alors monopolisé par l’obsession de la baisse des dépenses publiques, s’est trouvé animé par la nécessité de trouver de nouvelles recettes. C’est encore ce qui nous a permis, grâce à l’appui du mouvement social, qu’une porte s’ouvre enfin pour revenir sur la réforme des retraites. En reconnaissant que la stabilité démocratique du pays valait bien un recul, E. Borne donne raison à la stratégie adoptée par Olivier Faure : ne rien céder sur le fond est le meilleur moyen d’avancer, d’autant plus quand le rapport de force social est de notre côté.
S’ils nous ont permis de faire reculer la minorité présidentielle et ses alliés de quelques pas, ces marqueurs de gauche ne suffiront pas à eux seuls à traverser la tempête qui s’annonce. Le plus difficile commence maintenant et il nous faudra faire preuve de constance, car les appels à la compromission vont se multiplier – et les risques d’instabilité politique ou financière de les rendre de plus en plus pressants.
Pour affronter le gros temps, nous devons nous doter d’une boussole claire, lisible et, surtout, qui ne perd pas son Nord. À court terme, trois menaces pèsent sur celles et ceux qui vivent et travaillent en France : l’austérité promise dans le budget 2026, la double crise des services publics et du dérèglement climatique et l’éventualité d’une victoire électorale de l’extrême droite. Ce sont les réponses à ces trois menaces bien réelles qui devraient participer à guider notre action, au-delà du feuilleton politique de la crise.
Premièrement, le budget 2026 ne doit en aucun cas faire peser de charge supplémentaire sur les salariés et sur les classes populaires. Faire croire que la stabilité politique passerait avant les conditions de vie des Français serait un contresens démocratique. Chaque euro retiré aux budgets de millions de personnes qui luttent chaque jour pour ne pas basculer dans la pauvreté serait une trahison des engagements pris lors des dernières élections législatives et renouvelés lors de notre dernier congrès.
Deuxièmement, il faut répondre au besoin de financement des services publics et de la lutte contre le dérèglement climatique avant qu’il ne soit trop tard. Laisser se dégrader la situation environnementale, celle des écoles ou des structures de protection de l’enfance, c’est prendre le risque d’un effondrement irréversible. Si nous ne pourrons répondre dans l’urgence à l’ensemble des besoins, certaines dépenses doivent être engagées immédiatement parce qu’elles engagent des vies : les investissements nécessaires pour tenir l’objectif de neutralité carbone en 2030, le sauvetage de l’école publique, la protection des mineurs et la lutte contre les violences faites aux femmes en font partie.
Enfin, il faut s’organiser dès maintenant pour protéger celles et ceux que le Rassemblement national désigne déjà comme ses cibles : les minorités, les étrangers, les précaires, les voix dissonantes et les contre-pouvoirs. La seule véritable promesse du RN est de sacrifier une partie de la population pour flatter les frustrations des autres, et une fois au pouvoir, il risque de la tenir. Quand il faudra répondre mesure par mesure, il sera trop tard : la bataille doit se mener dès maintenant.
Alors que l’accélération du temps politique risque de donner l’image d’une classe dirigeante qui ne parle qu’à elle-même pendant que la population laisse passer l’orage, il sera nécessaire de rappeler ces trois priorités autant que nous en aurons l’occasion. En ce sens, un accord de non censure uniquement sur la base d’une suspension de la réforme des retraites serait une erreur grave, dont la population subirait immédiatement les conséquences.
Au-delà de rendre nos décisions plus lisibles, ces trois priorités ont aussi le mérite de rappeler une évidence : aucune de ces trois menaces ne pourra être écartée sans le reste de la gauche. À l’inverse, s’associer à un pouvoir qui rejette les ruptures nécessaires avec les années de reculs sociaux que nous venons de traverser et dont certains membres reprennent les thèses du RN à leur compte, serait une erreur stratégique et morale. Car c’est précisément cette idée que quelques promesses sacrifiées valent mieux qu’un risque d’instabilité qui nourrit l’extrême droite depuis vingt ans.
L’esprit de responsabilité nous commande donc de ne pas nous tromper d’alliance et de maintenir, quelles que soient les difficultés, les liens construits avec l’ensemble des forces du Nouveau Front Populaire, y compris avec la France insoumise. Parce que c’est cette unité-là qui préservera les salariés contre de nouveaux reculs sociaux. Parce que c’est cette unité-là qui fait de la réponse à la crise des services publics sa priorité. Parce que c’est cette unité-là sur laquelle nous devrons compter pour résister si, par malheur, le Rassemblement national finit par s’imposer dans les urnes.
Marion Fournier, Mila Jeudy, Adeline Roche, Emmanuel Zemmour