Nous n’avons pas de temps à perdre. Combien étions-nous, militants ou sympathisants de gauche, rendus depuis quelques années au rôle d’observateurs critiques ? Découragés devant la détermination de la majorité présidentielle à couper, méthodiquement, chacun des fils de notre système de solidarité sociale. Sceptiques devant les stratégies de notre camp politique - trop agressives pour les uns, trop conciliantes pour les autres, pas assez claires parfois ou parfois trop simplistes. Impuissants devant la montée des idées et des voix xénophobes, dont nous commencions à penser qu’elles finiraient, comme la marée ou la fièvre, par redescendre avant d’atteindre un point de rupture, celui qui submerge les côtes ou finit par tuer le malade.
Nous n’avons pas de temps à perdre, car dans trois semaines auront lieu les élections législatives les plus importantes qu’il nous ait été donné de vivre. Je parle ici pour ma génération, mais à bien y réfléchir, je ne crois pas qu’il en existe beaucoup encore parmi nous qui n’en aient rencontrées de plus déterminantes. De plus vertigineuses aussi. Parce que dans trois semaines, si la gauche ne s’unit pas, notre pays basculera dans une inconnue qu’aucun d’entre nous n’a envie d’explorer.
À court terme d’abord. Dans trois semaines, l’extrême droite peut gouverner la France. Les héritiers de la collaboration et de l’Algérie française auront le pouvoir de faire les lois, et ils ne trembleront pas. Certes nous n’entendrons pas – pas tout de suite, pas trop fort, pas partout – le bruit des bottes. Mais nous en sommes arrivés à un point où il suffira de peu de choses pour que l’héritage de la résistance ne s’effondre. Je ne prendrai qu’un exemple, et il n’est pas difficile à trouver tant il est martelé par les vainqueurs du scrutin d’hier : la préférence nationale. Deux mots et quelques projets de loi suffisent pour que, comme on change la nature d’une solution chimique en y ajoutant un simple composé, tout notre système de protection sociale se transforme en une mécanique d’exclusion xénophobe.
À moyen terme ensuite. Dans trois semaines, si la gauche ne parvient pas à s’unir, le temps qu’il nous faudra pour nous relever risquera de nous faire regretter chaque minute de perdue à ne pas contribuer à l’union. Une gauche majoritaire n’est pourtant pas, et peut-être pour la dernière fois avant longtemps, hors de portée. Le programme nous l’avons, celui de la NUPES. Et s’il faut préciser ou simplifier les choses pour en définir un socle commun nous pouvons proposer ceci : réparer les services publics tout en réduisant la pression sur les salarié.e.s qui subissent à la fois la baisse des protections collectives et la vie chère. Cela n’est pas si simple – « taxer les riches » ne suffira surement pas et il faudra que les 20% ou les 30% de ceux qui s’en sortent le mieux acceptent de soulager les autres - mais c’est possible.
À long terme enfin. Dans trois semaines, le paysage politique peut se fracturer. Pour très longtemps. Pour s’en convaincre, il suffit d’entendre les représentants de la majorité appeler à un large rassemblement derrière eux pour faire barrage au Rassemblement National. Le deuxième de la liste Renaissance, Bernard Guetta, parlait hier soir de la formation d’un grand parti des Républicains « à l’américaine » comme seule issue. Il faut parvenir à surmonter la colère et le dégoût de voir ceux qui ont provoqué la chute lancer leurs dernières forces dans la bataille pour se sauver, sans penser une seconde aux conséquences que cela implique. Un rassemblement « républicain », ce serait acter un nouveau bipartisme de la vie politique française entre les conservateurs libéraux et les xénophobes. Et qui dit bipartisme, dit alternance. Une alternance entre deux grands partis, dont aucun ne propose plus de transformation économique et sociale d’ampleur, mais simplement de maintenir le système coût que coût, au détriment des précaires pour les uns, des étrangers pour les autres. Il ne faut, en aucun cas, s’y résoudre.
Nous n’avons pas de temps à perdre, car dans trois semaines auront lieu les élections législatives les plus importantes qu’il nous ait été donné de vivre. Le chemin, nous le connaissons tous : un.e seul.e candidat de gauche dans chaque circonscription. Quant à nous, militants éloignés, sceptiques ou échaudés, nous irons faire campagne pour le.la faire gagner, partout et jusqu’aux dernières secondes. Parce que ce sont les dernières qui nous restent avant la nuit.