« L’union de la gauche pourquoi pas, mais pas avec la France Insoumise ». « Je suis progressiste mais l’extrême gauche et l’extrême droite c’est la même chose ».
J’ai entendu ou lu ces phrases autour de moi ces derniers jours de la part de militants, de collègues ou d’électeurs progressistes, antiracistes et favorables à un plus juste partage des richesses. Ce rejet n’est pas massif mais il existe et, puisque chaque voix va compter le 29 juin, il faut prendre ces réticences au sérieux. Et s’adresser sans attendre à ceux qui les ont exprimées.
Il ne s’agit pas ici de discuter des raisons qui vous poussent à vouloir vous démarquer d’un parti ou d’un dirigeant politique. Elles sont nombreuses. Si un seul de la dizaine des partis qui font le nouveau front populaire était parfait, nous ne serions pas dans cette situation. Mais une fois cette colère clairement exprimée, quels choix reste-t-il ?
Les règles du scrutin majoritaire à deux tours ne laissent pas beaucoup de possibilité à ceux qui veulent s’opposer au rassemblement national sans se joindre à l’union de la gauche. Deux en fait : le parti présidentiel ou l’abstention.
Considérons le premier. Emmanuel Macron a bien compris qu’il sera difficile de vous faire oublier les sept années qui viennent de s’écouler. Comment rejouer la partition du progressiste de 2017 lorsque l’on a appliqué le programme le plus dur contre les droits sociaux et les services publiques que la cinquième République ait connu ? Comment laisser penser que l’on saura gouverner en modéré et en démocrate, lorsque l’on a passé sept ans à ignorer, mépriser, humilier toute voix dissonante ?
À bien y regarder, c’est peut-être un peu exagéré. Certes le président a été capable de concessions. À deux reprises même. Un première fois en renonçant à la hausse de la taxe carbone et en accordant de nouvelles primes après le mouvement des gilets jaunes. Une seconde en acceptant la réécriture de la loi « asile-immigration » pour emporter les voix du rassemblement national, et en durcissant l’accès des familles étrangères aux aides sociales. Voilà l’une des vérités du pouvoir actuel. On ne cède à rien, à personne… sauf à la violence que l’on ne parvient plus à réprimer et à l’extrême droite.
Incapable de convaincre, le président de la République s’emploiera alors à vous détourner définitivement de l’opposition de gauche. Il a déjà commencé hier. « Ces gens-là ne sont pas républicains ». Dans un parti pris qu’il faut prendre le temps de lire, Ellen Savi rappelle à quel point cet argument est non seulement faux mais aussi dangereux (https://www.mediapart.fr/journal/politique/120624/l-extreme-derive-d-emmanuel-macron).
Il est surtout une preuve de plus qu’Emmanuel Macron n’a rien du sauveur des institutions qu’il prétend être. C’est tout le contraire. En choisissant de faire de ses adversaires des ennemis du régime, il prend le risque, en miroir, de réduire le camp des républicains à ceux qui le rallieront. Soit 20% des électeurs au mieux. Brillante stratégie qui vise, en quelques semaine, à transformer 80% des électeurs en menace pour la démocratie. Il faut croire que la République est bien peu de choses pour celui qui choisit de mettre en scène sa chute pour sauver sa majorité.
Reste alors l’abstention. Peut-être, vous qui avez déjà voté à gauche, vous rappellerez vous de ce que vous disiez surement au lendemain du 21 avril 2002 : ne pas voter, c’est donner sa voix à Le Pen. Ici ce n’est plus du père dont il s’agit, mais le résultat est le même. Et il faut balayer tout de suite l’idée qui a pu circuler qu’après tout on pourrait les laisser gouverner trois années, pour que tout le monde se rende compte de leur incompétence. Non seulement parce que l’extrême droite ne rend jamais sagement le pouvoir. Mais encore parce trois années suffisent pour faire basculer le pays dans l’inconnu.
Certes le temps a passé, l’image du RN s’est policée. Mais rien ne doit vous faire oublier ce qui nous attend s’ils finissent par s’imposer : un assèchement des services publics et une politique xénophobe (voir : https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/120624/au-programme-du-rn-xenophobie-et-affaiblissement-des-protections-collectives?s=09). La préférence nationale, cela signifie concrètement que nos institutions feront quotidiennement le tri entre vos voisins, les parents d’élèves de l’école ou vos collègues de travail pour savoir qui priver de droits.
La préférence nationale, c’est demander à une famille de payer plus cher pour soigner son enfant, parce qu’elle n’a pas les bons papiers. La préférence nationale, c’est exclure des personnes du logement et les laisser à la rue parce qu’elles ne sont pas françaises. La préférence nationale, c’est faire basculer 15 000 enfants dans la grande pauvreté en réduisant les droits sociaux de leurs parents (voir : https://nosservicespublics.fr/preference-nationale ). La préférence nationale, ce sera des élèves dans nos classes qui n’auront pas pris de petit déjeuner, parce que le peu d’aides accordé à leurs parents leur a été supprimé.
Le moment est trop important pour se cacher. Il va falloir prendre une décision, et la seule qui s’impose, c’est de voter pour le Nouveau Front Populaire. Quelles que soient leurs imperfections, quels que soient les désaccords ou les inimitiés, c’est le seul chemin possible pour éviter la catastrophe. Il sera toujours temps ensuite de vous engager pour interpeller ce gouvernement d’union, le faire changer, le faire bouger (voir ce qu’en dit ici C. De Haas https://www.mediapart.fr/journal/politique/110624/emission-speciale-contre-l-extreme-droite-l-indispensable-sursaut#at_medium=custom7&at_campaign=1047).
Ne regardez pas l’histoire se faire, parce que des ennemis de la République, des vrais, il y en a, mais ils ne sont pas à gauche.
L’histoire du fascisme en Europe n’est pas celle de l’irruption soudaine de hordes de militants racistes qui, galvanisés par l’odeur du sang, se sont brutalement emparés des institutions. Elle est d’abord le fait des électeurs « bien intentionnés » qui, le jour venu, ont préféré fermer les yeux et consentir au sacrifice de la vie des autres, pour ne pas avoir à faire de concessions.
Et si cela demande des efforts trop importants faîtes une procuration.