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Billet de blog 6 janvier 2025

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La voix d'homme, roman d'apprenti sage

Clément Rossi aurait dû attendre un peu, et publier son deuxième roman maintenant, à l'heure du procès des violeurs de Mazan et du gouvernement Bayrou.

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Clément Rossi aurait dû attendre un peu, et publier son deuxième roman maintenant, à l'heure du procès des violeurs de Mazan et du gouvernement Bayrou. Peut-être aurait-il fait plus de bruit. L'auteur nous raconte la difficile éducation sentimentale d'un jeune bègue boudé par la gent féminine. Bien que Camille aille d'échec en échec, le récit est tout de même initiatique car le jeune homme finit par apprivoiser son handicap et vaincre son impatience.

"Tous, nous étions descendus jusqu'à ces abysses sociaux où les amis ne se choisissent plus, où l'affection va directement à ceux que l'on croise. Notre rapprochement était voulu par les lois de l'espèce.

— Les exclus d'une société font quand même partie de cette société, disait Fabian en ouvrant au fond du jardin une bouteille de Smirnoff clandestine. Ils sont utiles. Ils permettent aux autres de se sentir normaux. Et d'ailleurs « Ce n'est pas un signe de bonne santé mentale d'être adapté à une société malade. »

— Qui est-ce qui a dit ça ?

— Un sage.

Il rotait un peu de vodka citronnée et faisait tourner la petite bouteille de trentre-trois centilitres."

Illustration 1

Pas comme les autres, mis au ban par sa différence, qui l'enferme de plus en plus avec les années, Camille peu à peu se construit un réseau d'amis, tous plus frustrés du zgeg les uns que les autres. Le groupe d'incels (involuntary celibate : célibataire involontaire en français) se dote d'un leader charismatique, plus âgé, sans verser dans la secte comme on le redoutait. Cette petite communauté de jeunes adultes désireux de perdre leur pucelage à la hâte s'entraîne et s'encourage à draguer les femmes, dans des formations improbables et divers lieux festifs parisiens.

Camille a aussi une famille. Je ne comprends pas exactement pourquoi j'ai été agacé par la façon dont les parents de Camille sont traités. Eux aussi sont des zéro de la communication. Ils ne comprennent rien, parlent peu et mal. Sans doute sont-ils simplistes à l'excès, des caricatures pas drôles. Après une agression sexuelle auquel Camille a joué le premier rôle un peu malgré lui, le père tente maladroitement de lui signifier l'importance du consentement. A l'inverse de la mère qui paraît rassurée par la virilité de son fils. Peut-être ces personnages servent-ils un propos : la dénonciation de la culture du viol contenue dans la mauvaise éducation sentimentale des fils. C'est ce que le laisse penser l'analyse de la youtubeuse Yasmina Behagle. Elle note aussi (je ne l'avais pas remarqué) que les personnages féminins fantasmés par les incels s'apparentent à des figures impersonnelles, superficielles, stéréotypées sur le modèle de personnages de mauvais films étatsuniens (celui de la Manic Pixie Dream Girl, dont j'ignorais tout). Je serais curieux de savoir si l'auteur y a pensé en construisant son personnage d'Annabelle.

L'écriture du roman est moderne et agréable. On aurait apprécié un peu moins de mesure ou davantage de fantaisie. Rire un peu ou pouvoir vraiment entrer dans le malheur et l'intimité physique et intellectuelle de Camille. Pas idiot, il lit des romans dans son adolescence, mais on ignore lesquels et le plaisir qu'il y trouve. Camille débute ensuite un cursus de philosophie, assez vite abandonné, mais on ne sait pas ce qui l'y amène, ni quelle est sa petite vision du monde personnelle, en-dehors du discours machiste sur les femmes qu'il a fait sien.

De même, les fantasmes d'une sexualité extrême épousent mal le caractère idéaliste de Camille. Lequel reste, par conséquent, assez difficile à appréhender. Car Camille n'est pas non plus un incel comme les autres. Il n'est pas vraiment grossier, et les fantasmes qui l'animent ne paraissent pas bien méchants. Pas au stade où il se trouve, du moins. D'un fond doux, on peut penser que ses désirs d'ébats violents s'arrêteront à son premier baiser.

Je termine forcément en revenant au premier roman de Clément Rossi. Je n'ai pas rencontré le plaisir que j'attendais en lisant cet ouvrage. Car La dissonnante était une prouesse littéraire, un poil surrannée, qui méritait plus que le prix Françoise Sagan. On rentrait vraiment dans la peau du protagoniste, et l'univers de la musique classique était bien décrit. Cette fois Rossi paraît moins maîtriser son sujet, ou garder trop de retenue. Son phrasé est plus court, plus contemporain. Efficace, comme on dit. Et La voix d'homme, c'est sûr, aurait pu faire bonne impression au Goncourt des Lycéens. En tout cas, à l'heure où les jeunes hommes lisent si peu, on imagine aisément des profs de lettres donner à disséquer à leurs ouailles cette oeuvre dans l'ère du temps. Mais au-delà des questions de sexualité et de consentement qu'il soulève, Clément Rossi nous fait aussi réfléchir aux mauvaises réponses que peuvent apporter un mentor, un groupe et une idéologie à la jeunesse, en quête de sens, de joie et d'amour.

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