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Billet de blog 21 octobre 2024

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Des eaux bretonnes toujours plus dégradées.

Je copie ci-dessous un courrier de l'association L'arbre indispensable, datant de mars et adressé au ministère de la Santé. Il revient sur un épisode de la carrière de Michel Barnier, trente ans en arrière, et les promesses non tenues sur la qualité des eaux bretonnes, intimement liée au modèle agricole et à la place qu'il fait aux arbres.

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Madame Catherine VAUTRIN

Ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités

Hôtel du Châtelet

75007 Paris

Iffendic, le 18 mars 2024

Objet: Remise en cause du code santé publique, section relative aux eaux destinées à la consommation humaine -articles R 1321-1 à D 1321-66 (livre III, titre II) qui réglemente la qualité des eaux brutes destinées à la consommation humaine.

Madame La Ministre,

Rappel des faits concernant une montée inquiétante des pesticides en Bretagne : Michel Barnier, alors ministre de l'environnement, avait reçu le 25 novembre 1994 tous les acteurs de l'eau à la préfecture de la région Bretagne. Huit associations bretonnes de protection de l'environnement et des consommateurs, comptant des représentants au conseil d’hygiène départemental, avaient écrit à Simone Veil, ministre de la santé à l'époque, pour presser l’État de prendre ses responsabilités quant au respect des normes réglementaires sanitaires et environnementales applicables aux activités agricoles. Le courrier stipulait que seule la reconstruction d'un bocage cohérent, qui constitue un frein à l'écoulement superficiel des eaux, éviterait aux eaux bretonnes de dépasser les normes nationales et européennes de concentration des pesticides. A cette réunion, notre délégation, très présente sur le terrain, avait pu démontrer la responsabilité des services de l’Etat dans la montée inquiétante de l’usage des pesticides et les pollutions diffuses de la qualité de l’eau et de l’air atmosphérique en résultant. De nombreux journalistes et plusieurs chaînes TV avaient relayé cette visite du ministre.

La délégation Eau & Rivières de Bretagne, longtemps absente du théâtre politique et associatif de l’Ille-et-Vilaine, faisait un retour remarqué sur les opérations de remembrement dans le département,qui avaient engendré une augmentation conséquente de la pollution de 400% sur la réserve de la Chèze-Canut, principale source d’alimentation en eau potable du département.

Pourtant, devant les barrages érigés de concert par le ministère de l'agriculture et la FNSEA, cet élan n’a pas pu prospérer. Dès 1993, un rapport de la DASS 35 révélait que 307 communes sur 353 avaient distribué aux usagers une eau qui ne répondait pas auxnormes réglementaires de qualité sur les pesticides en faisant porter la responsabilité au traitement des céréales, du maïs en particulier avec ses besoins considérables en eau en période estivale.

La pollution généralisée de l'eau, de l'air et des sols par les pesticides en Bretagne perdure et s'amplifie.

Avec la montée inquiétante des concentrations en pesticides et leurs métabolites dans les eaux brutes, comment, dans les conditions d'urgence sanitaire et climatique, oser encore aujourd’hui plaider une pause de leur indispensable réduction d’usage par les exploitants agricoles en France? Il s’agirait de revenir sur la teneur maximum en matière organique fixée à 10 mg.L d'oxygène pour la consommation humaine, étant pris en compte les effets nocifs du recours à la chloration pour la fabrication de l'eau potable.

Les différentes concessions faites ces dernières semaines à la FNSEA seront-elles compatibles avec les normes réglementaires sanitaires et environnementales, pour les collectivités locales et leurs opérateurs des régies publiques de l'eau, sans un nouveau tour de passe-passe consistant à remonter les seuils de détection des pesticides dans les eaux distribuées ?

La Bretagne est sans doute la région la plus impactée en France par les fortes teneurs en matières organiques générées par la concentration de près de la moitié des élevages industriels et les rejets des industries agroalimentaires qui y sont associés.

Ce déséquilibre des productions sur seulement 6% du territoire national oblige à utiliser la filtration par charbon actif associée à la chloration, qui génère des SPC, sous-produitschlorés à la toxicité reconnue pour l'homme (Trihalométhane ou THM, Halocétate, ou AHA).

Les champs de maïs de 1993 se sont agrandis et sont devenus en 2024 des «océans de maïs» à perte de vue ; les élevages intensifs se sont développés dans les mêmes proportions. Le maintien dix ans de plus de telles pratiques agricoles et de l'usage des pesticides nous rapprochent rapidement d'un point de non-retour pour l'alimentation en eau potable en Bretagne.

Rappels concernant les nuisances engendrées par la présence de Matière organique (MO) dans les eaux brutes utilisées pour la fabrication d'eau potable : sont rappelées les principales raisons qui ont conduit le législateur à édicter les limites réglementaires à ne pas dépasser quant à la teneur en matières organiques (MO) des eaux brutes destinées à la fabrication d'eau potable :

1-ces nuisances peuvent provoquer la diminution du volume utile des retenues par sédimentation biogène, pouvant aller en Bretagne jusqu'à 50% au cours des trente dernières années (on peut imaginer l'amplification du phénomène avec trente années supplémentaires de développement de l'élevage industriel et d’une agriculture intensive «agressive» avec les milieux naturels ;

2-avec la modification de ces transferts de micropolluants,les MO peuvent absorber d'autres molécules organiques comme les pesticides et inhiber leur dégradation;4Gruau 2004 et références citées en P.J. ;

3-les MO peuvent être associées à la présence d'espèces planctoniques, dont certaines produisent des toxines ;

4-les MO sont souvent à l'origine de colorations et/ou de mauvais goûts olfactifs rebutants pour le consommater ;

5-la présence de fortes teneurs en MO requiert l’installation de dispositifs de traitements plus complexes, et donc plus coûteux en structures et en réactifs, sans compter les quantités de boue générées. C'est la donnée la plus problématique du traitement de l'eau, dans la mesure où ces composés représentent un risque accru de cancer pour l'homme, ainsi que l'a rappelé la synthèse bibliographique effectuée par le CNRS. Il existe trois voies d'exposition aux sous-produits chlorés : par l’inhalation, l’absorption et l'injection. De très bonnes corrélations ont été trouvées entre teneurs en SPC du sang ou de l'air expiré;en cas de douche ou bain, l'absorption à plus de 30 degrés serait une voie d'exposition importante. La mise en place de la filière de traitement de l’eau au charbon actif expose à un risque supérieur encore ;

6-enfin, les MO servent de nutriment ou de support aux micro-organismes présents dans les réseaux de distribution. Nous soulignons que la limite réglementaire «eau brute» des 10 mg/L d'O2 est spécifique à la France, l'Union Européenne ayant édicté à ce jour une réglementation sur eaux distribuées à 5 mg/L d'O2.

La suspension de l’objectif de réduction et d’arrêt des produits phytosanitaires conforte le modèle de production agricole breton, qui se voit dans nos paysages par ces océans de maïs qui s’étendent sans cesse, érodent les sols, polluent, asphyxient, colmatent tous les estuaires en Bretagne, jusqu'à perturber la reproduction des espèces marines par des blooms planctoniques toxiques (cyanobactéries toxiques).

En outre, face au cycle infernal des événements climatiques de plus en plus intenses et rapprochés avec des inondations, sécheresses à répétitions, à la voracité du modèle agricole breton en termes de consommation d’eau, et à la forte pression démographique qu’elle connaît, la Bretagne sera rapidement dans une impasse quant à disposer encore d'une ressource en eau suffisante en qualité et en quantité pour faire face aux besoins alimentaires et sanitaires de sa population humaine.

Au même moment, le Haut Conseil sur le Climat vient de publier un rapport pour un changement de modèle agricole, les scientifiques nous alertant sur l'urgence climatique. En parallèle, le monde médical fait de plus en plus le lien entre l’usage de pesticides et la multiplication des cancers.

En définitive, quand il ne reste déjà plus en Ille-et-Vilaine que 2% des masses d'eau qui s’avèrent aux normes européennes de qualité, l’inversion de la trajectoire en matière de recours aux produits phytosanitaires ne pourra manquer d'avoir àdifférents niveaux des effets délétères considérables sur l'état de santé des populations.

Notre association l'Arbre Indispensable demande depuis 2018 l'interdiction en urgence de l'usage des pesticides sur tous les bassins versants eau potable de Bretagne.

Alors qu'on ne tolère plus les pesticides sur les trottoirs des villes, mais qu’ils sont encore acceptés dans les eaux brutes ou distribuées, notre demande adonné lieu à des réactions très virulentes de la part du «milieu» agricole intensif, qui s’emploie de façon continue à obtenir des dérogations et à faire reculer les échéances. Pourtant, l’intérêt général commande de telles mesures qui paraissent inéluctables. La guerre économique contre notre milieu naturel condamne notre espèce.

C’est pourquoi nous demandons la mise en place dans les meilleurs délais d’expérimentations en Bretagne sur les zones stratégiques d’alimentation en eau potable des populations humaines, comme celle de la réserve d'eau potable de la Chèze-Canut, laquelle se trouve aujourd’hui incapable de fait de remplir son rôle de réserve de sécurité dans le département.

Cette expérimentation permettrait sur ces mêmes territoires de protéger la biodiversité (faune, flore) en voie de disparition, même pour la plus ordinaire, les ressources naturelles, moyennant une activité agricole «désintensifiée», moins «agressive» pour l’environnement et les humains qui y vivent.

Les mesures de protection menées de front sur des territoires expérimentaux permettront d’engager un changement de modèle agricole et de former plus globalement l’ensemble des parties prenantes à une vision transversale incluant l’ensemble des enjeux de l’aménagement des territoires, au premier chef celui portant sur la santé des populations.

Nous mettons à disposition notre charte de l’Arbre Indispensable, qui peut contribuer à un plan d’actions pour monter des projets de territoire qui varient selon les régions et les priorités. Elle est bâtie sur quatre piliers, dont l’optimisation permet d’anticiper au mieux la lutte contre les effets du réchauffement climatique.

Dans cette perspective, et dans l’attente de votre réponse, je vous remercie pour l’intérêt que vous accorderez aux développements ainsi présentés concernant les enjeux sanitaires et environnementaux en Bretagne, et vous prie de croire, Madame la Ministre, à l’expression de ma considération très distinguée.

Pascal BRUNARD, Président de l’association l’Arbre Indispensable.

Retrouvez ici le courrier original avec ses notes de bas de page.

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