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Billet de blog 23 juillet 2024

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Entretien avec un Vénézuélien vivant en Europe

A l'occasion des élections au Vénézuela, j'ai voulu connaître l'avis d'un ami vénézuélien sur la situation.

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- Je m'appelle Angelo, je suis né au Venezuela, à Maracay, à une centaine de kilomètres de Caracas, et j'ai grandi dans cette région. A 20 ans, j'ai quitté le pays pour voyager, pour le plaisir. En 2018, j'ai voulu rentrer, après huit ans en Europe, Asie, et Amérique Latine. Je voulais rendre visite à ma famille, en passant par le Costa Rica et le Panama. Mais les autorités du Panama m'ont empêché de rentrer car il y avait déjà beaucoup de réfugiés vénézueliens, et ils n'en voulaient pas plus. Finalement, j'ai pu rentrer au pays plus tard, après le Covid, et j'y suis retourné en début d'année.

- Quels sont tes souvenirs, sous Chavez ?

- Ca bougeait beaucoup.

- Dans la bonne direction ?

- Chavez parlait beaucoup, et on parlait beaucoup de lui, aussi bien à l'international que dans le pays. Les bourgeois n'étaient pas trop d'accord. Ils avaient toujours gagné jusqu'en 1997. Mais si c'était bien ou pas, je ne saurais pas dire. Il y avait du bon et du mauvais.

- Quelles mauvaises choses ?

- Je pense que Chavez voulait aider le peuple. Alphabétiser. Que la jeunesse puisse étudier. Mais il ne distribuait pas l'argent de la manière la plus intelligente. Le Vénézuela restait un pays corrompu.

- Une nouvelle élite se constituait ?

- Oui bien sûr.

- Comment t'informes-tu de la situation ?

- Je ne m'informe pas. Ce que je sais vient de mes séjours il y a deux ans, et cette année en janvier et février. J'ai vu un pays pauvre, mal aménagé. Avec beaucoup de contrôles militaires, et de la corruption. Officiellement, ce sont des contrôles migratoires et de lutte contre la drogue. J'ai eu l'impression qu'ils incitaient les gens à leur donner de l'argent. Ils forcent les gens à se déshabiller lorsqu'ils cherchent de la drogue. Je l'ai vécu dans la région frontalière avec la Colombie. Il faut dire aussi que les salaires sont très très bas, même ceux des militaires, et le salaire officiel ne représente qu'une petite partie du salaire réel. La diaspora joue un rôle déterminant pour aider les familles au pays. Le plus gros des émigrés vivent dans les pays riverains.

- Que sais-tu de la démocratie participative ? Il y a un ministre dédié.

- Oui, au temps de Chavez c'était très actif. Maintenant, j'ai l'impression qu'il y a beaucoup de corruption dans les organisations communales. Ceux qui ont les postes prennent l'argent, et les projets n'aboutissent pas forcément. Le gouvernement subventionne les organisations communales, qui redistribuent des "bons" (bonos). C'est informatisé, ça passe par le compte bancaire. Mais ce sont de toutes petites quantités d'argent. En revanche, il y a aussi les aides en nature : farine, riz, lentilles, huile, sucre... Ce n'est pas gratuit, mais c'est vraiment pas grand chose.

- Et au niveau de l'autogestion, c'est un principe revendiqué par le régime. Ce n'est pas seulement de l'aide directe. Est-ce que ça existe ?

- Je n'ai pas l'impression, à l'heure actuelle.

- Et au niveau de la politique féministe ?

- Ca c'est vrai. Il y a deux ans, ça m'a frappé. J'ai vu beaucoup de femmes policières et de militaires. Et d'autres femmes dans les professions traditionnellement masculines. Cela s'explique aussi parce que la plupart des émigrés sont des hommes.

- As-tu déjà voté à des élections depuis l'étranger, et vas-tu le faire ?

- Non. Cette fois, j'avais pensé voter Corinna Machado (principale leader de l'opposition, non-autorisée à concourir), mais finalement je ne vais pas voter.

- Qu'est-ce qui t'intéressait chez elle ?

- La seule chose qui m'intéresse, c'est que ça change. Que le régime de Maduro cesse. Je pense qu'elle est la candidate des riches vénézuéliens. Mais il y a quatre ou cinq ans, la situation était super critique. Il fallait un seau d'argent pour acheter un kilo de riz. C'est pourquoi je souhaite le changement.

- Qu'en dit ta famille ?

- Dans ma famille, ce sont surtout mes parents, qui sont séparés, qui ont des avis bien arrêtés. Tous les deux vivent modestement. Ma mère s'en satisfait, et elle est favorable au régime. A la différence de mon père, qui vit en Colombie, et qui est à 100% pour l'opposition.

- Et que penses-tu des sanctions de l'Occident ?

- Je suis complètement contre les sanctions. C'est une façon pour les pays très riches de prendre le contrôle sur les pays très pauvres, surtout quand ils sont très riches en ressources.

- Quelle différence as-tu vu entre le Vénézuela et la Colombie au cours de ton précédent voyage ?

- En passant la frontière au Nord-Ouest du pays, au niveau de la Guajira, j'ai trouvé la Colombie beaucoup plus verte. Il y a une tribu qui vit des deux côtés de la frontière. C'est une zone sèche. Tout est plus vert et plus jolie côté colombien, et il y a moins de militaires. On voit bien que le Vénézuéla ne fait pas grand chose pour préserver la forêt ou les zones naturelles.

- Selon toi, quel rôle doit jouer le pétrole à l'avenir ?

- Le pétrole a apporté beaucoup de richesses depuis un siècle. Le pays était au top de sa richesse dans les années 1970. Aujourd'hui, je pense que c'est un problème plus qu'une bénédiction. Les richesses du Vénézuela, comme d'autres pays pétroliers, sont convoitées. Il y a peu de pays, comme la Norvège, où le pétrole permet un développement harmonieux.

- Que penses-tu de l'atmosphère politique, de la liberté d'expression ? Les gens ont-ils peur ?

- Sous Chavez et même avant, il y avait beaucoup de manifestations. La droite comme la gauche étaient souvent dans la rue. Ce n'est plus le cas. , j'ai l'impression que c'est moins libre.

- Tu m'avais dit aussi que la propagande t'avais marqué.

- Oui. Maduro utilise l'image de Chavez et de Bolivar pour sa communication politique. Les photos des trois sont placardées partout. Ca me gêne, qu'il utilise ainsi l'image des morts.

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