On peut avoir accompagné la compagnie In Vitro depuis ses débuts, et traversé les trois volets du triptyque « Des années 70 à nos jours », composé d’un Lagarce (Derniers remords avant l’oubli), d’un Brecht (La Noce) et d’un premier travail de création collective (Nous sommes seuls maintenant). On retrouve alors avec une attente non déçue cette troupe au sens plein du terme, ce collectif qui sous la direction de Julie Deliquet travaille à créer sa propre forme depuis 2009.
Ou bien l’on peut entrer par la porte du fond, comme ce fut mon cas, et découvrir cette talentueuse équipe avec leur nouveau spectacle : on pénètre alors par le « et » qui relie deux prénoms, en se faufilant le long d’une parenthèse faussement beckettienne. Catherine et Christian (fin de partie) se présente comme un appendice conclusif au triptyque, où quelque chose vient s’achever d’un parcours d’invention pour l’ensemble des acteurs d’In Vitro. Et pourtant, en ressortant de la salle Mehmet-Ulusoy du théâtre Gérard-Philipe, on a l’étrange impression de quitter une réunion de famille qui se poursuivra en coulisse et a commencé bien avant notre arrivée. On a le sentiment d’être entré dans des vies de fils et de filles, de frères et de sœurs, de beaux-frères et de brus, d’avoir assisté avec curiosité à leurs conflits et à leurs tendresses, qui n’ont pas besoin de notre voyeurisme pour exister.
Deux fratries, l'une constituée de quatre frères, l’autre de trois sœurs, se croisent sur le plateau en un long plan-séquence presque entièrement improvisé, après l’enterrement de leur père (pour les frères) ou de leur mère (pour les sœurs). Les pistes sont brouillées et le dispositif surprend, puisque le père et la mère ne sont autres que les deux membres du couple que l’on découvre, à peine assis sur nos sièges, projetés en vidéo sur le fond de scène. Et qui n’ont donc, selon les moments, pas enfanté les mêmes rejetons. Ce n’est pas clair ? Normal, toute explication concernant la structure de la pièce semble achopper sur une impossibilité fondamentale, digne des meilleures énigmes mathématiques (le personnage d’Olivier, professeur de mathématiques, identifie d’ailleurs son destin à celui d’une fonction – x3). Les deux histoires, en même temps qu'elles s’interpénètrent, s’interdisent l’une l’autre.
Mais ce n’est finalement pas l’essentiel : ce qui frappe, c’est la capacité de la troupe à imposer au spectateur ces vies de famille plus ou moins ordinaires, aux drames à la fois tragiques et suffisamment banals pour permettre l’identification. Tensions, jalousies, frustrations, préférences… qui, rien que de très normal, se révèlent devant le chagrin et la perte comme autant d’indicibles que le théâtre autorise à dire, plus vite et sans doute plus clairement. Cette capacité à nous embarquer, ce naturel impeccable de ce que l’on hésite à appeler interprétation (chacun joue ses deux rôles « sous » son propre prénom) tiennent bien sûr au grand talent des comédiens et de la metteure en scène ; mais aussi à la manière de travailler propre à ce collectif : la création part d’improvisations, souvent filmées, qui sont peu à peu scénarisées en vue de définir un canevas à l’intérieur duquel les acteurs évoluent chaque soir, se surprenant sans cesse eux-mêmes et surprenant leurs partenaires.
On pense moins ici à Beckett et à son Fin de partie qu’à Tchekhov ou à Maurice Pialat, dans cette exploration humaine, ce raffinement psychologique dans le dévoilement de l’ordinaire, du commun au sens où l’expérience est partageable et partagée, et qui donne toute sa portée à la notion de « collectif théâtral ». À travers ce dernier volet, Julie Deliquet et In Vitro achèvent le portrait d’une génération et témoignent du rapport qu’elle entretient avec la précédente en une forme théâtrale accomplie, généreuse et bouleversante.
Catherine et Christian (fin de partie)
Création collective In Vitro
Mise en scène : Julie Deliquet
Avec Julie André, Gwendal Anglade, Éric Charon, Olivier Faliez, Pascale Fournier, Magaly Godenaire, Julie Jacovella, Jean-Christophe Laurier, Agnès Ramy, Richard Sandra, David Seigneur et la complicité de Catherine Eckerlé et Christian Drillaud
Assistanat à la mise en scène Julie Jacovella | scénographie Julie Deliquet et Charlotte Maurel | lumière Jean-Pierre Michel et Laura Sueur | musique Mathieu Boccaren | régie générale Laura Sueur
Infos pratiques
Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis
Du jeudi 24 septembre au vendredi 16 octobre
Du lundi au samedi à 20 h 30 – dimanche à 16 h – Relâche le mardi
Durée estimée : 1 h 45 – salle Mehmet Ulusoy
Rencontre avec l'équipe artistique le dimanche 11 octobre à 18 h 00
Tournée :
Théâtre Romain-Rolland de Villejuif du 3 au 7 novembre
La Ferme du Buisson du 21 au 22 novembre
Théâtre Paul-Éluard de Choisy-le-Roi le 27 novembre
Puis :
- du 02 au 04 décembre 2015 › La Comédie de Saint-Etienne - CDN (Saint-Etienne)
- du 08 au 09 décembre 2015 › La Comédie de Valence - CDN Drôme Ardèche (Valence)
- le 08 janvier 2016 › Le Rayon Vert - Scène conventionnée de St-Valéry-en-Caux (Saint-Valéry-en-Caux)
- le 17 janvier 2016 › Théâtre des Bergeries de Noisy le Sec (Noisy-le-Sec)
- le 30 janvier 2016 › Salle Jacques Brel de Pantin (Pantin)
- le 02 février 2016 › Théâtre Roger Barat d'Herblay (Herblay)
- du 05 au 06 février 2016 › Théâtre Gérard Philipe de Champigny-sur-Marne (Champigny-sur-Marne)
- le 16 février 2016 › Théâtre Firmin Gémier - La Piscine, Châtenay-Malabry (Châtenay-Malabry)
- le 12 mars 2016 › Centre culturel des Portes de l'Essonne, Athis-Mons (Athis-Mons)