Le Pen au second tour. Partout, les médias parlent d'un "second 21 avril". Il faut arrêter de comparer ces deux élections qui n'ont rien à voir. Le vote Le Pen est la traduction d'un clivage profond s'agissant des politiques néolibérales, de l'austérité et de l'Union européenne actuelle qui les impose à ses Etats membres. Celui qui ne comprend pas ça ne peut pas comprendre ce qui est en train de se passer.
Depuis hier, les félicitations affluent. Des responsables de l'Union européenne, Jean-Claude Juncker en tête, croient rendre service à Macron en le congratulant. François Hollande devrait appeler à voter pour lui. Tout cela va alimenter la machine de propagande frontiste, qui pendant les deux prochaines semaines va marteler que Macron est un "Hollande bis", "le candidat du système", "de la finance", "de l'Europe libérale", "de l'austérité". Marine Le Pen, elle, aura beau jeu de s'afficher en "candidate des laissés pour compte", du "peuple contre les élites", de la "libération de la France". Elle dira que l'appel au "front républicain" montre bien que les "élites" sont coalisées derrière Macron.
Deux semaines, c'est long. Beaucoup de choses peuvent se passer.
Pourtant Macron, hier soir, est apparu triomphal. Sur scène, avec son épouse, il agitait les bras, faisait des signes de victoire. Sur son pupitre, un écriteau "Macron président". Dans la salle, des cris: "On a gagné! On a gagné!". Macron croit manifestement qu'il a déjà gagné, et qu'il réunira facilement 70% des suffrages exprimés le 7 mai. Il croit que tout est joué d'avance. Cela doit nous inquiéter. Cet homme est dans le déni. Il ne se rend pas compte de ce qui est en train de se passer. Son discours insipide, plat, ennuyeux laisse craindre qu'il soit dominé, et de loin, par Le Pen lors du débat qui devrait les opposer. Elle parlera, et elle sait le faire à merveille, du "ressenti" des "vrais gens" (dont elle ne connaît pourtant rien): face à elle, Macron répliquera avec ses habituels phrases ampoulées, trop technos, trop ennuyeuses.
Macron a réuni 24% des suffrages exprimés hier. Il est à craindre qu'une part importante des électeurs de François Fillon votent pour Marine Le Pen ou s'abstiennent. De même chez les électeurs de Jean-Luc Mélenchon: certains, déjà, affirment fièrement qu'ils n'iront pas voter, dans une démonstration d'inconscience stupéfiante d'irresponsabilité et d'immaturité politique pour des gens qui aiment flatter leur ego en affirmant qu'ils sont le meilleur rempart contre l'extrême-droite. Que la Ve République et l'élection présidentielle sont anti-démocratiques, que la rénovation institutionnelle est une urgence, qu'il faut lutter contre les politiques néolibérales et austéritaires, qu'il faut réorienter l'Europe, que Macron incarne le consensus néolibéral et fait à terme le jeu du FN: tous ces arguments avancés par les mélenchonistes sont légitimes et peuvent donner lieu à un débat passionnant pour l'avenir du pays. Mais le temps de ce débat n'est pas venu: il reprendra après le second tour, et il sera décisif. Pour l'heure, ces divergences de fond avec Macron ne justifient pas de laisser le champ libre à l'extrême-droite. Se permettre de ne pas aller voter parce que "vraiment, ça fait trop mal de voter pour ce banquier, pour ce technocrate" est un luxe que seuls les petits-bourgeois épris de grandes idées et qui n'ont pas grand chose à craindre d'une accession au pouvoir du Front national peuvent se permettre.
Bien sûr, Macron devrait gagner. Mais la partie sera loin d'être aussi aisée que ce que lui et ses admirateurs ont l'air de croire aujourd'hui. Et il serait bien avisé de le comprendre.
Encore 13 jours.