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Billet de blog 26 avril 2017

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Entre-deux-tours, jour 3: les mélenchonistes hésitent, Macron nous apprend la vie

"Quelle conscience de gauche peut accepter de compter sur le voisin pour sauvegarder l'essentiel parce que l'effort lui paraît indigne de soi? Ne pas faire son devoir républicain en raison de la nausée que nous donne le moyen d'action, c'est prendre un risque collectif sans commune mesure avec l'inconvénient individuel." (Jean-Luc Mélenchon, 2002)

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Le débat continue à faire rage chez les partisans de Mélenchon.

Les arguments avancés par nombre de partisans de Mélenchon pour justifier une abstention ou un vote blanc sont tous parfaitement justes, sur le fond, dans ce qu'ils reprochent à Macron. Mais en quoi laisser gagner Le Pen aiderait-il à faire avancer la cause de la gauche radicale? De quoi a-t-on peur en refusant de toucher ce bulletin Macron qui ne voudra rien dire le 7 mai? Ces gens qui envisagent de ne pas aller voter craignent-ils d'être pris en flagrant délit de trahison? D'en avoir lourd sur la conscience? D'être un mauvais militant? De se "compromettre"? 

La logique avancée par d'autres (dont Julien Salingue, proche du NPA) qui consiste à dire "L'enjeu n'est pas de voter Macron, il est de vider l'électorat du FN en convainquant les électeurs de Marine Le Pen qu'il ne faut pas lui donner leur suffrage" est parfaitement fondée: l'entre-deux-tours doit permettre de mener ce combat. Mais il n'est pas incompatible avec l'acceptation de la nécessité, imposée par un système électoral et par les circonstances présentes, de mettre un bulletin Macron dans l'urne le 7 mai. Il faut simplement dire, fermement, sereinement, que Macron aura construit sa victoire sur du vent, sur des bulletins qui ne veulent rien dire, qu'il n'a pas de légitimité à mettre en oeuvre son programme néolibéral. Comme l'a dit Corbière: "Il faut que tout le monde comprenne bien que nous n’aurons rien à voir avec Emmanuel Macron s’il est élu président de la République." C'est l'évidence même.

Certains disent également: "Oui, mais l'enjeu est que Macron fasse le plus petit score possible." Je réponds: au contraire. Plus Macron fera un gros score, plus il sera évident aux yeux de tous que son score n'a pas de sens, qu'il ne veut rien dire, qu'il ne traduit qu'un vote par défaut donné par les républicains pour éviter le pire. Au contraire, si Macron est élu avec 51%, Marine Le Pen aura recueilli 49% des suffrages exprimés. Elle pourra revendiquer hautement, fièrement, d'être la seule représentante légitime des opposants au néolibéralisme, à l'austérité, à la mondialisation libérale: celle qui, malgré "le système", aura réussi à rassembler une quasi-majorité de Français (car les abstentionnistes et les votants blancs, quand bien même ils seraient ultra-majoritaires, seront invisibles: seul le chiffre "49%" sera visible et retenu).

D'autres encore m'ont dit: "Il faut quand même que Macron me convainque un minimum. Je ne vais pas aller automatiquement vers lui." Mais en quoi peut-on espérer être convaincu par Macron? Cet homme est opposé à notre vision de la société, de l'économie, c'est le représentant d'un programme néolibéral, individualiste et austéritaire, qui entend détricoter les droits sociaux et le code du travail. Je ne veux pas qu'il me convainque. Je ne veux rien avoir à faire avec lui. Je mettrai un bulletin Macron le 7 mai, mais cela n'a rien à voir avec cet homme. Si l'on cherche à être "convaincu" par Macron, c'est qu'on estime être dans un scrutin où il y aurait lieu de faire un choix entre deux options qui, chacune, pourraient "nous convaincre un minimum". Et ce n'est pas le cas. Nous ne sommes pas dans une élection, nous sommes dans une prise d'otage de laquelle il faut nous sortir avec le moins de dégâts possibles. L'étude des causes qui ont conduit à cette prise d'otages viendra après, lorsque nous aurons éloigné ce pistolet de notre tempe. Il ne faut pas tout mélanger, sans quoi on finira par faire des erreurs que l'on regrettera amèrement.

Alors, ceux qui envisagent un vote blanc ou une abstention doivent clarifier leur position. Nous (qui, bien que fidèles à l'idéal de la gauche, sommes résignés à mettre un bulletin Macron dans l'urne, avec dégoût) considérons que Le Pen est un risque qu'il est inacceptable de prendre. Vous (qui envisagez ou revendiquez le vote blanc ou l'abstention) semblez considérer que ce risque est acceptable pour éviter de se salir en votant Macron. Mais il faut le dire clairement. Chacun prend la position qu'il veut, l'important est de l'assumer: les choses, ainsi, seront claires. Mais ceux qui défilaient après l'assassinat de Clément Méric feraient bien de repenser aux milices fascistes qui l'ont tué, et au signal d'attaque que représenterait une victoire de Le Pen, avant d'apporter une réponse à cette question.

Comme l'a dit Pierre Laurent hier: "Notre appel à battre Marine Le Pen en utilisant le seul bulletin qui lui sera malheureusement opposé, est net et sans détour. Nous ferons barrage à Marine Le Pen les yeux ouverts vers la suite. Notre choix n'est en aucun cas un soutien à la politique d'Emmanuel Macron." On ne peut être plus clair.

En 2002, Mélenchon déclarait: "Quelle conscience de gauche peut accepter de compter sur le voisin pour sauvegarder l'essentiel parce que l'effort lui paraît indigne de soi? Ne pas faire son devoir républicain en raison de la nausée que nous donne le moyen d'action, c'est prendre un risque collectif sans commune mesure avec l'inconvénient individuel." Et il avait raison.

Pendant ce temps, Macron s'enferme dans son monde rêvé. Il a déclaré: « Je ne vais pas changer le projet qui est le mien. Il est sorti en tête de ce premier tour, donc je ne vais pas l’amender. Par contre, je veux rassembler autour de ce projet, largement. » Il n'a que faire des millions de voix qui ont exprimé une opposition aux politiques qu'il incarne, et dont il aura besoin s'il espère être élu le 7 mai. Le retour à la réalité, lors des élections législatives puis dans la rue, sera violent. On est terrifié en regardant la vidéo le montrant, au moment de son consternant dîner de "victoire" à la Rotonde, répondre à un journaliste (à qui il donne du "Cher ami" avec mépris) en lui disant qu'il n'a "rien compris à la vie". Cette vidéo est terrible dans ce qu'elle exprime de prétention et d'arrogance chez un homme qui se croit déjà arrivé au pouvoir, et qui semble penser sincèrement qu'il est soutenu par l'immense majorité des électeurs. Et des millions de personnes ont vue cette vidéo, qui donne envie d'aller vomir trois fois plutôt que voter pour lui le 7 mai.

Marine Le Pen, elle, se drape dans ses habits de candidate "du peuple", dénonce en Macron le candidat de la "mondialisation sauvage", qui serait entouré de "communautaristes"... Ce n'est que le début d'une blitzkrieg qui durera encore une semaine et demi.

Hier, toujours, un article du Monde évoquait le lunch shaming, cette pratique de certaines communes qui humilient les enfants de familles modestes en les stigmatisant lorsque leurs parents sont en retard pour payer la cantine. Une citation du maire FN du Pontet, dans le Vaucluse, qui évoquait en 2014 la fin de la gratuité de la cantine dans sa commune pour les plus défavorisés, met en perspective le discours de la "candidate du peuple":

« Si les gens se responsabilisent un peu plus, s’ils ne s’achètent pas le téléphone dernier cri ou qu’ils arrêtent de fumer, s’ils font un peu d’efforts dans leur vie personnelle, ils arriveront à nourrir leurs enfants. (…) Si des gens sont en difficulté, ce n’est pas de ma faute. »

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