La vie quotidienne d'un prof - Semaine 33

Samedi 24 et dimanche 25 mai – Musiques : Linkin Park, New York Dolls

     Je n’avais pas parlé de mes weekends depuis un bout de temps, mais ils rôdent toujours. Cette fois : corriger encore, encore et encore des copies, remplir les bulletins de 2^ème semestre des 3^ème (oui, déjà), et dimanche soir, préparer les derniers détails pour les cours de demain. Je vous vois venir : non, j’ai pas eu le temps avant ! Taquins que vous êtes.

Lundi 26 mai – Musique d’entrée : ZZTop, La Grange

     Avec ZZTop, j’explique aux petits que le rock, ça vient du blues, que les Blancs ont un peu piqué ça aux Noirs… A force, je vais monter un partenariat avec mes collègues de musique, en plus c’est la salle à côté, ‘pis elles connaissent mieux que moi, ‘pis elles sont plutôt cool, ‘pis d’abord j’fais ce que j’veux.

     J’offre un mea culpa à une classe de 4^ème, après leur avoir expliqué l’expression, cela va de soie (1). Vendredi, quand Amir (2) a tracé au tableau le contour de l’Angleterre sur une carte, je lui ai dit que sa frontière avec l’Ecosse était trop basse, mais je m’étais trompé. Il avait bien raison. Des fois je me plante, autant leur dire, non ?

Aux mêmes 4^ème, en « heure de vie de classe », je propose de petits défis à résoudre en groupes ; ça apprend à collaborer et à penser hors du cadre. Vous pouvez jouer chez vous :

• Défi 1 : faire 4 triangles équilatéraux identiques avec 6 allumettes entières
• Défi 2 : maintenant, faites-en 6, toujours avec 6 allumettes
• Défi 3 : reliez ces 9 points en faisant 4 traits droits (pas plus) et sans lever le crayon

Le premier qui hurle « mais-bordel-de-merde-de-jeu-à-la-con » en égorgeant le chien a perdu.

     En 5^ème on attaque la « Réforme », les Protestants, Martin Luther, tout ça. C’est fou la place de la religion et du pouvoir dans ce programme de 5^ème : chrétiens, musulmans, conflits, échanges, pouvoir royal, empereurs, guerres de religion… On n’en sort pas. Et en géo, c’est très gai aussi : on va tous crever de chaud, de pauvreté, d’obésité, sous un cyclone, sous la mer, sous 3 milliards de « Chinindiens » (3). Je vais monter un autre deal avec l’infirmière, tiens. Pour les antidépresseurs.

Mardi 27 mai – Musique d’entrée : Black Clover, op10 (proposition d’élève)

     Je rappelle à mes 4^ème, où une petite dizaine de garçons sont à surveiller comme des chats devant une cage de hamsters (ouverte), d’arrêter de se chercher du regard en permanence pour s’échanger des bêtises. Pas plus tard que 3 minutes et 7 centièmes plus tard, alors que je lance une vidéo, voilà-t-y pas que deux d’entre eux recommencent.

     Je stoppe la vidéo, et je m’énerve comme rarement. En prenant mon temps. Et que merde à la fin, on peut pas avoir 30 secondes de répit, et que dehors tous les deux ! Tu sais ce qu’il me répond, l’un des deux (non, pas celui-là, l’autre) ? « Mais là, monsieur, on n’a rien fait ! ». Et je suis sûr qu’il le pense vraiment.

     Juste avant ce cours, j’avais discuté avec une collègue sur la fatigue cognitive qu’on a dans ce boulot, où on est en (at)tension permanente, toujours à prendre des microdécisions, en flux tendu, avec des hamsters dans tous les coins…

     J’ai les 3^ème après le déjeuner. Six élèves s’effondrent de sommeil dans les 5 minutes après le début du cours. Impressionnant. D’accord, je fais surtout du cours magistral (faute de temps), mais quand même. C’est un record.

     En 4^ème juste après, je bats un autre (triste) record : les punitions. 10 en une heure ! Cette classe est très indisciplinée depuis septembre… Aujourd’hui, au menu, il y avait :

• 6 élèves arrivent en retard devant la porte
• 3 étaient encore assis dans la cour alors qu’on attaquait les escaliers pour monter en classe
• 1 qui papote avec le voisin, après deux avertissements

J’aime pas, les punitions, mais à un moment, démuni…

     A la maison, sieste habituelle avec mon fils devant un docu sur le Guyana (quel beau pays ! En tout cas jusqu’à la 14^ème minute). Lui s’éclate, moi éclaté. Et une fois qu’il est au lit, je corrige des copies…

Mercredi 28 mai

     Journée de boulot-maison, à m’en filer la migraine. Préparer les prochaines leçons des 3^ème, qui défilent à toute allure maintenant (pas les 3^ème, les leçons). Préparer le prochain chapitre d’EMC pour les 4^ème. Les 5^ème, je verrai plus tard. Encore des copies, je hais les copies, j’en peux plus des copies. Je décide que mes dernières évaluations, je les corrigerai pas. Ces 3 paquets qui attendent depuis deux semaines sur mon bureau me sortent par les yeux. On les corrigera en classe, avec les élèves, comme si c’était un exercice, sans note à la fin, et tout le monde sera content !

     Au jeu de « Qui veut gagner des minutes », je choisis le joker « appel à un ami ». Mon père, en l’occurrence. Je lui demande s’il peut m’aider à trouver des vidéos qui illustrent l’Histoire de France depuis 1945. Il est partant. Je sais que ça l’amusera, et encore plus quand il verra que je le cite dans mon article !

Jeudi 29 mai : Rien ! J’ai du mal à y croire. Serait-ce l’Ascension… vers la tranquillité ?

Vendredi 30 mai : Presque rien ! Je finis de corriger les copies d’épreuves communes… Un mois plus tard…

Samedi 30 mai : Rien ! On prendrait presque l’habitude…

Dimanche 1^er juin

     J’ai bien fait de ne pas m’habituer. Journée entière au travail, jusqu’à 21h30 où mes forces faiblissent. Je finis de préparer, pour les 3^ème, les 3 leçons « Histoire de France depuis 1945 », que je raconterai en 2h max. Attention : pas 2h par leçon, 2h pour les trois ! Je vérifie les vidéos que mes parents ont débusquées, c’est pas mal ! Infos précises, sources fiables, voilà de bons élèves !

     Je prépare la leçon d’EMC des 3^ème sur la Défense Nationale ; j’ai hésité à le faire avec La Marseillaise en boucle et à fond, et puis non.

     Pour les 5^ème, je débroussaille le prochain chapitre sur le changement climatique, mes notes d’il y a deux ans sont en vrac, j’étais déjà dans le speed à l’époque, je le suis toujours, j’ai bien progressé, vous trouvez pas ?

     Je dîner en regardant une vidéo qui confirme que la méritocratie, fondement de l’école française, n’existe sûrement pas, et sert surtout à donner bonne conscience à ceux qui ont déjà réussi. C’est festif ! En dessert, j’évacue la moitié de mon dernier paquet de copies. J’ai pas la force de faire l’autre moitié, d’autant que je dois garder 2-3 calories pour finir d’écrire mon article de la semaine.

     Il est 22h34. Je m’arrête là pour ce soir. Comme d’habitude, je relirai cet article une dernière fois demain, pour les dernières corrections avant mise en ligne. Un lundi, pour une fois.

(1) Il était pas coton à trouver, celui-ci

(2) Tous les prénoms sont modifiés

(3) Je viens de vérifier : le mot a déjà été inventé, zut