Lundi 1er décembre – Musique d’entrée en classe : Gangsta’s Paradise (Coolio et L.V.)
Les 3e sont en stage ! C’est fête ! Huit heures de cours en moins, avec de grands trous dans l’emploi du temps et des demi-journées qui se libèrent. Comment vais-je en profiter ? Vais-je même en profiter ? Bilan vendredi.
Avec le projet théâtre des 5e, je continue de bricoler. Par exemple, je découvre qu’écrire un texte avec introduction et conclusion, ils savent pas. Ne connaissent même pas les mots. Soit ! On va travailler ça. Vous allez me dire : mais, le Ministère ne vous explique pas ce que les élèves doivent savoir faire, à chaque niveau ? Et bien… non. Là-dessus aussi, on se démerde.
En 5e encore, Nacima (1) me demande : Monsieur, c’est quoi des « hu-ghu-esses » ? Là, il me faut un temps… « Ah ! Hugues ! C’est un prénom. » La phrase parlait de Hughes Capet. On ne rit pas, s’il vous plait.
Le questionnaire que mes 4e remplissent sur les migrations dans leurs familles, finalement, sera complètement anonyme. Je sens une gêne chez eux et certains de leurs parents. Alors ceux qui ont écrit leur nom, vous le rayez ! Comme pour le projet des 5e, je teste, j’améliore, en direct quand je peux.
Pendant les « trous » je prépare des cours, et le « goûter de l’orientation » avec les 3e. Ce soir je bosse jusqu’à 21h30, mais j’ai passé la journée à ne PAS courir. Rien que ça…
Mardi 2 décembre – Musique : Una noche en Medellin (Cris MJ, proposition d’élève)
Agrandissement : Illustration 1
En 4e on s’amuse à décrire en détails un tableau de la Prise de la Bastille. La plupart des élèves le découpent en 2 ou 3 plans horizontaux : en bas les gens, en haut la prison et la fumée, et parfois les bâtiments au milieu. Mais Lina voit complètement autre chose ! Pour elle, ça se découpe de gauche à droite. Ça parait fou, mais pas pour elle. Je la rassure : oui, elle a le droit. J’ai en tête tous ces profs qui nous interdisaient de penser à notre manière…
Par contre, sur les descriptions ils ont bien retenu qu’une I. A. pouvait faire 2 pages. Leurs textes sont beaucoup plus longs, certains dépassent la demi-page. Je les félicite, c’est un vrai progrès.
Une fois chez moi, je réalise que je suis passé trop vite sur le cas Lina : pourquoi a-t-elle découpé le tableau comme ça ? Je me note : lui redemander jeudi. Puis j’enchaine plusieurs heures de boulot, sans une minute pour préparer mes cours. L’organisation du « goûter de l’orientation » me prend beaucoup de temps. J’hésite entre m’auto-engueuler de m’être lancé là-dedans, et me féliciter d’en avoir eu l’idée (avec ma collègue)…
Mercredi 3 novembre – Musique : Perhaps, perhaps, perhaps (Cake)
En 5e, Selma a déjà perdu 13 points sur 20 dans ma note sur leur « attitude en classe ». Elle bat tous les records. Son attitude est en permanence inadaptée. Elle passe son temps à s’amuser, papoter, rigoler, insulter, aussi. On discute entre profs : pas de solution. Et les parents ne répondent pas. Une convocation officielle est prévue. En revanche, pour Sefira tout va bien ! Aucune conscience d’être à côté de la plaque.
Elle a aussi été collée par une collègue pour ne pas avoir ramené un livre, six fois de suite, pour le « 1/4h lecture » organisé au collège (2). Mais si Selma n’a pas de livre, c’est peut-être parce que… elle n’a pas de livre ? Comme ces autres élèves punis pour ne pas avoir fait leurs devoirs, l’Ecole flingue les enfants déjà blessés…
A la maison, j’appelle les responsables de stage des 3e dont je suis référent. On me confirme : tout se passe bien ! Même les garçons « fragiles » au collège sont impeccables. Je ne suis pas surpris : dès qu’ils sortent de la classe, les ados redeviennent vite curieux et attentifs.
Et j’ai enfin du temps pour préparer mes cours ! Notamment la reprise avec les 3e. La semaine dernière, ils m’ont donné des idées « pour-que-ce-soit-mieux ». Alors je tente quelques innovations. Pardon ? Oui, toi, au fond de la salle ? Quoi comme innovation par exemple ? Et bien tu verras lundi. Curieux, va.
Jeudi 4 décembre – Musique : comme hier, mais avec d’autres classes
En 4e, on finit le tableau sur la Bastille. C’est long, mais nécessaire pour apprendre vraiment. Je rappelle Lina au tableau : remontre-moi ton découpage vertical. Elle fait.
- Je : alors, pourquoi tu as découpé comme ça ?
- Elle : ben, je sais pas, j’y arrivais pas en horizontal, alors…
- Je : bon, et maintenant qu’ils sont là, tu mets quoi dans chaque bloc ?
- Elle : ben, je sais pas, j’ai fait comme ça un peu au pif…
- Je (me marre) : donc tu as découpé sans savoir pourquoi ?
- Elle (se marre) : oui !
Elle retourne s’asseoir, et je lui explique que grâce à elle j’ai compris que ce tableau pouvait effectivement être découpé en 9 parties : 3 de haut en bas mais aussi 3 de gauche à droite. Donc 9 cases en tout. Là, c’est moi qui ai appris. Je remercie Lina. Elle rougit, sourit, se tasse. Ça doit vouloir dire qu’elle est contente.
Pour les achever, je leur fais écouter comment mon fils de 7 ans a décrit l’image (je l’ai enregistré hier soir). Il ne dit pas grand-chose évidemment, mais j’entends quand même Abdel souffler : « merde, il a dit deux fois plus que moi ! »
Fin des cours à 11h30, reste de la journée libre. J’avance encore mes cours. Je peux prendre du recul, me projeter sur le long terme, évacuer presque toute la « todolist urgente ». Je commence presque à m’amuser, tiens !
Vendredi 5 décembre – Musique : Bonne Nouvelle (Aston Villa)
Je n’ai que 4h de cours, mais je sors quand même épuisé. C’est la faute aux 5e, qui m’achèvent. On parle des empires romains, puis du début de l’empire musulman au VIIe siècle. Arrivent les prophètes, Abraham, Moïse, Jésus, Mohammed, et là, certains de mes petits musulmans sont paumés. Vraiment.
- Mais monsieur, Jésus-Christ, il est musulman !
- Mais monsieur, le Coran c’est la parole de Dieu, il a été écrit par Dieu !
- Mais monsieur, la Terre elle a été créée par Dieu, elle ne peut pas avoir 4 milliards et demi d’années !
On y passe 20 minutes. J’explique, je dessine au tableau, je sue à grosses gouttes (intellectuelles), je raconte la différence entre la foi et la science, et que les deux peuvent cohabiter, mais j’ai au moins un gars et une fille qui restent ébahis. Choqués ? Peut-être. Sonnerie, on se dit au revoir…
C’est l’heure du bilan de la semaine !
1/ Imran, dont on a reçu les parents la semaine dernière, a toujours un comportement exemplaire. Du jour au lendemain, on ne le reconnait plus ! On tient le bon bout.
2/ J’ai vraiment pu faire mon boulot. Sans galoper, ni m’épuiser, ni patauger dans le médiocre de l’urgence permanente. Et j’ai pas glandé, hein ! J’ai bien fait mes 40 heures, au moins ! Mais voilà : je n’ai été que 13h devant les élèves.
Samedi 6 – Dimanche 7 décembre
Je ne peux pas en rester là avec les 5e. J’achète un numéro de L’Histoire sur le prophète Mohammed, pour apprendre encore. Je revois un documentaire d’Arte sur l’histoire du Coran. Je le montrerai aux élèves dès lundi (en coupant certains passages). Je dois exploiter leur ébahissement, neutraliser leur choc, les faire méditer sur leur croyance, qui n’est pas incompatible avec les faits…
Pour eux, et pour les 3e aussi, ce dimanche, je travaille encore. Tant pis. J’ai le temps, et ça me fait plaisir.
Ça change tout !