Samedi 30 – Dimanche 31 août
Vendredi soir, j’ai discuté avec une amie, qui ne comprend pas comment les profs en arrivent à bosser tous les weekends, même celui avant la rentrée. Et pourtant si. Parfois c’est juste des bricoles, mais il y a toujours. Par exemple, je n’ai appris que ce même vendredi (le 29), pendant la pré-rentrée, que je bossais lundi (le 1er) pour l’accueil des 6e. Il faut donc au moins préparer ça… entre vendredi soir et lundi matin.
La collègue qui gère les codes informatiques, elle, a besoin de la liste des élèves pour toutes les classes, or elle n’y a pas encore accès. On lui envoie en urgence, samedi, les listes de nos classes. La CPE nous envoie encore des infos de dernière minute samedi à 23h. Oui, on devrait tous se mettre au repos le soir et le weekend. Dans un monde idéal.
Lundi 1er septembre
Les 6e rentrent aujourd’hui. Ils ont le collège rien que pour eux pendant deux jours. Au menu : ateliers de découverte de l’établissement, activités ludiques, découverte de leur nouveau « métier » (on utilise vraiment ce mot). On sent déjà l’ambiance : il y a des filles sages qui lèvent le doigt, et des garçons qui font les andouilles.
Le collège se remet doucement en route, comme un immense moteur diesel par un froid matin d’hiver. Personne n’est vraiment réveillé, ni les enfants ni les adultes… et le ministère ?
Je croise la CPE dans un couloir : dis, madame, la semaine dernière la Ministre a fait quelques annonces qui m’ont fait lever un sourcil (le droit, je crois).
- Moi: Parait que les portables sont interdits, les élèves devront les déposer à l’entrée du collège ?
- Elle: Alors non, on va pas le faire, en tout cas pas tout de suite. Aucun collège n’a les moyens d’acheter des casiers sécurisés pour 500 téléphones, par exemple.
- Moi: Ah. Et il parait qu’il n’y aura plus de mise à jour de l’ENT et de Pronote le soir après 20h et le weekend ?
- Elle (je devine un sourire): Ici, on n’en a même pas parlé, et je vois pas comment ça serait possible.
Des annonces qui n’annonceraient rien ? J’en suis sur la fesse (droite, aussi). Je vous tiendrai au courant si ça bouge (les mesures, pas ma fesse).
Mardi 2 septembre
Je suis chez moi aujourd’hui, et je tourne en rond comme un taureau avant la corrida. Il va falloir que ça commence ! A force, on a envie d’y être ! Retrouver les petits, l’ambiance vivante, souvent débordante et joyeuse (si si) des 700 enfants en communauté… Des semaines que je pense à la rentrée, des jours que je la prépare, alors bon, elle ouvre cette arène ?
J’imprime mes listes d’élèves par classe ; je file des infos sur mes anciens élèves à leurs nouvelles profs principales (que des femmes, encore et toujours) ; je vérifie qui a une dyslexie, un handicap ; je vérifie que tout est prêt pour Dounia (1), mon élève non voyante. Et je refais le tour de ma cage, en savourant aussi mon dernier jour sans banderilles.
Mercredi 3 septembre
Voilà ! On y est ! LA rentrée, la vraie ! J’ai dormi environ 4h17, j’ai rêvé du collège et des gamins, et je m’autorise un café pour avoir au moins l’impression d’être debout. En route ! Devant le collège, je croise deux de mes ex-4e, leur annonce qu’on va se revoir cette année, elles sourient grand comme une baleine en manque de krill. La journée commence bien.
Derrière le portail, ça effervesce : les petits se sont rués sur les listes des classes, car ils ont TROIS questions VITALES !!!
1/ Est-ce que je suis avec mes copains, mes copines ?
2/ C’est qui mes profs ?
3/ C’est quoi l’emploi du temps ?
Je passe deux heures avec la classe de 4e dont je suis prof principal. Explications sur l’année à venir, rappels des règles, documents à lire, coller, remplir… Je retrouve quatre garçons ex-5e que j’aime bien, et je sais que c’est réciproque. Tous les autres me sont nouveaux, ça promet de jolies découvertes. Je retiens les 30 prénoms en moins de 2h, rien que pour leur montrer qu’ils m’intéressent.
Ils devaient être que 29, mais il y a un nouvel inscrit. Ma salle contient 30 places, et toutes les classes de 4e et de 3e sont à 30 élèves. Blindé ! Où s’assoit l’AESH qui accompagne Dounia et 2 autres élèves ? Sur une chaise, dans le passage entre les tables. On est bien.
Jeudi 4 septembre
Je retrouve en 3e pas mal d’élèves que j’avais en 4e. Pour les nouveaux, je pose les bases : mon but c’est d’être très gentil, mais je serai intraitable. Et je fais en sorte qu’ils voient très vite le gentil et l’intraitable. Avec nos classes comme des boites de sardines, c’est quasi obligatoire. C’est triste comme un discours de Bayrou, mais pas le choix, au moins au début.
Déjà, dans ma classe ils n’auront ni devoirs à la maison, ni contrôles surprises, ni leçons à écrire, ils sortiront toujours à l’heure, et il y a de la musique quand ils entrent, même qu’ils peuvent en proposer.
- Monsieur, on peut proposer des chansons avec des gros mots ?
- De toute façon, vous les connaissez déjà ?
- Ben oui.
- Voilà. Donc on va gagner du temps.
- (Sourire collectif)
Vendredi 5 septembre
Avec une collègue, on passe une heure en salle info pour aider une classe de 6e à changer leurs mots de passe. Vous voyez la caricature de la salle info au collège ? Et ben, ça. « Non, n’allumez pas encore l’écran », « Madame, on fait quoi après ? », « Monsieur, mon écran il s’allume pas », « Alors, pour écrire en majuscules, vous appuyez sur… », « Madame, sur quoi ? C’est où la touche ? », « Attends, bouge pas, j’arrive », « Monsieur… », « Eh, monsieur… », « Mais monsieur… », « Monsieur… »… Et ce (biiiip) de moteur de recherche Qwant, obligatoire parce que Google pas sécurisé (mais on l’utilise tous), qui bugue au stade où il vérifie qu’on n’est pas des robots. Même un robot aurait fini par s’énerver !
En une heure, environ la moitié des élèves ont réussi à allumer l’ordi, entrer identifiant et mot de passe, ouvrir un navigateur, se connecter sur une page, entre un autre couple de connexion, et créer un nouveau mot de passe.
Vive l’école !
En 4e, Inès (1) que j’avais en 5e me demande tout de suite si elle peut réserver une place avec moi en 3e. J’ai envie de lui faire un câlin, mais c’est interdit.
On remplit des cartes de géo avec les 3e. J’ai droit à Nice placé à Rennes, la Réunion en Corse, et les Pays-Bas en Andorre. Je me félicite d’avoir repris les bases !
Avec les 5e, dès la 1ère heure ils m’interrogent pendant 20 minutes sur le PIB, le PIB par habitant, et les pays riches. J’avais oublié à quel point c’est curieux, un enfant…
(1) Tous les prénoms sont modifiés