Lundi 3 novembre – Musique d’entrée en classe : Je porte plainte (Tunisiano, proposition d’élève)
Retour de vacances ! J’arrive une heure avant le début des cours pour une belle pile de photocopies : les éval des 3e, qui font leur rentrée avec ça (je leur dis pardon) ; et pour le projet que je lance avec les 5e, toutes les leçons de tout le programme d’histoire (17 pages x 26 élèves, recto verso), plus tous les documents annexes. Je veux agrafer les leçons, mais la photocopieuse est en rade d’agrafes et je ne sais pas comment renflouer cette machine un tout petit peu plus petite que l’arche de la Défense.
Je lance donc le projet avec mes 5e. J’y pense depuis des mois, j’y ai bossé une semaine pendant les vacances, c’est l’heure de vérité. J’annonce :
- Les enfants ! (regards attentifs desdits enfants)
- On va voir tout le programme d’histoire d’un seul coup ! (regards curieux)
- Et votre boulot, ça va être… (appréhensifs)
- D’écrire une pièce de théâtre… (ébahis)
- Qu’ensuite vous jouerez… (effarés)
- Devant les autres classes ! (je les perds ; Houston, on a un problème)
Je laisse passer l’orage, les cris sans chuchotements, les envolées lyriques, le gars qui veut déjà se déguiser en Viking, les questions en feux d’artifice, je précise, réponds, souvent « je sais pas ». J’assume : on se lance, et on verra après. Pour aujourd’hui je donne la constitution des groupes, on tire au sort leurs thèmes de travail. Je crois qu’ils me suivent.
Agrandissement : Illustration 1
Quant à moi je sors du collège et de 6h de cours avec une petite liste de trucs à faire pour… idéalement, demain. Je vous montre mes notes, bien cryptées, j’ai pris des cours avec un graphologue pour médecin. Lister les élèves absents aux éval, pour rattrapage ; relancer une procédure « phare » (harcèlement) ; noter les dates des réunions de mi-semestre ; demander à une collègue comment les élèves accèdent à leur parcours Pix ; reprendre l’orga des rencontres entre nos 3e et les anciens élèves ; imprimer un doc pour une élève, plus tous ceux donnés depuis le début de l’année pour une 4e qui vient d’arriver, plus ceux qui manquent encore aux 5e, plus le barème de l’éval des 3e , plus les prochains docs pour les 3e et les 4e ; apporter mon agrafeuse et des agrafes ; envoyer un document urgent à la cheffe ; vérifier que les punitions que j’ai demandées ont bien été faites et en informer Pronote ; regarder les notes qu’ont eues les 3e au brevet, la cheffe m’a enfin envoyé le fichier ; préparer le fichier Excel pour l’évaluation du travail en groupes des 5e ; lister les vidéos que je dois montrer aux 3e sur la 1e Guerre ; renouveler mon stock d’encre pour les feutres ; faire écrire « relire la leçon » aux 3e, j’ai oublié ; faire le bilan des points que les élèves ont récupérés aujourd’hui ; me noter de demander leur punition à 2 élèves, vendredi.
Il est 22h, j’ai presque tout fait.
Mardi 4 novembre – Musique : Pow Pow (Jul, proposition de lecteur)
Ça excite pas mal les élèves, Jul : il y en a qui dansent, d’autres qui se marrent…
Je propose aux 4e un jeu en groupes : des questions, chaque bonne réponse vaut « +1 », une mauvaise coûte « -1 ». Le moment le plus drôle, c’a été le comptage des points. Paumés, ils étaient !
D’autres 4e étudient des textes pour ou contre l’esclavage, dont un de Montesquieu qui ironise en faisant semblant d’être pour. Chaque année ça marche, chaque année la plupart des élèves le prennent pour un bon vieux raciste. J’illustre le concept d’ironie avec quelques phrases à la volée :
- L’esclavage, c’est cool !
- Les Blancs sont mieux que les Noirs, c’est vrai !
- Vous êtes des gros nuls !
Ils progressent vite : à la 3ème ils se font plus avoir. Je prends le risque que certains restent coincés au 1er degré, je sais. Mais il faut bien qu’ils explorent le 2ème.
Chez moi, c’est ChatGPT que j’explore, pour la 1ère fois. Suggéré par une collègue : ça fait aussi des descriptions d’images, pour notre élève non-voyante. Mais oui ! Mais bien sûr !! Et ça retranscrit même le texte qui est écrit dessous ! Plus besoin de le recopier « à la main » ! Subitement, j’atténue un poil (voire trois) mon handicap technologique chronique… Avec plein de points d’exclamation, tellement je. (1)
Mercredi 5 novembre
Correction des copies d’une classe de 3e. Pour la première fois de ma (courte) carrière, deux élèves ont 0/20. En tout, sept ont moins de 5. Alors qu’un tiers a plus de 15. Je désempare comme une poule qui a trouvé un coquetier. Je ne peux pas. Des notes aussi basses. Pas supportable. Je réfléchis…
Jeudi 6 novembre – Musique : Imagine (John Lennon, proposition de lecteur)
J’ai trouvé. Je réunis mes 7 élèves à moins de 5/20 : « demain je rends les éval, on fait la correction, et lundi vous la refaites. La même ! Et comme note, vous aurez soit la 2ème note, soit la moyenne des deux. OK ? » Ils ont la mine basse (ils savent qu’ils ont raté), ils disent merci des yeux et de la voix. Je sais que d’autres collègues font ça, offrir une 2e chance. Avec des résultats pas toujours meilleurs. Je vous dirai.
Dans un groupe de 4e, ils s’accusent mutuellement de racisme. Je continue la découverte de l’humour 2nd degré.
- Théo (2) (à ses copains): personne n’est raciste, ici !
- Moi (à Théo): si, moi !
Théo se fige, me regarde comme une poule qui a trouvé un coquetier à l’envers. Il bugue, littéralement. Ses copains se marrent, et après 3 secondes lui aussi. Ouf !
Kelya (2) a proposé qu’on écoute la chanson Célibataire Polygame. Le titre m’a interpelé, alors j’ai écouté, lu les paroles : tout à fait dégueulasse ! Apologie de la soumission féminine, sexualité vulgaire, je lui dis qu’on n’écoutera pas en classe. Elle avait compris la connotation sexuelle, pas le dégueu ni la soumission. Je lui aurai au moins appris ça.
Dans le même style, en 3e je profite d’un texte sur les déportations pendant la 1ère Guerre Mondiale pour parler du viol systématique des femmes pendant les guerres, puis du viol tout court, et de la loi toute neuve qui introduit enfin la notion de non consentement dans sa définition. En gros : maintenant, si la personne ne montre pas clairement que oui, alors ça veut dire non.
Je leur aurai au moins appris ça.
Vendredi 7 novembre – Musique : M.I.A. (Katseye, proposition d’élève)
Deux passionnants débats sont en vigueur, dans la salle des profs, cette semaine.
1/ Le parking est trop petit, alors on n’a pas assez de places, surtout quand il pleut et que tout le monde vient en bagnole. Et pis les gens d’à côté se garent aussi sur « notre » parking, sauf que – la mairie confirme – le parking n’est pas privé…
2/ Des gens de l’administration (au rez-de-chaussée) râlent car on (les profs) utilise parfois « leur » photocopieuse alors qu’on en a déjà deux « pour nous » à l’étage. Des gens en sont quasi à se fâcher à cause de ça.
Qu’est-ce qu’on rigole.
Je retourne voir les petits, tiens.
Kelya me demande si elle peut continuer à écouter Célibataire Polygame. Je ne peux ni veux lui interdire. Mais au moins elle se pose la question. C’est un progrès, non ?
Les 5e commencent leur travail en groupes pour le projet histoire-théâtre. Je pose les règles de discipline, j’en fusille deux pour l’exemple et la séance devient calme, sérieuse, appliquée. Je ne m’attendais pas à aussi bien. Je suis content d’eux : penser à leur dire, dès lundi.
(1) J’ai pas oublié de mots, c’est fait exprès.
(2) Tous les prénoms sont modifiés