Lundi 3 mars – Musique d’entrée : Maria Yankovskaya & Betsy, Sigma Boy (proposition d’élève)
C’est marrant, avant la rentrée, des proches m’ont dit « bon courage ». Alors que ça va, merci, pas besoin : je suis content de retrouver les enfants ! Et le jour où je le serai plus, je partirai peut-être, avant de devenir aigri, méchant.
Un élève m’a demandé de passer en classe la chanson-virale-tiktok-des-jeunes « Sigma Boy ». C’est chanté par deux petites filles russes de 11 et 12 ans, et j’ai découvert que la chanson soulève critiques : elle transmet des valeurs patriarcales et l’idée d’une femme (de 11 ans !) dont le rôle est de séduire l’homme. Regardez la vidéo, vous allez comprendre.
Alors bon. Je mets la musique, bien fort. Les élèves se marrent, c’est la rentrée, le prof passe une chanson rigolote… Une fois au calme, j’attaque :
- Qui connaissait cette chanson ? Trois quarts de classe lèvent la main, en se marrant
- Qui savait que c’est chanté par 2 filles de 11 et 12 ans ? Les mêmes trois quarts, rigolent toujours
- Qui savait qu’elles sont habillées en minijupe et crop top ? Un peu moins de trois quarts, ça pouffe moins
- Qui savait que la chanson, les paroles, la choré, les vêtements, tout là-dedans raconte que les filles sont juste bonnes à être jolies et à attirer le regard des hommes ? Ça pouffe plus ; au fond à droite y’a même un « oh merde »
Maintenant que j’ai bien pété l’ambiance, on parle soumission de la femme, hypersexualisation des jeunes filles, image de la femme en général. Ha haaa ! Ça change des vacances au ski, hein ?
Avec une classe de 4ème, d’une carte sur le tourisme mondial, banale comme un film de Noël en décembre, on divague sur l’actu géopolitique. La guerre en Ukraine, ça les travaille vraiment. Ils ont encore besoin d’en parler. Et pourquoi on aide l’Ukraine ? Et va y avoir une 3ème guerre mondiale ? Et c’est qui, Poutine, en fait ? On y passe une demi-heure.
Mardi 4 mars – Musique d’entrée : Maria Yankovskaya & Betsy, Sigma Boy
Oui, c’est la même musique : je la fais écouter aux classes que j’ai pas eues hier.
Les 4ème, toujours, devaient fabriquer une affiche (en format numérique) sur le tourisme au Costa Rica. A partir d’infos trouvées dans des documents précis. A finir pendant les vacances (pour une fois, j’ai donné des devoirs). Surprise : certains ont (presque) tout pompé sur Internet, voire sur un outil d’intelligence artificielle. Et ils sont surpris que je l’aie vu !
Karim (1), « ben ouais m’sieur, j’ai trouvé sur Google ! », ne comprend pas qu’Internet, c’est triché.
Colin (1), « ben… je m’suis fait un peu aider par mon père », ne me regarde pas dans les yeux quand je répète « un peu ? par ton père, t’es sûr ? »
C’est donc acté : avec l’IA, on ne peut vraiment plus RIEN leur demander à la maison.
Les gamins que je viens de prendre la main dans le circuit imprimé ont la trouille. Je les fais mariner un peu : alors, je donne quoi, comme punition ? Silence arctique en salle. Ils regardent même pas leurs chaussures, mais directement l’étage en dessous. Zéro ? Appel aux parents ? Deux heures de colle ? Tout ça en même temps ?
Bon… Alors maintenant que vous avez compris que vous avez fait une connerie, cette affiche, vous la refaites pour vendredi. Et que ça saute.
Eux : « merci monsieur !! »
Mercredi 5 mars – Musique : The Old Dead Tree
Préparer les cours pour la fin de semaine : fastoche. J’avais préparé le plus gros pendant les vacances.
Par contre j’avais vraiment le cerveau en vacances : ce matin je me rends compte que, contrairement à ce que je croyais, j’ai pas fini de préparer la grosse séquence de géo pour les 3ème. Il reste presque rien, mais je me suis quand même arrêté à 10 mètres de la ligne d’arrivée.
Bon. Je me traite de courge, je remets le nez là-dedans jusqu’aux oreilles, pour la 35ème fois, j’en ai ras le bol !
Une heure plus tard, c’est terminé, et je me re-courge pendant la pause déca. L’an prochain je leur ferai recopier le manuel, tiens. Ça me reposera (2).
Jeudi 6 mars – Musique d’entrée : Angie Robba, Rouge (proposition d’élève)
Après avoir montré qu’un prof repère la triche aussi vite qu’un huissier vous débarrasse d’un salon Ikea, je montre en direct qu’on peut aussi vérifier l’origine d’une photo. Merde (se disent-ils), le prof aussi il connait Internet !
Les classes de 3ème sont autour de 30 élèves. Mais dans une des miennes, ils sont une vingtaine seulement, à chaque cours. Absences régulières pour maladie, pour ras-le bol, et 4 ou 5 sont en vrai décrochage. Certaines filles sont pas venues depuis octobre, quasi. Et on n’a pas de solution. On les perd. On les a perdus. La prof principal est désespérée, impuissante, comme nous tous.
Par contre, faire évaluer les oraux de groupes par les autres groupes d’élèves, ça marche ! Ça les motive, ça les concentre, ça leur fait comprendre ce qu’est un « bon » boulot. Après les 3ème et les 4ème, les 5ème vont bientôt y passer. Pour eux ce sera plus rigolo : ils devront raconter une petite histoire devant un « roi » et une « reine », tirés au sort dans la classe. J’ai trouvé une boulangerie qui a encore des couronnes en papier de la galette des rois. En général, les petits sont morts de rire, ou morts de honte, souvent les deux à la fois. J’ai hâte ! Mais personne ne sera maltraité, z’inquiétez pas.
Vendredi 7 mars – Musique d’entrée : The Pogues, Boys From the County Hell
En milieu de semaine, l’Europe a annoncé qu’elle va muscler sa Défense, pour assurer sa sécurité maintenant que Trump leur a fait un bras d’honneur. Ça n’a pas échappé aux enfants. Aujourd’hui, une 3ème (terrorisée) et un 5ème (curieux) reviennent à la charge : « Monsieur, mais va y avoir la guerre ? ».
Sujet très compliqué, déjà pour des adultes, alors pour des enfants… Je fais de mon mieux, je sais pas ce qu’ils retiendront. Mais j’y passe du temps : ça les questionne, les inquiète vraiment. Et c’est dur de les rassurer ! Parce que tout le monde est inquiet, personne ne sait comment le vent va tourner, même Macron, même Trump. Mais a priori la guerre en France est peu probable.
Je suis pas sûr que ce soit cette dernière phrase qu’ils retiennent…
En 4ème, on continue les présentations orales sur le tourisme au Costa Rica. En fin de journée je suis épuisé, eux sont pas en bon état non plus, alors on lâche la pression et on se marre : ceux au tableau, le public dans la salle, moi au fond. Ça fait du bien. En plus, on s’en fout, on a fait l’essentiel : ils ont bossé, et ils ont vu que tricher ça se voit. Sujet suivant !
(1) Tous les prénoms sont modifiés.
(2) Non mais je déconne, hein !