Lundi 6 janvier 2025 – Pas de musique, pour une fois.
Rentrée ! Les vacances de Noël ont sauvagement fait oublier l’école. Début à 9h, pour moi comme pour les 4e en face, tout le monde à 6 de tension, égalité balle au centre. Ils s’installent selon le nouveau plan de classe. J’ai oublié que tout au fond Icham (1) voit mal, je le cale au 1er rang à la place d’Ilies (1) qui de toute façon commençait déjà à faire l’andouille avec son voisin derrière. Salma (1) me remercie : elle a rêvé toutes les vacances d’être placée seule au fond, elle y est, j’ai pas fait exprès, moi qui craignais qu’elle le prenne pour une punition…
Fin des « questions libres » commencée avant les vacances.
- C’est quoi un trou noir ? Il y a de la vie ailleurs que sur Terre ? (J’explique, je m’amuse)
- Pourquoi les Français prennent les Musulmans comme une menace ? (Et merde… Allez on reprend, et déjà arrêtez de regarder CNews)
- Vous avez déjà dit du mal de notre classe, d’un élève ? (Non, je m’y refuse, parce que je vous aime tous et parce que je sais que tout ça, finalement, c’est pas votre faute)
- Vous faites ce métier depuis longtemps ? (Je raconte mes changements de métier, au moins ils savent qu’on peut le faire)
Bon, à la fin j’en ai quand même toujours un qui veut être dictateur.
Une classe de 3ème met le bronx comme rarement. Ce qui a changé ? Je leur ai proposé pour cette fois de s’asseoir avec qui ils voulaient. Quel con ! J’en ris encore.
Un groupe passe à l’oral, c’est encore moyen, donc je suis déçu de mon travail. J’oublie toujours à quel point ils en savent peu. On en parle avec une collègue (si si, ça arrive) : contenu des apprentissages inadapté, on rêve d’une matière à part, dédiée aux outils numériques et informatiques, par exemple.
4h de cours aujourd’hui, mais tatata, j’ai pas chômé : photocopies, recollage d’une carte au mur, préparation de la journée de demain, correction de copies… Et toujours 20 minutes pour déjeuner, et toujours 1h de boulot le soir entre 21h et 22h.
Journée de travail : 8h30
Mardi 7 janvier – Musique d’entrée en classe : Scott McKenzie, San Francisco
J’adore cette chanson, emblème des hippies. Je le raconte aux petits. Par contre ça fait 3 jours que je l’ai en tête, mais ça vaut mieux que les Lacs du Connemara.
Leçon sur la 1ère Guerre en 3e : j’explique les obus, les explosions, les éclats, les gueules cassées, images à l’appui, c’est très moche. Mais ils voient que la guerre, c’est pas un jeu vidéo.
Un 4ème, on parle de racisme, lève le doigt : « Mais monsieur, si y’a toujours du racisme, en fait c’est un échec de l’éducation, de l’école ? » Lui, il a levé le doigt pour le mettre là où ça fait mal ! Je lui réponds… (je prends deux secondes…) qu’il a raison. Et que ça montre surtout que l’école ne change pas grand-chose à l’éducation, qui se joue surtout dans les familles. Et que l’école ne leur apprend donc pas ce qu’ils ont besoin d’apprendre.
C’est marrant comme, dans ces moments-là, tout le monde écoute le prof ! (2)
En 5ème, on passe sans le faire exprès du harcèlement à l’inceste. La moitié ne connaissent pas. On y va… et ils sont effarés. Pensaient pas le truc possible. Mais il y en a fatalement parmi eux qui ont été, sont ou seront concernés. Et ça par contre, personne l’a écrit dans les programmes.
En fin de journée, je recroise quelques 5ème au portail :
- Mais monsieur, si deux jumeaux ont un enfant ensemble, ça fait un 3e jumeau ?
- Mais monsieur, imaginons deux animaux… un goéland et une autruche… ils peuvent faire des enfants ?
On se marre. Ça fait du bien, de retrouver les enfants.
Journée de travail : 7h30
Mercredi 8 janvier – Musique : Radiohead
La charge de travail est un peu calme cette semaine… Trop calme… J’aime pas trop beaucoup ça…
Le prochain chapitre avec les 5ème est déjà bien ficelé depuis deux ans, mais je m’auto-ficelle pour ne rien changer (c’est toujours tentant). En 3ème, pareil : juste une éval à préparer, je reprends les infos de l’an dernier, je mélange, 1/3 de guerre mondiale, 1/3 de totalitarisme, 1/3 de vodka, servez frais.
Je prépare toutes les photocopies à faire demain. J’ose à peine les compter. Je vais les compter. Même pas peur. C’est un des aspects désespérants du système : on noie les enfants sous des savoirs (déjà, ça…) et ils les écrivent le moins possible car c’est pédagogiquement sans intérêt, et en plus, vu comment certains écrivent, et à quelle vitesse… Donc (rayez les verbes inutiles) on bouffe, gâche, imprime, disperse, ventile, maroufle des pages par millions.
Allez, je refais les plans de classe des 3ème, ça fera pas de mal de brasser un peu. Un peu comme une dissolution, mais en moins dangereux : on réélit pas tous les élèves. On les dissout pas non plus, notez. C’est dommage.
Journée de travail : 4h (et c’est pas désagréable)
Jeudi 9 janvier – Musique d’entrée en classe : Ariis, Funk to Bounce (proposition d’élève)
Toutes mes classes m’ont demandé quelle était ma classe préférée. Je leur ai répondu (et c’est vrai) que aucune. Mais les 4e de ce matin sont spéciaux : c’est une classe su-per-cool. Et je leur explique : pas un(e) élève, parmi eux, ne perturbe la classe, le travail ou les autres. Ambiance idéale : détendue, studieuse, curieuse et drôle. Du pur plaisir parce que, là, je peux baisser le qui-vive. Or le qui-vive, en classe, c’est ce qui épuise.
Un groupe de 3ème fait un super oral. Ah ! Faut dire que dans le groupe, il y a Imran (1) qui pourrait être en 1ère sans que ça ne choque personne.
Je compte les photocopies : 463 pages. Et encore, il y a parfois plusieurs documents sur une même page.
Journée de travail : 4h (je prends, je sais que ça durera pas)
Vendredi 10 janvier – Musique d’entrée en classe : Frank Ocean, Trouble (proposition d’élève)
En EMC avec les 4ème, on attaque les réseaux sociaux. J’adore quand ils me racontent tout ce qu’ils font ou pourraient faire dessus. J’apprends les mots « becter », « faire des flammes », et je me marre à les voir s’engueuler joyeusement à coups de « mais non, ça veut pas dire ça ! ». Bien sûr, on retrouve, après les classiques regarder – partager – liker – poster : le trafic d’armes et de drogue, gagner de l’argent avec des marques, et acheter une prostituée. Ils découvrent qu’envoyer un nude n’est pas interdit (3). Certains trouvent ça « dégueu », d’autres se doutent bien que c’est pas top sécure. Ouf.
En 5ème, début de géo sur la gestion des ressources. Après une vidéo sur le fleuve Colorado asséché en fin de parcours (il pourrait faire un effort, aussi, à 50 bornes près !), je leur lance le défi de trouver UN aliment (à part le sel) qui ne vienne pas d’une plante ou d’un animal. Gros moment de défoulement collectif ! Je perds la classe quand Elliott (1) lance : « le caca ». On est en 5ème, je rappelle. Et je re-perds la classe quand je précise que certains humains en mangent vraiment. Allez, bon weekend et bon appétit les enfants !
Journée de travail : 7h
Total sur la semaine : 31h.
Petite semaine, d’autant que j’ai pas bossé ce weekend.
Mais ça se paiera.
(1) Tous les prénoms sont modifiés
(2) Oui, un prof aussi, ça aime bien satisfaire son égo
(3) On parle VRAIMENT de tout, oui. En histoire géo, en SVT parfois, pendant des interventions de structures extérieures… Le collège sert aussi à ça, et ça fait partie de la « vraie » éducation ; enfin y’m’semble.