Lundi 8 septembre – Musique d’entrée en classe : Give a Little Bit (Supertramp). Hommage au chanteur décédé samedi
A la récré ce matin, une collègue dans la salle des profs :
- Dis donc, tes 4ème (ceux dont je suis prof principal), ils sont un peu agités, non ?
- Ah bon ? Pour le moment, je les trouve plutôt calmes. On va voir, je les ai juste après…
Et juste après, ils entrent en classe comme à la fête foraine. Je m’énerve, ils ressortent, je re-m’énerve, ils re-rentrent, silencieux comme… comme le chanteur de Supertramp, tiens.
Oui, bon, ils sont peut-être un peu agités.
Erica (1), en 5ème, enchaine les questions à un rythme de dingue. Jamais vu ça. Et on commence juste l’année ! Je la freine un peu, à contrecœur, sinon « on va faire le programme en 4 ans ». Elle rigole quand même.
Premier cours avec Theo, qui souffre d’un trouble de l’attention et de la gestion des émotions. En parallèle du collège, il est suivi en ITEP (Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique). Son max, me dit son AESH, c’est d’avoir jeté une chaise en plein cours. Sur un copain. Pour cette 1ère heure, sa chaise, il tient une heure dessus. Calme. Je brûle un cierge, au cas où.
Pendant ce même cours, une fille me demande si je suis souvent absent. Celle-là, on me l’avait jamais faite ! Et à la fin, un garçon me demande s’il peut changer de place, parce qu’il est à côté d’une fille. Dis donc, ils sont cordiaux là-dedans !
Mardi 9 septembre – Musique d’entrée : Another brick in the wall (Pink Floyd)
Le même garçon redemande à changer de place, il veut vraiment pas une fille. Je vais le surveiller, lui… Theo est toujours calme, il me rend même le billet de 20 euros que je lui ai passé pour expliquer la différence entre l’argent « objet » et l’argent virtuel. Ouf.
En 3e, je demande aux élèves comment leurs parents vont au travail. Bilan : 80% en voiture. Sur « l’usage quasi exclusif de la voiture individuelle dans les couronnes périurbaines », c’est bon, ils sont au point !
Pendant la pause déjeuner, réunion avec Dounia (mon élève non voyante), son AESH et la prof de braille qui coordonne son parcours. On organise son année et son travail en classe. Et j’hésite toujours sur les bienfaits de l’inclusion (excellente idée) sans les moyens adaptés : le temps qu’on prend « pour » Dounia, il n’est pas payé, et on n’est même pas formés. Il y a une journée prévue pour ça, mais je n’irai pas : c’est un mardi, avec une de mes rares demi-journées libres pour bosser chez moi. Si je la perds, je le paye cher.
Justement : je suis à la maison cet aprem. Pour avancer la préparation des cours ? Non. Je fais le bilan de la réunion Dounia, je prépare des documents adaptés pour elle, et je peaufine les 20 documents que je vais photocopier demain, juste pour finir le début d’année. Rien avancé de la suite. Il y a une vraie différence, pour un prof, entre « bosser » et « avancer » : on bosse beaucoup, mais on avance peu.
Mercredi 10 septembre
On recense nos premiers cas de gamins qui se font emmerder. L’un a craqué et a foutu son poing dans l’œil d’un autre. Je croise la mère du blessé qui sort de chez la CPE. Un autre est victime d’insultes grossophobes sur le groupe WhatsApp de sa classe. Il nous alerte, screenshots à l’appui. On déclenche deux procédures de prévention du harcèlement.
J’imprime, découpe, trie, range mes 20 documents du jour. 700 pages, une heure de boulot. Je rentre chez moi : je vais pouvoir… pouvoir… ? Oui ! Avancer ! Environ 4h, donc, en une semaine, pour vraiment préparer mes cours.
Jeudi 11 septembre – Musique d’entrée : Comment Faire (Rsko, proposition d’élève)
Une nouvelle classe rentre dans ma classe en mode supporters au Stade de France. Je redonne un coup de tournevis. Plus tard, des garçons tentent des regards, des sourires, des signes entre eux, d’un bout à l’autre de la salle. Je ressors le tournevis. Les ados cherchent la moindre faille, et s’ils la trouvent, c’est le waï en quelques minutes. Vraiment. Donc : outils de bricolage à portée de main.
Premier exercice de description d’image en 3ème.
Agrandissement : Illustration 1
- Rayan, tu vois quoi, là ?
- Ben… des habitations.
- C’est tout ?
- Alors : non… c’est quoi, comme habitations ?
- … ben, des maisons ?
- Ensuite ?
- Euh… ben…
- Les autres, baissez la main
- … ben… des routes ?
- Très bien. Quoi d’autre ?
- … ben… des arbres ?
- Tu vois ? Y’a pas que des maisons.
- Ah ouais.
Et on avance.
En 3ème encore, je retrouve Hadjer, qui a décroché l’an dernier, et redoublé. Depuis la rentrée elle est là chaque jour, motivée. Jusqu’à quand ?
Driss, lui, a quasi décroché en fin de 4e. Il trainait dans les couloirs, se foutait de tout. Depuis une semaine il est sérieux, présent, participe. Je le félicite à la fin du cours. Il a souri ! Jusqu’à quand ?
Vendredi 12 septembre – Musique d’entrée : Everybody wants to rule the world (Tears for Fears, proposition d’élève)
Comme prof principal, ma 1ère tâche est de dresser un état des lieux de mes élèves : les fragiles, les handicaps, les familles compliquées, les en pleine forme, les lunettes, les problèmes de poids… tous les trucs-à-savoir. Pour ça, je dois aller voir la CPE, aller voir l’infirmière, aller voir la secrétaire, lire les dossiers des élèves avec handicaps, lire le fichier rempli par les anciens profs principaux (quand ils l’ont fait). Aucune information centralisée. J’y ai passé trois heures cette semaine, et j’ai pas fini.
Ugo commence à faire l’andouille avec ses voisins. « Ugo, arrête », 1ère fois. « Ugo, arrête », 2ème fois. A la 3ème, il perd un point sur sa note de comportement. A la 4ème, je le change de place, tout seul au fond. Ahmed en profite pour prendre le relais-andouille. Juste avant que Naïm s’y colle. « Naïm, arrête », une fois… deux fois… Combien de temps leur faudra-t-il pour comprendre les limites ? Certains ne les comprennent jamais…
Je finis la semaine en demandant aux 5ème « de quoi on a besoin pour être heureux ». Réponses dans le désordre, non exhaustives mais véridiques : de l’argent, les chaussures qu’on veut, pas de frère et sœur, pratiquer sa religion, plein de stylos 4 couleurs, ça dépend (une élève bipolaire), des amis, être une star, bien travailler à l’école, ne pas aller à l’école, de l’eau, être beau ou belle, avoir un chat, vouloir être heureux (la même bipolaire).
Ladite bipolaire étant Erica, la même qui me bombardait de questions lundi. Aujourd’hui elle se retient. Elle part en weekend en me demandant si « elle a été sage ». Je lui réponds que poser des questions n’est pas un manque de sagesse. Et je pars en weekend en me disant :
1/ que merde, elle a cru qu’elle était pas sage !
2/ que je vais adorer travailler avec cette petite
(1) Tous les prénoms sont modifiés