Lundi 7 octobre – Musique d’entrée en classe : Hoshi, Neige sur le Sable (proposition d’élève)
Mattéo (1) est en 3e et il ne sait (vraiment !) pas écrire. A la main, n’en parlons pas. Et même à l’ordi, ça donne « les qonséquence de l’étalement urbain en France t que il y a pluse de pollution car des plus longe trget et de plus en pluse d’emboutaillage de la déforéstation de destruction de chat. » Et le gamin s’en sort ! Il connait à peu près la leçon, il a de bonnes réflexions, il doit tourner à 11-12 de moyenne. Il connait juste pas les codes graphiques de cette p…….. de langue française à s’arracher les poils de ……… (complétez les pointillés).
Je demande aux 3e, pour démarrer un chapitre : « Comment un pays peut gagner de l’argent ? » Léa (1) lance « le trafic de drogue ». Et c’est parti : « ouais m’sieur, la beuh, le shit, l’herbe ! La coke ! ». C’est désespérant, ils n’y connaissent rien. On reprend : l’herbe, c’est surtout les fleurs, et le shit c’est la résine. Toujours la plante cannabis. Dans les deux cas, on mélange à du tabac et ça fait un joint. Pardon ? Oui, j’ai déjà fumé, mais j’aime pas ça. On se marre. Et on a même pas fumé !
Mardi 8 octobre – Musique d’entrée en classe : ACDC, Thunderstruck
Les profs de musique, salle juste à côté de la mienne, laissent souvent leur porte ouverte. Ça égaye bien tout le couloir, surtout quand elles jouent à intervalles irréguliers la même séquence de piano de 6 secondes sur laquelle les élèves chantent faux. Là, si j’ai pas ma porte fermée, le piano je pourrais en faire de la sciure. J’ai entamé des négociations : "l’ennemi" semble aussi ouvert que ses portes. Elles sont drôles, les profs de musique.
Une autre collègue l'est moins, bien énervée en salle des profs.
- Elle : Tu sais pas ce qu’il a fait, Amir ? (1)
- Moi: Non…
- Elle : Je l’engueule, et il me dit « oui madame » avec un grand sourire, les bras dans le dos, genre je fais la révérence…
- Moi : Ah…
- Elle : Il se fout de ma gueule, en fait ?
- Moi : Oui, là il se fout de ta gueule.
- Elle: Mais il faut le casser en deux, celui-là !
Je m’amuse encore avec les 4e et l’esclavage au XVIIIe siècle. Je leur dis qu’eux aussi SONT des esclaves.
- Eux : Mais monsieur, c’est pas vrai !
- Moi: Attendez : est-ce que vous êtes libres ?
- Eux: Euh, non ?
- Moi: Est-ce que vous appartenez à quelqu’un ?
- Eux : Euh, oui, à nos parents ?
- Moi : Est-ce que vous avez choisi de bosser du français, de l’histoire-géo, des maths ?
- Eux : Euh, non…
- Moi : Et vous êtes payés pour ça ?
- Eux : (Un blanc) Mais on est des esclaves, en fait !
- Moi : Voilà.
Bien sûr, après, je nuance ; qu’ils aillent pas nous cramer le collège.
Mercredi 9 octobre
Coup de fil à la mère de Guillaume (1) qui souffre de Trouble Déficit de l’Attention avec Hyperactivité (TDAH). Il était intenable en 6e et 5e, maintenant sous traitement médical et c’est beaucoup mieux (en dehors du fait qu’il prend des cachetons). La rentrée se passe bien, il est calme, gentil, souriant. Il a toujours du mal à se concentrer, et la leçon ne rentre pas. Au moins, lui, on l’a détecté, diagnostiqué, accompagné.
Jeudi 10 octobre – Musique d’entrée en classe : Alexander Rybak, Fairytale (proposition d’élève)
Chapitre de 3e sur les espaces productifs en France. Ça parle agroalimentaire, engrais, industrie, délocalisation, innovation, mondialisation. Allez, on essaie de rigoler un peu quand même. On parle de leurs smartphones à 800 balles et de combien revient à l’ouvrier ? Je passe pour le vieux con, ils y tiennent tous à leur truc « trop classe » et aux « fonctionnalités géniales ». Sauf celle qui apprend à lire, apparemment.
On enlève nos chaussures pour savoir d’où elles viennent : comme je leur ai dit, surtout du Vietnam, mais aussi d’Indonésie, des Philippines, de Chine, d’Inde… Constat collatéral : ils ont plutôt des chaussettes propres. On rigole, ouf. Je leur parle de l’Europe qui augmente là, en ce moment, je l’ai entendu à la radio ce matin encore, les droits de douanes sur les bagnoles électriques chinoises. Et de la Chine qui fait pareil sur le cognac. Constat collatéral : même la géo, ça peut les fasciner.
Vendredi 11 octobre – Musique d’entrée en classe : The Cranberries, Zombie
De belles nouvelles, aujourd’hui !
Julie (1) n’est presque jamais venue au collège depuis le début de l’année. Phobie scolaire, elle a le teint blanc des enfants aux idées noires. Je l’ai vue deux fois, elle m’a expliqué avoir été malade, puis blessée. Un jour, elle s’est roulée par terre devant le collège, paniquée à s’en faire vomir.
Timothée (1) est addict aux jeux vidéo, sa mère ne peut plus le faire sortir de sa chambre sous peine de crises quasi nucléaires (le gamin sait peut-être craquer les codes, méfions-nous). Il faudrait l’hospitaliser en addictologie, à ce stade. Sa mère pourra-t-elle ? Evidemment, séparation en cours des parents, dans des conditions houleuses.
Eva (1) vient me voir à la récré. Elle a une timidité de niveau international. Sa démarche elle-même est donc un exploit. Mais je sais qu’elle a confiance en moi, c’est un des rares trucs dont je suis fier. Elle me dit son mal-être, ses pensées sombres. Une de ses amies est très malade, alors elle pense à la mort. Et puis elle s’engueule trop avec sa sœur. Voilà : j’ai ça sur les bras. Je lui promets de l’aider. J’en parle tout de suite à l’infirmière, et j’écris à la psy du collège.
Mais elle n’est là qu’un jour par semaine. Et on n’a qu’une infirmière, pas là tout le temps. Et une seule CPE pour 700 élèves. Dont combien sont en souffrance ?
Allez ! Et bon weekend !
(1) Tous les prénoms sont modifiés