Lundi 9 septembre
Une des filles qui m’a demandé à changer de place, parce que la voisine est vraiment pas une pote, me regarde fébrilement : j’y ai pensé ? Oui. Je lui montre où elle s’assoit maintenant. J’ai l’impression de lui sauver à moitié la vie.
Un téléphone sonne. Je suis censé le confisquer. Je pas (1). Droit à l’erreur. Mais juste une fois, hein ?
La sonnerie de fin de matinée est à 12h17. Ça re-sonne à 12h41. J’ai 24 minutes pour sortir de la salle, me laver les mains, déjeuner, remplir la bouteille d’eau, souffler 3 fois, faire pipi, me laver les mains, descendre dans la cour chercher les élèves. Que dit la loi ? La pause légale est de 20 minutes. Je suis large !
Avec plusieurs classes on remplit une carte des régions du monde : Afrique du nord, Asie du sud-est… C’est un peu technique. J’y vais touuuuut doucement. Pour mettre les élèves en confiance : oui, je sais que pour vous c’est dur.
Je suis en demi-classes avec les 3e aujourd’hui : 15 au lieu de 30. C’est si mieux qu’on finit avec 10 minutes d’avance. Je leur offre les 10 minutes. Ils sont sciés : « Monsieur, on fait plus rien, là ?? »
Mardi 10 septembre
Dans la « salle des personnels » (pour les profs et les AESH, qui accompagnent certains enfants), récré de 10h07. Une collègue annonce : « Ah, ce matin, Clément (2) je l’aurais emplâtré ! Complètement immature, il bavarde… chiant ! ». Parole défoulatoire récurrente... C'est la rentrée, et les profs sont déjà fatigués.
La fin de récré est à 10h22. Les élèves doivent (Sir, yes Sir !) tout de suite (Madam, yes Madam !) se mettre en rang. J’obéis aussi au signal. Je suis presque le seul : la plupart des collègues finissent le café, les discussions. C'est la rentrée, et les profs sont déjà fatigués...
Je fais colorier 4 fois dans la journée la carte des régions du monde. Je peux la faire les yeux fermés ! Je préviens quand même les 5e, en dernière heure, que je suis aussi crevé qu’eux. Ça les fait marrer, et ils se mettent à colorier comme s’il y avait une Switch à gagner.
Mercredi 11 septembre
Travail à la maison une bonne partie de la journée. La to do list est longue comme une file d’attente pour les billets du Hellfest. Je raye la liste autant que possible, sachant qu’elle se remplira aussi vite qu’un buveur du même Hellfest.
Et puis bien sûr, courses, ménage, rendez-vous, comme une bonne mère de famille. Je vais quand même prendre l’air et marcher une heure. Prof, c’est aussi un métier où on fait maison – voiture – bureau – voiture – maison. Enfermés.
Jeudi 12 septembre
Un élève a proposé d’écouter en classe « Everybody Wants to Rule the World », de Tears For Fears. La vache ! Il y a des collégiens qui écoutent de la musique de 85 ! S’il me parle de Desireless, je lui offre un Coca (zéro).
Je fais bosser les 3ème sur l’analyse de documents : décrivez le paysage pré-ci-sé-ment ! Vous voyez quoi, là ? « Euh… des maisons, une usine ? ». Bon. On a du boulot.
J’ai un weekend d’anniversaire bientôt, en région parisienne. Trajet compliqué pour y arriver, donc je pars dès le vendredi. Ca fait 4h de cours qui sautent, à replacer dans les emplois du temps. Je sens qu’on va se marrer, avec les chefs, pour trouver QUATRE pièces manquantes dans un puzzle 200 000 pièces.
Vendredi 13 septembre
Salle des personnels à la récré, je nous compte : 21 femmes, 3 hommes. Je ne m’étonne plus que des élèves m’appellent « madame ». Certaines collègues, on les appelle même « maman ».
Je discute avec l’une d’elle de Corentin (2), élève explosif qui s’énerve d’un coup puis devient tout triste. On cherche comment diminuer sa charge émotionnelle. Ça sert aussi à ça, la salle des profs.
En 4ème, Lise (2) ne se sent pas bien : emmerdée cette année, et déjà l’an dernier, par d’autres élèves. Certains sont dans sa classe. Une AESH me le confirme. La prof principale, la CPE, la direction sont alertés. Je fais partie du groupe de profs (volontaires et bénévoles bien sûr) en charge de la prévention du harcèlement. Voilà peut-être notre 1er cas de l’année.
Samedi 14 – Dimanche 15 septembre
On ne s’arrête pas, on reste chaud pour éviter le claquage ! Je prépare les prochains cours, je mets à jour les listes d’élèves (ça valse encore un peu les premiers jours), j’avance sur les contrôles et les chapitres à venir. Au moins un peu. Ce qui est fait n’est plus à faire. Le slogan rôde, jour et nuit : si t’es pas en avance, tu seras en retard.
(1) C’est pas une erreur, j’aime bien les ellipses
(2) Tous les prénoms sont modifiés