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Billet de blog 16 novembre 2024

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La vie quotidienne d'un prof - Semaine 9

A quel moment je fais le coeur de mon métier : préparer des cours ?

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Mardi 12 novembre – Musique d’entrée en classe : Iggy Pop, Lust For Life

     On n’a qu’une machine à café Senseo dans la salle des personnels. Et une Tassimo. On est plein à utiliser la Senseo, et les récrés c’est 15 minutes donc ça se bouscule. Les gens disent que ce serait chouette d’en avoir une 2e. Bonne idée ! L’amicale se charge de récupérer les cotisations, il en faudrait une trentaine. Elle n’en reçoit que 5. L’Amicale lâche l’affaire. On fera la queue. Ou on achètera des dosettes Tassimo.

     Sonnerie de fin de récré à 10h22. Sur le papier le cours commence à 10h25. Tu parles ! A cette heure-ci je marche encore au milieu de la cour avec ma horde de 4e. Et encore : je traine pas en salle des profs. A 10h27 les élèves commencent à entrer en classe. A 10h31 j’ai fini l’appel. Et encore : je le fais vite. Début de cours à 10h31, j’ai jusqu’à 11h20 sur le papier car un créneau c’est 55 minutes. Mais je m’arrête à 11h18 (et 13 secondes) pour que les élèves sortent à l’heure. Et encore : je fais pas le résumé du cours à la fin, me mettant hors-les-consignes de Paris. Parce que, bon, au bout d’une heure, les élèves (et moi) ne pensent qu’à se tirer d’ici. Et encore : pas une heure, un cours c’est donc 47 minutes.

     Et encore !! Je compte pas tous les moments du cours où je fais autre chose que le cours. La police, les consignes de l’activité du jour, le gendarme approche, le rappel des consignes, le rappel du rappel des consignes, distribution des documents, attente que tout le monde ait collé, distribution des manuels, le GIGN intervient, attente que tout le monde soit à la bonne page, rappel du rappel du rappel des consignes, et juste après entendre « monsieur, faut faire quoi ? », puis écarteler l’élève qui a demandé.

     Je voudrais réserver LA salle info du collège, pour une séance de recherches avec les 3e. Mais on n’a qu’UNE salle info pour 700 élèves. On ne peut la réserver que DEUX semaines en amont, MAXI ! Le créneau dont j’ai besoin est déjà pris. Je me démerde avec ça.

     Au self, un collègue de physique-chimie raconte qu’il voulait faire trouver à ses 4e un protocole pour mener une expérience, au lieu de leur donner tout fait. Mais c’est un échec, sauf pour les plus doués. On se demande, entre les betteraves et les pâtes au beurre, à qui la faute. Alors… Faute aux élèves qui bossent pas ? Au prof qui a fait trop compliqué ? Aux programmes trop exigeants ? Au bout d’un quart d’heure (y’avait beaucoup de betteraves) le collègue conclut : « ah ben oui mais alors là, faudrait couper les programmes en deux ! »

     Emma (1) fait toujours des crises d’angoisse, et elle prend des médocs contre les crises. Les autres se foutent de sa gueule aussi parce qu’elle fait des crises, maintenant. Je relance la CPE pour l’alerte rouge, qui se met enfin en branle. La CPE fait ce qu’elle peut, elle est seule et ils sont 700 (en ressenti, 1200).

Mercredi 13 novembre – Musique : Clutch, Calexico

     Je finis la correction de copies d’une classe de 4e. La moyenne est à 15,5/20 et deux filles ont eu 19,5-donc-20 (je mets jamais 19 et demi, c’est une note débile). Je suis content : ils ont bien bossé et j’adore mettre des bonnes notes. Car selon la règle couramment admise, les enfants ont des bonnes notes s’ils travaillent. Mais selon d'autres, les enfants travaillent s’ils ont des bonnes notes. Et je suis d'accord avec "d'autres".

     Je vous offre ce passage écrit par une élève de 13 ans : « Avant que je ne commence mon récit, ce qu’il vous faut savoir c’est que les hommes, qu’ils soient noirs ou blancs, sont pour la plupart mauvais et même s’ils vous parlent de croyances et de fraternité, ils n’en connaissent pas le sens. »

Des élèves comme ça, il y en a aussi. Et elles/eux non plus, on s’en occupe pas bien.

     La préparation du travail collectif des 3e me prend un temps fou. Là, je viens d’essayer d’envoyer par l’ENT des vidéos aux élèves, pour les aider à comprendre leurs sujets. Erreur ! 10 Mo max autorisés par fichier, et 30 Mo en tout. Je passe par Wetransfer, 8 fois pour les 8 groupes (je devrai le refaire pour ma 2e classe), avec chaque fois un message spécifique à chaque groupe. Sur l’ENT cette fois.

     Avec tout ça, j’espère que l’inspecteur me demandera pas si j’ai pris le temps de bien suivre les avancées de la recherche en géographie de la ségrégation socio-spatiale par le développement de la néoruralité.

Poil au nez.

Jeudi 14 novembre – Musique d’entrée en classe : Cat Stevens, Wild World

     Je commence à raconter la Révolution aux 4ème. Je crois que j’aime bien, raconter des histoires. Sur ce chapitre je me fais plaisir, en espérant qu’à eux aussi.

     Les 3ème avancent bien sur leur travail en groupes. Ils cherchent des infos, ils regardent les vidéos que je leur ai envoyées, ils fouillent Internet sur leurs smartphones (pour ça, ils ont le droit en classe). Il règne un grand calme studieux. Il y en a un qui bosse pas : avertissement, ensuite il perd un point. Il dit qu’il comprend pas, mais il fait semblant de pas comprendre : la preuve, il râle même pas.

     A 10h30, je suis chez moi :

  • Bilan de la matinée, sur l’ENT et pour moi
  • Finir de corriger les copies de 4ème, entrer les notes (et les compétences) sur Pronote, trier les copies pour les rendre aux élèves en circulant entre leurs tables dans l’ordre. Il me reste les copies des 3ème, et déjà une nouvelle éval mardi avec les 4ème
  • Echanges avec la maman de Jean (1), qui ne comprend pas pourquoi il a eu une punition pour absence totale de travail en classe, puis m’engueule parce que je la préviens qu’il a recommencé. Je note aussi qu’il a été absent aux 2 évaluations que j’ai faites. Tiens tiens… J’en parle à la maman, parce que je veux pas qu’il se sente mal en classe. Je demande aussi aux collègues comment ça se passe chez eux. Des fois qu’il serait pas bien d’une manière générale, le petit.
  • Préparer la sortie ciné des 3ème
  • Faire les groupes de travail pour une classe de 3ème
  • Allez chez le kiné, le genou, tout ça. Tiens, il fait beau, si j’allais marcher un peu ? Ah non, pas le temps
  • Préparer les cours de lundi (c’est toujours ça que les boches auront pas)
  • Préparer les prochains documents à imprimer : les éval des 4ème… Tiens ! J’ai oublié un truc sur chacun des… 6 sujets (3 classes donc 3 sujets classiques et 3 adaptés). Je m’auto-file des coups de pompe dans le derche (un prof se doit d’être masochiste ET souple)
  • Remplir quelques bulletins de mi-semestre, pour la réunion parents-profs
  • Faire le compte-rendu d’interviews d’élèves, pour le suivi d’un cas potentiel de harcèlement

     Il est 19h. Je viens de bosser presque 2 jours entiers chez moi, et je n’ai toujours pas « avancé » la préparation des cours. J’ai mal aux yeux à force d’écran, je me crois Jean-Paul Sartre. J’appelle Simone, elle répond pas. Tant pis, je ferai mon repassage moi-même.

Vendredi 15 novembre

     Formation toute la journée, sur comment et pourquoi évaluer les élèves. Je retire de la (demi) journée quelques informations précieuses :

  • Les pratiques d’évaluation mériteraient des heures de formation (qu’on n’a pas), de réflexion (qu’on n’a pas), de travail en équipe (qu’on n’a pas)
  • Le système français d’évaluation est absurde, paradoxal, et fait marrer une bonne partie des pays étrangers qui nous observent (c’est le monsieur qui l’a dit)
  • C’est fou, ce qu’on pourrait faire de bien, avec du temps

     Tous les profs de Jean (1) trouvent qu’il a l’air totalement absent et ne travaille presque jamais. Une autre affaire à suivre. Que lui arrive-t-il, à ce p’tit gars ?

(1) Tous les prénoms sont modifiés

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